En 2020, les Musées cantonaux du Valais ont déposé les Archives d’artistes valaisans aux Archives de l’État du Valais, un ensemble de fonds, de collections et de documents épars. Ces archives « mixtes » sont composées de supports très hétérogènes, allant de gravures et de dessins à des objets en trois dimensions en passant par des documents audiovisuels. Le traitement des fonds mixtes est la problématique centrale de cet article. Pour répondre aux questions qu’elle soulève, l’acquisition de ces fonds et leur traitement aux AEV ont été examinés, permettant d’effectuer un état de la situation en Valais. Les pratiques de deux institutions ont aussi été observées : la Cinémathèque suisse, les archives nationales du film, et la Fondation SAPA, Archives suisses des arts de la scène. Elles ont la particularité de conserver une majorité de fonds mixtes et ont ainsi développé des pratiques intéressantes pour la gestion de ces fonds. Cette étude préalable a permis de donner des propositions pour le traitement d’archives d’artistes valaisans.
Im Jahr 2020 hinterlegten die Walliser Kantonsmuseen die sogenannten Archive von Walliser Künstlern im Staatsarchiv Wallis, bestehend aus Nachlässen, Sammlungen und Einzeldokumenten. Diese «gemischten» Archive enthalten sehr heterogenen Medien, die von Drucken und Zeichnungen über dreidimensionale Objekte bis hin zu audiovisuellen Dokumenten reichen. Die Behandlung gemischter Bestände ist die zentrale Fragestellung dieses Artikels. Um die damit verbundenen Fragen zu beantworten, wurden der Erwerb dieser Bestände und ihre Bearbeitung im Staatsarchiv Wallis untersucht, was eine Bestandsaufnahme der Situation im Wallis ermöglichte. Zum Vergleich wurde die Praxis zweier Institutionen analysiert: die Cinémathèque suisse, das nationale Filmarchiv, und die Stiftung SAPA, das Schweizer Archiv der Darstellenden Künste. Sie zeichnen sich dadurch aus, dass sie mehrheitlich gemischte Bestände aufbewahren und viel Erfahrung im Umgang mit derartigen Beständen haben. Diese Vorstudie ermöglichte es, Vorschläge für die Bearbeitung der Archive von Walliser Künstlern zu entwickeln.
In 2020, the Cantonal Museums of Valais deposited the Archives of Valaisan Artists at the State Archives of Valais, a mixture of private archives, collections, and single documents. These «mixed» archives consist of highly heterogeneous materials, ranging from engravings and drawings to three-dimensional objects and audiovisual documents. The treatment of mixed holdings is the central issue of this article. The author addresses the questions related to the challenges posed by mixed holdings and examines their acquisition and processing, providing an overview of the situation in Valais. The practices of two institutions were also observed: the Swiss Cinematheque, the national film archives, and the SAPA Foundation, Swiss Archives of the Performing Arts. They have the peculiarity of preserving a majority of mixed holdings and have thus developed interesting practices for their management. This preliminary study has allowed for proposals for the treatment of archives of Valaisan artists to be put forward.
« Maquette de Sémaphore-métaphore »,1 « Échantillons et chutes de matériel »2 et « Plaques gravées avec photographies d’œuvres d’Angel Duarte et motifs divers, collés sur bois »,3 sont quelques documents présents dans l’inventaire des « archives d’artistes valaisans », conservées aux Archives de l’État du Valais (AEV). Ces archives témoignent de la richesse de l’activité d’une trentaine d’artistes ayant un lien avec le Valais. En effet, une multitude de typologies de documents et de supports sur lesquels les artistes ont exprimé leurs arts y est conservée. La complexité d’un tel ensemble demande de trouver un terme pouvant convenir pour les décrire. Celui de fonds « mixtes », utilisé à la Cinémathèque suisse (CS) pour décrire ses propres fonds, a été choisi pour cet article, sur la base de la définition donnée par la CS : « Fonds d’archives contenant des documents sur des supports de différents types. Ce sont des documents analogiques ou numériques, qui contiennent des textes, des images fixes ou mobiles, du son ou des objets. »4
Ces fonds mixtes posent différentes problématiques depuis leur acquisition jusqu’à leur traitement. L’acquisition est problématique, car elle peut, comme c’est le cas en Valais, concerner plusieurs institutions selon les compétences métiers qu’elles possèdent, mais également selon les infrastructures disponibles. De plus, pour ces fonds, le plus souvent de taille importante, la question de l’évaluation est aussi primordiale. Par la suite, le traitement peut également être problématique. Des ressources humaines qualifiées sont nécessaires tout comme des ressources matérielles adaptées aux différents supports. Elles ne sont pas toujours disponibles dans la même institution. Quels pourraient être les méthodes et les outils adéquats pour inventorier, conditionner et mettre en valeur ce type de fonds ?
