Cet article étudie la thématique de l’inclusion culturelle dans le domaine de la conservation du patrimoine, de la culture et des sciences de l’information sous l’angle de l’accessibilité. Il s’intéresse plus précisément à la question de l’accessibilité des archives, bibliothèques et musées de Suisse romande aux personnes en situation de handicap. Dans un premier temps, cet article propose un bilan de la situation légale et politique à l’heure actuelle en Suisse autour du handicap, de l’accessibilité et de l’inclusion culturelle. Il évoque ensuite des éléments-clés communs aux archives, bibliothèques et musées en matière d’accessibilité et met en lumière des aspects propres à chaque institution et à ses missions. Il partage le parcours et l’expérience pratique de quelques institutions parmi les archives, bibliothèques et musées de Suisse romande en matière d’accessibilité par le biais d’un sondage et d’un entretien. Finalement, cet article souligne le rôle décisif joué par les archives, bibliothèques et musées dans l’inclusion des personnes en situation de handicap dans la société et dans la sensibilisation du grand public aux questions de handicap, d’accessibilité et d’inclusivité culturelle. En conclusion, son but est donc d’ouvrir le dialogue et de proposer une première contribution aux recherches sur la thématique de l’inclusion culturelle dans le domaine des sciences de l’information et de la conservation du patrimoine en Suisse romande.
Dieser Artikel untersucht die Thematik der kulturellen Integration im Bereich der Erhaltung des Kulturerbes, der Kultur und der Informationswissenschaften am Beispiel des barrierefreien Zugangs, befasst sich also insbesondere mit der Frage, wie Archive, Bibliotheken und Museen in der Westschweiz für Menschen mit Behinderungen zugänglich gemacht werden können. Zunächst bietet der Artikel eine Bestandsaufnahme der aktuellen rechtlichen und politischen Situation in der Schweiz rund um die Themen Behinderung, Barrierefreiheit und kulturelle Integration. Anschließend werden wesentliche Elemente der Barrierefreiheit erörtert, die Archiven, Bibliotheken und Museen gemeinsam sind, und die spezifischen Aspekte der einzelnen Institutionen und ihrer Aufgaben beleuchtet. Eine Umfrage und ein Interview identifizieren die praktischen Erfahrungen einiger Archive, Bibliotheken und Museen in der Westschweiz mit dem Thema Barrierefreiheit. Schließlich unterstreicht dieser Artikel die entscheidende Rolle, die Archive, Bibliotheken und Museen bei der Integration von Menschen mit Behinderungen in die Gesellschaft und bei der Sensibilisierung der breiten Öffentlichkeit für die Themen Behinderung, Barrierefreiheit und kulturelle Integration spielen. Sein Ziel ist es, die Diskussion zu eröffnen und einen ersten Beitrag zur Forschung über die Thematik der kulturellen Integration im Bereich der Informationswissenschaften und der Erhaltung des Kulturerbes in der Schweiz zu leisten.
The article examines the issue of cultural integration in the fields of heritage preservation, culture and information sciences, using the example of accessibility, in particular how archives, libraries and museums in French-speaking Switzerland can be made accessible to people with disabilities. Firstly, the article presents an overview of the current legal and political situation in Switzerland concerning disability, accessibility and cultural integration. It then discusses key elements of accessibility that are common to archives, libraries and museums and looks at the specific aspects of individual institutions and their tasks. Based on a survey and an interview we learn about the practical experiences with accessibility as reported by some archives, libraries and museums in French-speaking Switzerland. Finally, the article emphasises the crucial role that archives, libraries and museums play in the inclusion of people with disabilities into society and in raising public awareness of the issues of disability, accessibility and cultural integration. Its aim is to open the debate and make a first contribution to research on cultural integration in the field of information sciences and the preservation of cultural heritage in Switzerland.