L’étude de deux institutions suisses, La Cinémathèque suisse (CS) et la Fondation SAPA (Swiss Archive of the Performing Arts), permettra d’avoir une vision de solutions pratiques pour le traitement des fonds mixtes. Ces deux institutions ont été choisies pour l’importance des fonds mixtes parmi leurs collections. Elles ont ainsi dû mettre au cœur de leurs réflexions les problèmes liés à ce type de fonds. De plus, elles sont toutes deux d’envergure nationale et sont présentes en Suisse allemande et romande. Mais avant de présenter des solutions pratiques à la problématique, l’acquisition des fonds mixtes en Valais et le cas des archives d’artistes valaisans seront présentés.
En Valais, différentes institutions sont chargées de conserver le patrimoine documentaire : la Médiathèque Valais, les Musées cantonaux et les AEV. Des liens, plus ou moins importants selon les époques, ont existé entre ces institutions. Les AEV voient le jour au XVe siècle. La Médiathèque, quant à elle, est instaurée quelques siècles plus tard, en 1849, sous le nom de Bibliothèque cantonale. Ces deux institutions sont réunies de 1893 jusqu’en 1968. Elles partagent, durant cette période, une direction et un bâtiment.5 Entre 1968 et 1987, les photographies sont conservées aux AEV. Puis, en 1987, le Centre valaisan du film est créé. Il deviendra le Centre valaisan de l’image et du son. Les photographies se sont retrouvées extraites de leur fonds aux AEV et envoyées dans le Centre. En 1997, le Centre devient la Médiathèque Martigny.6 Ainsi, le partage des différents supports de documents entre les institutions s’est produit, dans la pratique, au cours de l’histoire des institutions et a été influencé notamment par leurs restructurations. L’organisation actuelle n’est en place officiellement que depuis 1996, avec l’instauration de la Loi sur la promotion de la culture. Cette dernière définit notamment les missions et les buts des institutions. Parmi ces buts se trouvent les typologies de documents que chaque institution doit acquérir, conserver et rendre accessible. Les AEV doivent ainsi « prendre en charge des archives et documents provenant de personnes de droit privé ou public qui revêtent une importance régionale ou cantonale et conclure des contrats réglant la reprise de tels fonds d’archives ».7 Quant à la Médiathèque, elle conserve « les documents imprimés et audiovisuels, à l’instar des photographies, documents cinématographiques et enregistrements sonores, ainsi que les informations fixées sur d'autres supports, concernant le Valais ».8 Pour finir, les Musées conservent « des collections de biens culturels, en particulier ceux qui appartiennent au patrimoine valaisan ».9 En résumé, les Musées cantonaux collectent les objets, la Médiathèque Valais les documents imprimés ou audiovisuels et les AEV les fonds d’archives provenant de l’administration, des communes, des bourgeoisies, des archives ecclésiastiques et des personnes physiques ou morales.10
La collaboration entre ces institutions est donc importante. Elles sont d’ailleurs réunies depuis 2005 au sein du Service de la culture. Cette collaboration s’est encore intensifiée avec la création en 2016 d’un espace commun au sein des Arsenaux – le bâtiment occupé par la Médiathèque ainsi que les AEV : Les Vallesiana. Cet espace comprend une bibliothèque, une salle de lecture, mais également une plateforme en ligne. Dans les faits, la collaboration exerce aussi une influence sur l’acquisition des fonds. En effet, les AEV mettent en avant l’importance de la collaboration et la nécessité d’éviter la concurrence entre les institutions dans l’acquisition des fonds. Ces règles permettent de rediriger les producteurs vers le lieu de dépôt le plus adéquat. Toutefois, le principe de provenance est un des points essentiels pour les AEV. « De même, les Archives de l’État du Valais s’opposent à la dispersion ou au démembrement des fonds d’archives privées, considérés comme contraire au principe de provenance (respect des fonds). Lorsqu’un déposant ou donateur potentiel envisage une telle démarche, elles s’efforcent d’obtenir qu’il y renonce en le rendant attentif aux enjeux du respect des fonds. »11 Toutefois, le support détermine également le lieu de conservation : « En fonction du type de support, les Archives de l’État du Valais peuvent décider de confier la conservation et/ou la communication d’une partie des documents d’archives à une institution appropriée. Elles en établissent cependant la description dans leur outil de gestion des inventaires, de manière à assurer le respect des fonds. »12 Par exemple, lorsqu’une importante collection de livres accompagne un fonds d’archives privé, elle sera acquise par la Médiathèque Valais et cette séparation sera inscrite dans la notice Scope, l’inventaire des AEV.13 Il existe ainsi un antagonisme entre, d’un côté, la répartition du patrimoine par la Loi sur la promotion de la culture, qui se base sur le support, et, d’un autre côté, l’opposition au démantèlement des fonds préconisée par la politique d’acquisition des AEV et la pratique en place.