L’Office fédéral de la statistique estime que la part de la population en situation de handicap au sens de la loi sur l’égalité s’élève à 22% en Suisse et que cette part augmente avec l’âge1 – cela équivaut environ à 1.8 million de personnes, dont 29% sont dans une situation de fort handicap.2 En prenant en compte le vieillissement avéré de la population, cela représente donc un nombre croissant et non-négligeable de publics très différents que les institutions culturelles et de mémoire de Suisse s’engagent à accueillir, conseiller et intégrer dans leurs stratégies culturelles et informationnelles respectives. Cet article aborde la thématique de l’inclusion culturelle dans le domaine de la conservation du patrimoine, de la culture et des sciences de l’information sous l’angle de l’accessibilité et s’intéresse plus précisément à la question de l’accessibilité des archives, bibliothèques et musées, en se limitant à la Suisse romande. Ces institutions partagent en effet un certain nombre de principes fondamentaux liés à leurs valeurs, leur mission et leur éthique professionnelle. Pour y correspondre pleinement, elles doivent répondre aux défis posés par l’accessibilité, ce qui signifie que leur démarche dépasse les exigences légales. Cette base éthique et professionnelle commune justifie la dimension transversale adoptée dans cet article, qui cherche à analyser des éléments importants autour de cette thématique dans les archives, bibliothèques et musées et ainsi à comprendre comment chaque type d’institution se confronte aux enjeux liés à l’accessibilité.
Dans un premier temps, les grandes lignes du cadre légal actuellement en vigueur en Suisse seront présentées afin de contextualiser et d’inscrire ces réflexions dans le paysage suisse. Dans un deuxième temps, une sélection d’éléments-clés en matière d’accessibilité dans le domaine de la conservation du patrimoine, de la culture et des sciences de l’information sera proposée dans le but d’illustrer à la fois les champs d’action communs et les domaines spécifiques aux archives, bibliothèques et musées. Finalement, le point de vue et l’expérience pratique en matière d’accessibilité de quelques institutions parmi les archives, bibliothèques et musées de Suisse romande seront rapportés par le biais d’un sondage et d’un entretien. En conclusion, cet article vise à ouvrir le dialogue et proposer une première contribution aux recherches sur la thématique de l’inclusion culturelle dans le domaine des sciences de l’information et de la conservation du patrimoine en Suisse romande.
Le premier élément important de ce cadre légal est la loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand), entrée en vigueur en 2004, dont le but est « de prévenir, de réduire ou d’éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées »3 et de « créer des conditions propres à faciliter aux personnes handicapées la participation à la vie de la société ». 4 Un deuxième élément significatif de ce cadre légal est la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), à laquelle la Suisse a adhéré en 2014, s’engageant ainsi « à éliminer les obstacles auxquels sont confrontées les personnes handicapées, à protéger celles-ci contre les discriminations et à promouvoir leur inclusion et leur égalité au sein de la société civile. »5 La ratification de cette convention permet « d’inscrire le droit suisse en matière d’égalité pour les personnes handicapées dans un cadre cohérent et lui confère une plus grande visibilité. »6
En 2024, soit 20 ans après l’entrée en vigueur de la LHand et 10 ans après la ratification de la CDPH, leur application en Suisse est toujours jugée comme largement insuffisante par les associations de défense des droits des personnes en situation de handicap et les expert·e·s de l’ONU. Dans le cas de la LHand, cette insuffisance se constate notamment au niveau des transports publics où aucun canton suisse ne remplit l’objectif légal et seules 45% des gares vaudoises sont accessibles de manière autonome fin 2023.7 Du côté de la CDPH, l’ONU adresse en 2022 de vives critiques à l’encontre de la Suisse, soulignant les lacunes et les retards dans la mise en œuvre du texte8 et dénonçant une absence de stratégie globale, une protection insuffisante contre la discrimination et une mise en œuvre insuffisante dans tous les domaines de la vie.9 Dans ce contexte, deux avancées positives émergent, avec le lancement d’un projet de révision partielle de la LHand par le Conseil fédéral en décembre 2023,10 par la suite vivement remis en question par les associations spécialisées,11 ainsi que le dépôt en septembre 2024 de l’Initiative pour l’inclusion, visant à garantir l’égalité des personnes en situation de handicap en droit et dans les faits, quel que soit le domaine de la vie concerné.12 Avec la progression de l’Initiative pour l’inclusion et le projet de révision de la LHand surveillé de près par les organisations spécialisées, la situation devrait progresser et le cadre légal suisse pourrait se développer en direction d’une meilleure autonomie et inclusion des personnes concernées dans toutes les facettes de la vie de la société. Ce contexte en pleine évolution est particulièrement intéressant pour les institutions de culture et de mémoire, car elles ont un grand rôle à jouer en matière d’inclusion culturelle et d’accès à l’information. Toutefois, il est important de relever que l’inclusion culturelle et l’accessibilité font pleinement partie des valeurs, de la mission et de l’éthique professionnelle des archives, bibliothèques et musées, ce qui signifie que leur démarche ne se limite pas uniquement aux exigences légales.