Pour respecter l’intégrité des fonds mixtes, qui, par définition, sont souvent composés de documents pouvant concerner les trois institutions, une collaboration accrue est primordiale. Les Archives de l’État du Valais ont déjà, avant les archives d’artistes valaisans, acquis des fonds mixtes, comme ceux de l’artiste Gottfried Tritten, déposés en 2017 aux AEV ou ceux privés d’Alexandre et Christophe Carron, déposés en 2018 et 2019. Pour ces deux cas, les Archives de l’État du Valais ont pris en charge le traitement des fonds. Ils sont aujourd’hui conservés dans les dépôts des AEV et leurs inventaires ont été saisis sur ScopeArchiv. L’acquisition et la distribution entre les institutions des fonds mixtes ne sont d’ailleurs pas entièrement résolues aujourd’hui en Valais. Aucune politique commune n’a encore été mise au point.14 Ainsi, la question de l’acquisition de ces fonds mixtes et de leur traitement par les AEV pour le futur reste encore une question ouverte. Le processus est adapté au cas par cas, à l’instar de l’acquisition et du traitement des archives d’artistes valaisans.
Les archives d’artistes valaisans sont une collection rassemblée par les Musées cantonaux et plus particulièrement par le Musée d’art du Valais. Le Musée, dans ses directives d’archivage, définit le fonds ainsi : « les Archives d’Artistes concernent toutes les pièces originales et en principe uniques, qui documentent des artistes et des institutions artistiques ».15 Ces archives contiennent des documents papier produits par les artistes, des photographies, des affiches, des maquettes, des documents préparatoires des œuvres, des livres édités, etc. Les Musées cantonaux amalgament le nom d’Archives d’artistes à celui de collection : « Réunion artificielle de documents en fonction de critères communs liés à leur contenu ou à leur support et dont la juxtaposition est le fruit de la volonté ou du hasard, par opposition au fonds d'archives constitué de façon organique par un producteur. »16 Les archives d’artistes valaisans contiennent également des œuvres d’art et il est parfois difficile de différencier l’œuvre de l’archive, différence primordiale pour l’acquisition.17
Les documents sont principalement issus de dons ou de dépôts de particuliers, notamment des artistes ou de leurs familles, faits aux Musées cantonaux. Toutefois la provenance de certains documents n’est pas claire. En 2020, lors du déménagement des fonds des AEV dans leurs nouveaux dépôts, les archives d’artistes valaisans ont été versées aux archives pour des questions de place et de compétences utiles pour le traitement. Le statut de ces archives a été discuté entre Alain Dubois, archiviste cantonal, Pascal Ruedin, directeur des Musées cantonaux, et Céline Eidenbenz, directrice du Musée d’art. Il a été décidé que cette acquisition serait un dépôt à long terme de la part des Musées et non pas un versement des archives administratives des Musées.