L’accessibilité vise à garantir un accès sans obstacles à tous les lieux, services, produits et activités afin de permettre à chacun·e de mener une vie indépendante et autonome. De ce fait, l’accessibilité des institutions culturelles et de mémoire peut être améliorée en réduisant ou en éliminant les obstacles auxquels les personnes en situation de handicap sont confrontées.13 La thématique de l’accessibilité culturelle pour les personnes en situation de handicap est intimement liée aux différents handicaps et à leurs manifestations : dans ce contexte, il peut être compliqué de mettre en place des mesures à destination de toutes les personnes atteintes par un certain type de handicap, car leurs besoins et leurs attentes ne seront pas les mêmes. Certaines mesures mises en place pour améliorer l’accessibilité pour un groupe touché par un handicap spécifique peuvent dans le même temps représenter un obstacle pour les personnes touchées par un handicap différent. Par exemple, l’installation de lignes de guidage au sol à l’attention des personnes en situation de handicap visuel peut entraver les déplacements des personnes en chaise roulante. De la même manière qu’il existe une multitude de handicaps, il y a donc une grande quantité de domaines dans lesquels des mesures d’accessibilité peuvent être développées. Par conséquent, cet article ne vise pas à établir une liste exhaustive d’éléments-clés de l’accessibilité dans le domaine de la culture et des sciences de l’information, mais propose une sélection opérée selon les cinq champs d’activité définis par le Service Culture inclusive de Pro Infirmis.14
Ces cinq champs d’activité sont les suivants : offre culturelle, accès aux contenus, accès architectural, offres d’emploi et communication.15 Le premier champ d’activité concerne l’offre culturelle et peut être lié à la pratique d’une médiation culturelle inclusive. Selon le Service Culture inclusive, l’institution culturelle traite de la diversité, de la participation et du handicap dans son programme et/ou dans ses pratiques de médiation et associe dans ce but à sa démarche des artistes et/ou des médiateur·rice·s en situation de handicap. Dans ce domaine, le Service Culture inclusive souligne le fait que l’institution culturelle doit vivre « une culture de l’accueil » – c’est-à-dire qu’elle tient compte des besoins de tous ses visiteur·se·s, ce qui joue également un rôle fondamental dans l’accès architectural et l’accès aux contenus. En effet, la culture de l’accueil peut par exemple prendre la forme de mesures d’accompagnement offertes par l’institution, comme un accompagnement jusqu’à l’arrêt de bus le plus proche ou un accueil personnalisé avant une manifestation organisée par l’institution. Il s’agit aussi d’informer et de communiquer comment les différents publics peuvent accéder aux contenus et de les guider dans leur utilisation des divers outils mis à leur disposition.16 Dans ce contexte, la formation et la sensibilisation du personnel à l’accueil des personnes en situation de handicap joue un rôle essentiel : il ne faut pas montrer de réticence, se sentir à l’aise, être capable d’aller vers les personnes et de s’adapter aux demandes sans être surpris·e ni dérouté·e.17 Pour conclure, le Service Culture inclusive préconise le développement d’offres culturelles spécifiques et adaptées pour stimuler la participation des personnes en situation de handicap et sensibiliser les participant·e·s sans handicap à ces questions.