Au moment du dépôt, l’inventaire des archives d’artistes valaisans, produit sur le modèle des œuvres d’art conservées aux Musées, a été également transmis. Un récolement, effectué au printemps 2022, a permis une connaissance plus approfondie des archives d’artistes valaisans. À la suite de cette étape, un état des lieux des archives d’artistes valaisans a pu être produit. Différentes informations concernant les documents ont été relevées : l’état de conservation, les typologies de documents, les supports des documents (papiers, gravures, imprimés, numériques, objets, etc.) et les éléments à traiter rapidement. De plus, Maité Shazar, restauratrice auprès des Archives de l’État du Valais, a pu donner son expertise en ce qui concerne le fonds et la conservation des supports spéciaux. L’inventaire a été complété lorsque des documents ne s’y trouvaient pas. De plus, des éléments n’ayant pas encore été transmis au AEV ont aussi été mis en évidence. En parallèle, une première évaluation a été faite, permettant de pointer des ensembles à éliminer. Une analyse, délimitant les productions artistiques (œuvres), les archives produites par l’artiste ou sur l’artiste et les archives produites par les musées, a aussi été faite. Pour finir, plusieurs grands ensembles ont pu être discernés sans doute possible : les fonds, plus ou moins fournis, de différents artistes - Joseph Gautschi (1900-1977), Pierre Loye (1945), André-Paul Zeller (1918-2005,) Angel Duarte (1930-2007), Denise Fux (1946-1976), Pierre-Barthélemy Pitteloud (1910-1939). Une collection est également présente dans les archives d’artistes valaisans, celle rassemblée par Pierre Darioli-Ritz, petit-fils par alliance du peintre Raphaël Ritz. Elle est principalement composée de gravures. Des documents produits par des associations et institutions artistiques sont aussi présents, notamment ceux de l’ECBA (École cantonale des Beaux-arts du Valais), de l’AVA (l’Association valaisanne des Artistes), de la SPSAS (Société des peintres, sculpteurs et architectes suisses). Un ensemble de documents, de nature administrative, produits par les Musées cantonaux sont aussi présents. Ces derniers devront être traités en tant que versement d’une institution de l’État et ainsi rejoindre les archives des Musées, conservées aux AEV. Pour finir, d’autres archives isolées ont été produites par divers artistes et certains documents ont pour sujets des artistes pour lesquels un fonds est déjà présent aux AEV à l’instar d’Edmond Bille ou de Gottfried Tritten.
Le récolement a permis de donner une image de la complexité et de l’hétérogénéité des éléments composant les archives d’artistes valaisans. Un travail important reste à faire pour inventorier, conditionner ces documents et les mettre à disposition du public. Des pistes pour le traitement de ces archives peuvent être trouvées dans d’autres institutions. Les pratiques de ces dernières peuvent également être des exemples pour les processus et les flux d’acquisition et de traitement des fonds mixtes, qui sont à développer aux AEV.
Les pratiques de deux institutions vis-à-vis des fonds mixtes vont être présentées afin de donner un aperçu de questionnements présents dans ces institutions et de quelques pratiques qui peuvent être intéressantes pour la problématique. Les institutions étudiées sont la Cinémathèque suisse et la Fondation SAPA, les Archives suisses des arts de la scène. Les personnes morales ou physiques, actives dans les domaines qui sont au centre des deux fondations, le cinéma et les arts de la scène, produisent des documents très hétérogènes. Ainsi, une majorité des fonds conservés par ces deux institutions sont mixtes. Elles ont dû trouver des processus pour traiter ces archives tout en respectant le principe de provenance, mais également en proposant les meilleurs moyens de conserver des documents qui ne demandent pas tous les mêmes attentions.18
Effectuée au moment de l’acquisition ou même avant celle-ci, l’évaluation est une étape charnière permettant par la suite de simplifier la tâche de l’archiviste. En effet, de nos jours, les fonds sont de plus en plus volumineux. Conserver l’ensemble des documents serait impossible, d’une part, à cause de l’importance des volumes. En effet, ces derniers nécessiteraient une place conséquente – dans des dépôts ou sur des serveurs – tout en demandant des ressources considérables pour être traités. D’autre part, les informations importantes seraient noyées dans la masse. Ainsi, l’évaluation est cruciale. La CS est proactive en ce qui concerne l’évaluation, avant même l’acquisition.19 L’évaluation pour les fonds mixtes peut être compliquée étant donné l’hétérogénéité de ces fonds et le besoin d’expertise sur les sujets des documents. Une collaboration entre le producteur, qui connaît ses documents, et l’archiviste, qui possède les compétences métier nécessaires, ainsi qu’une analyse commune des documents, peuvent être très bénéfiques pour une évaluation intelligente.20 De plus, à la CS, l’acquisition, lorsqu’elle concerne des fonds mixtes, est menée conjointement par différents collaborateurs du département Film et du département Non-Film, chacun étant expert dans leur domaine. Cette collaboration permet une acquisition fructueuse. De plus, la politique de collection permet de donner une ligne directrice concernant l’acquisition et permet d’éviter des choix arbitraires. Ainsi, à la CS, les documents concernant les activités du cinéma sont gardés. Les doublons et les archives privées ne concernant pas le cinéma sont éliminés. Il se peut qu’un échantillonnage ait lieu dans des séries importantes, par exemple pour les photographies de repérage d’un décor de film.21 À la Fondation SAPA, l’évaluation est réalisée au cas par cas, mais est également encadrée par la politique de collection. De plus, elle essaie d’établir des standards pour l’acquisition, dans lesquels l’évaluation à une place centrale.22 Elle a ainsi mis au point des critères d’évaluation pour les différents médias. Dans une situation idéale, une première évaluation est faite durant la visite chez le producteur. Par la suite, un inventaire est demandé au donateur et permet une évaluation définitive des documents. De plus, un dialogue se tient entre le producteur, le responsable de l’acquisition, et, si besoin, avec un conseiller scientifique ou un conseiller spécialisé dans la conservation des documents. À SAPA, plusieurs éléments viennent appuyer la pertinence des documents :
« Valeur informative
Valeur représentative (importance, rayon d’action et rayonnement des acteurs concernés étant des critères primordiaux de sélection)
Unicité (d’un point de vue phénoménologique)
Valeur esthétique
Valeur de preuve »23
De plus, les critères quantitatifs – ampleur du fonds et exhaustivité d’une collection - et les critères archivistiques – matérialité, aspects pratiques, unité du fonds - sont aussi des éléments examinés au moment de l’acquisition et de l’évaluation.24
Dans leur politique d’acquisition respective, la Cinémathèque suisse et la Fondation SAPA insistent sur le respect des fonds. Garder un ensemble est ainsi primordial. Une collaboration entre différentes institutions est mise en avant dans les politiques afin d’éviter une concurrence et la séparation de fonds entre différentes archives. Toutefois, à la CS, une collaboration accrue existe aussi entre ses différents départements, qui se partagent les fonds selon leurs compétences métier. Les œuvres filmiques étant dirigées vers le département Film et les autres documents vers le Non-Film. À l’intérieur de ce dernier, certaines séries des fonds sont séparées selon leur support. La séparation des documents permet un traitement optimal de chaque objet. En effet, les différentes typologies de documents ne demandent ni les mêmes attentions ni les mêmes connaissances pour les traiter. Des collaborateurs spécialisés peuvent ainsi traiter les différentes parties des fonds avec plus de précision. Les périodiques sont, par exemple, catalogués par la bibliothèque et les documents papier par les archives. Avant les années 2000, les fonds papier étaient également séparés pour alimenter des dossiers de documentation menant à un éparpillement qui perdure encore aujourd’hui.25 De plus, les acquisitions n’étaient ni documentées ni dirigées par une politique de collection. Ces anciennes pratiques ont mené à une importante expansion de la collection, mais également à un manque de documentation. À l’heure actuelle, il est ainsi compliqué, voire impossible, de restituer la provenance d’une partie des documents conservés à la CS. Si les différents supports sont physiquement séparés, ils le sont aussi intellectuellement. En effet, plusieurs logiciels spécialisés permettent de traiter les différentes collections. Le département Film travaille sur le logiciel Oraweb. Le Non-Film est, en 2023, passé d’une dizaine de bases de données à trois principales. Depuis 2015, les fonds d’archives papier sont inventoriés dans le logiciel libre AtoM(Inventaire en ligne CASPAR26). En 2022, les collections de la bibliothèque sont entrées dans le réseau vaudois des bibliothèques Renouvaud. Pour finir, les collections iconographiques et muséales sont traitées, depuis 2023, sur une version du logiciel Webmuseo, développée pour et avec la CS. Les parties d’un même fonds peuvent ainsi être traitées dans 4 logiciels différents. Si ces logiciels ont chacun leurs forces pour traiter