Le deuxième champ est celui de l’accès aux contenus, visant à permettre un accès sans obstacles aux contenus des œuvres et des collections. L’institution culturelle effectue des contrôles pour évaluer dans quelle mesure les contenus de son offre culturelle sont accessibles aux personnes en situation de handicap. Concrètement, cela implique qu’elle définit individuellement, puis met en œuvre, des aides et des instruments pour rendre ses prestations et ses collections plus faciles à voir, à entendre, à expérimenter et/ou à comprendre.
Le troisième champ, l’accès architectural, vise à éliminer les obstacles architecturaux. Pour ce faire, les institutions culturelles et de mémoire contrôlent avec des expert·e·s avec et sans handicap dans quelle mesure la circulation et l’orientation sont possibles dans leurs espaces et mettent en œuvre des mesures proportionnées et adaptées à chaque situation. Le Service Culture inclusive rappelle que les personnes en situation de handicap ont des besoins très divers et mentionne que l’accès architectural peut donc porter sur les mains courantes, le marquage des marches d’escalier, les rampes et les ascenseurs. Parmi les éléments importants à prendre en compte, on retrouve l’accès et la mobilité à l’intérieur et autour du bâtiment, l’orientation, la signalétique, l’acoustique et l’éclairage, le comptoir d’accueil, les guichets, le vestiaire, les toilettes et les espaces pour les collaborateur·rice·s.
Le quatrième champ concerne les offres d’emploi au sein des institutions culturelles. Ces dernières associent les personnes en situation de handicap à leurs activités et offrent dans ce but diverses possibilités, comme des stages, des places d’apprentissage, des emplois accompagnés, fixes ou à temps partiel ou encore des fonctions d’expert·e·s donnant des conseils et des cours de sensibilisation.
Finalement, le cinquième champ d’activité est celui de la communication, qui joue un rôle essentiel pour faire connaitre les mesures mises en place dans les autres domaines de l’accessibilité et pour transmettre les informations générales sur les contenus, les services et l’offre culturelle aux publics en situation de handicap. Dans ce contexte, les institutions culturelles et de mémoire doivent entre autres vérifier l’accessibilité de leurs moyens de communication et les adapter en cas de besoin, proposer différents chemins pour la prise de contact (par oral, par écrit, de manière personnalisée) et mentionner au minimum le nom d’une personne de contact pour l’accessibilité sur leur site internet. Il est également nécessaire de recourir à des moyens de communication en français facile à lire et à comprendre et d’utiliser le niveau adapté aux publics cibles. Les institutions culturelles communiquent en outre leurs mesures d’accessibilité dans différents canaux et dans les réseaux utilisés par les personnes en situation de handicap, soit de manière personnalisée, soit via les associations, les institutions spécialisées ou les organisations faitières.
Dans ce champ d’activité, une attention toute particulière doit être accordée au site internet, qui doit non seulement remplir les normes d’accessibilité numérique, mais aussi proposer une page « Accessibilité » présentant les mesures d’accès de manière synthétique. Les normes d’accessibilité numérique permettent d’assurer l’accessibilité des contenus internet aux publics en situation de handicap, notamment en garantissant la compatibilité des sites internet avec l’utilisation de logiciels d’assistance comme les terminaux braille ou les logiciels de synthèse vocale.18 De plus, l’accessibilité numérique ne se limite pas aux sites internet et touche tous les canaux de communication digitale comme les réseaux sociaux ou les newsletters.19
Pour terminer, on peut encore mentionner que ces cinq champs ont servi de base pour structurer les recherches sur les pratiques en matière d’accessibilité chez les archives, bibliothèques et musées de Suisse romande, dont les principaux résultats vont être présentés dans le chapitre suivant.