de manière optimale les différentes collections, ils ne sont pas mis en relation entre eux. Les liens entre les différentes collections sont ainsi compliqués à maintenir. Afin d’éviter la perte de la provenance, tout en séparant les supports afin qu’ils reçoivent un traitement optimal, des outils ont été mis en place à la CS. Les collections du département Non-Film, bien qu’elles soient traitées de façon différente, sont toutes réunies dans le même secteur « Gestion des collections » et tous les éléments d’un fonds possèdent une même cote. Cette dernière permet de garder l’unité intellectuelle du fonds, car elle est reprise dans les différents logiciels. De plus, à leur entrée, les fonds reçoivent un numéro d’entrée qui est le même pour les départements Film et Non-Film. Un bordereau d’acquisition commun est créé. Celui-ci contient les informations telles que « la nature et le contenu du fonds, la date d’entrée dans l’institution, les personnes de références (personne responsable à l’interne, déposant ou donateur), et donne un premier aperçu de l’état du matériel. »27 Par la suite, les fonds sont physiquement séparés selon les supports et leurs besoins de conservation. Ce transfert est documenté par un bordereau de transfert. Christine Tourn précise qu’il s’agit d’ensembles de fonds et non pas d’une photographie accompagnant une lettre. Une notice est rédigée dans l’inventaire Caspar, où les entrées et transferts sont repris. Les parties du fonds conservées dans d’autres secteurs sont décrites dans le champ « Unités de description associées » de Caspar.28 Toutes les acquisitions à la Cinémathèque suisse sont ainsi documentées, depuis leur entrée jusqu’à leur traitement dans les différents départements. Les outils développés par la CS donnent des résultats positifs : « l’intégrité du fonds s’en trouve renforcée : d’une part, le fonds papier conserve plus de documents qu’auparavant ; d’autre part, la répartition est documentée en interne. Pour le public, elle est rédigée dans une description archivistique générale […] ».29 La collaboration entre les départements est aussi primordiale pour analyser et traiter certains documents. Par exemple, dans l’étape de l’évaluation d’une série de photographies, un travail entre un collaborateur du secteur des « Archives papier », qui connaît les problématiques de ces typologies, et d’un collaborateur de la section film, qui connaît l’œuvre finale, est parfois indispensable pour un travail qualitatif.
Le développement ou l’utilisation de logiciels adéquats peut aussi être un moyen pour traiter les fonds mixtes. Novatrice en Suisse, SAPA développe actuellement, pour le traitement intellectuel, une plateforme en ligne : Swiss Performing arts platform. Celle-ci se base sur une technologie linked open data, qui permet de relier des informations de tout le domaine des arts de la scène et utilise également le format RDF et la future norme d’archivage Records in Contexts (RiC). La plateforme découle de l’histoire de l’institution et de la fusion, en 2017, de la Collection suisse de la danse et de la Collection suisse du théâtre. Les fonctionnements et les modes de saisie de ces deux institutions étaient différents. La plateforme est un outil encore en développement qui permet d’avoir une vue d’ensemble sur les fonds des deux institutions. La plateforme n’héberge d’ailleurs pas seulement les données de SAPA, mais met également en lien des données d’autres institutions.30
La littérature sur le sujet montre l’importance de documenter l’état du fonds chez le producteur, les étapes de l’acquisition et les traitements successifs afin de préserver ces informations. En effet, l’archiviste traite bien souvent le fonds des mois ou même des années après son arrivée dans un centre d’archivage.31 À la CS, l’acquisition, les transferts, les éliminations ou encore les traitements faits sur les archives sont documentés par les archivistes, généralement dans un document de notes disponible pour tous dans les dossiers de gestion des différents fonds. Pour aider le traitement et pour documenter les acquisitions, SAPA produit aussi des entretiens d’histoire orale avec les producteurs des fonds au sujet de leurs archives. Cela permet d’avoir une source de première main sur l’histoire du fonds.32 Cette pratique est très intéressante et pourrait être utile pour le traitement des fonds qui se fait parfois des années après l’acquisition.
L’étude et la comparaison de ces différentes institutions ont permis de mettre en avant des pistes concernant le traitement des fonds mixtes. Elles donnent des idées intéressantes pour le travail autour des archives d’artistes valaisans et plus généralement pour le traitement des fonds mixtes aux AEV.
La façon de traiter les fonds mixtes dépend de différents facteurs. Pour les fonds déjà acquis, qui sont en attente de traitement, la façon de les aborder est souvent influencée par l’histoire institutionnelle, les restructurations et les changements de pratiques, qui définissent l’état du fonds et sa connaissance par l’archiviste. Les archives qui doivent être traitées rétroactivement posent plusieurs problèmes, car l’histoire de l’acquisition et des traitements faits dans l’institution sont toujours équivoques. De plus, les politiques d’acquisition et les procédures de traitement ont souvent radicalement changé dans les institutions au fil du temps. À la Cinémathèque suisse, cette problématique est très présente. En effet, la séparation non documentée de certains fonds dans différents secteurs a été une pratique courante à une époque. Même si, dans l’institution, il n’est pas question de les rassembler physiquement, un travail est fait pour, intellectuellement, relier les différents documents qui parviennent d’un même fonds. Rappelant les enquêtes de détective, ce travail est parfois compliqué à réaliser.
À plus petite échelle, le cas des archives d’artistes valaisans se trouve dans une situation similaire. L’aspect originel des fonds les composant n’est plus visible avec certitude. Cela est dû à plusieurs facteurs, notamment le changement d’institution, la documentation manquante sur l’acquisition des différents fonds et leurs traitements faits selon les procédures des Musées cantonaux et non selon les normes archivistiques. Une partie des informations est perdue, ce qui complique le traitement du fonds. Toutefois, il est possible de discerner les grands ensembles présents dans les archives d’artistes valaisans sur la base de l’inventaire, qui donne quelques informations sur les provenances, mais aussi des différents documents donnés par les Musées cantonaux, qui ont été retrouvés dans les archives d’artistes valaisans. Une partie du travail sur ces fonds mixtes est ainsi de faire des recherches méticuleuses afin d’avoir une idée plus précise du fonds, avant son traitement à proprement dit.
En Valais, l’acquisition des fonds mixtes est problématique, car plusieurs institutions sont concernées et qu’une politique commune doit encore être mise au point. Les acquisitions de fonds mixtes sont traitées, pour le moment, au cas par cas. La collaboration entre les institutions est cependant possible, à l’instar de celle qui a permis le transfert des archives d’artistes valaisans aux Archives de l’État du Valais. Cela permet un meilleur traitement des archives, les AEV étant un centre de compétences pour la conservation de ces documents. Toutefois, la diversité des supports reste problématique. Le traitement des objets n’est pas le même que celui des documents papier. Ils demandent des compétences particulières. Les AEV ne sont pas équipées et n’ont pas de personnel formé pour ces supports spéciaux. Le traitement, après leur acquisition, est différent pour chaque fonds. L’essence même de ce type d’ensemble étant son hétérogénéité et sa diversité. Cependant, quelques recommandations pourraient être proposées pour le traitement général des fonds mixtes :
Produire une documentation complète sur l’histoire du fonds dès le moment de l’acquisition.
Évaluer le fonds avant même l’acquisition quand cela est possible.
Collaborer avec des institutions spécialisées pour le traitement des fonds mixtes et, dans le cadre de fonds d’artistes, avec des historiens de l’art.
Élaborer au préalable des procédures et des méthodes de traitement pour les supports problématiques, par exemple pour l’audiovisuel ou le numérique.
Garder à l’esprit la valorisation et la communication de ces fonds lors du traitement.
En Valais, la discussion doit encore être menée pour résoudre la séparation des acquisitions de fonds mixtes entre les différentes institutions, problème fondamentalement politique. Les AEV ayant la capacité de traiter et de conserver ces fonds, ils pourront y être accueillis. Une collaboration entre les institutions est cependant nécessaire. Pour être bénéfique, elle devrait être présente dès les premiers contacts avec les producteurs d’archives. Celle-ci permettrait également d’avoir une collaboration entre des spécialistes de chaque support, à l’instar des archives d’artistes pour lesquelles un regard d’historien de l’art peut apporter de nombreux bénéfices, notamment durant l’évaluation ou le traitement intellectuel des archives. Dans le futur, avec la norme RiC, des solutions pourront apparaître pour lier des documents présents dans différentes institutions. La visibilité et la valorisation des documents conservés, quelle que soit l’institution concernée, est également un aspect primordial. Des projets de recherches, de mise en valeur ou encore d’expositions peuvent être primordiaux pour le traitement de fonds d’artistes, permettant de trouver des ressources financières, mais aussi de mettre en avant le travail de l’ombre fait par l’archiviste et d’attirer l’attention de différents publics sur le patrimoine conservé dans nos institutions.
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