Dans le cadre de cet article, deux méthodes ont été utilisées pour récolter des informations sur le point de vue et l’expérience pratique des archives, bibliothèques et musées de Suisse romande. La première méthode vise à obtenir des informations de base sur les pratiques d’accessibilité et le point de vue des institutions culturelles et de mémoire dans le but de tenter de refléter la situation actuelle en Suisse romande. Pour ce faire, un sondage contenant des questions générales sur l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap a été envoyé à différents services d’archives, bibliothèques et musées. La deuxième méthode cherche à ouvrir le dialogue avec des institutions pionnières dans les questions d’accessibilité en Suisse romande, dans le but de présenter des exemples de bonnes pratiques issus du contexte suisse romand. Dans cet objectif, un entretien a été organisé avec une institution détentrice du label « Culture inclusive » afin d’en savoir plus sur son parcours et sa position en matière d’accessibilité culturelle.
Le sondage a été réalisé avec Google Forms et a été envoyé à une cinquantaine d’institutions de Suisse romande comptant des archives, des bibliothèques et des musées et a permis de récolter 31 réponses de la part de personnes travaillant au sein de ces institutions. Dans la partie centrale du sondage, les participant·e·s s’expriment sur les pratiques d’accessibilité de leurs institutions. Les trois catégories utilisées ont été sélectionnées parmi les cinq champs du label « Culture inclusive » de Pro Infirmis : l’accessibilité du bâti, des contenus et de l’offre culturelle. Dans le cas de l’accès au bâti, les réponses sont extrêmement partagées :

Cette répartition très égale des réponses reflète bien la variété des situations rencontrées par les institutions culturelles et de mémoire concernant l’accessibilité du bâti. En effet, les personnes ayant répondu par « non » ou « plutôt non » évoquent l’ancienneté de leurs bâtiments ainsi que leur valeur patrimoniale, ce qui peut fortement limiter la mise en place de mesures d’accessibilité, notamment l’installation d’un ascenseur. Parmi les principaux obstacles mentionnés, il y a l’automatisation nécessaire des portes, les espaces exigus, le grand nombre d’escaliers, l’absence d’ascenseurs et de toilettes adaptées ou encore les bandes de guidage manquantes pour les publics en situation de handicap visuel. Parmi les personnes ayant répondu « oui » et « plutôt oui », certaines mentionnent de récents aménagements ou un projet de construction d’un nouveau bâtiment qui devrait « les mettre à jour » en matière d’accessibilité. D’autres mentionnent la mise en place de mesures comme un bon éclairage, la hauteur adaptée de l’interphone à la porte ou les tables accessibles en fauteuil roulant dans la salle de lecture et basent leur évaluation positive sur le dialogue avec des associations spécialisées comme Procap ou sur le retour direct des usager·ère·s en situation de handicap. Parmi les mesures que le personnel aimerait ajouter pour faciliter l’accès au bâtiment, on retrouve principalement l’ajout de rampes et de mains courantes aux escaliers, la construction d’un ascenseur et la mise en place de plus de mesures pour les personnes avec un handicap visuel, comme une commande vocale dans l’ascenseur, une signalétique en braille ou une boucle auditive ; beaucoup évoquent également l’envie de déménager dans de nouveaux locaux plus récents et plus adaptés.
Dans le cas de l’accessibilité aux contenus, la majorité des participant·e·s estime que les contenus et ressources mis à disposition par leurs institutions sont accessibles :

Parmi les principales ressources manquantes mentionnées par les personnes ayant répondu « non » et « plutôt non », on peut citer les alternatives au contenu alliant texte et image, les collections réservées spécifiquement aux personnes en situation de handicap, les textes faciles à lire et à comprendre (FALC) et les livres audio ou en braille. Plusieurs personnes mentionnent également l’inaccessibilité de leur site internet et de leur catalogue. Au niveau des musées, les participant·e·s évoquent l’absence de dispositifs particuliers comme des modèles tactiles ainsi que le fait que les textes sur les cartels et les bornes audiovisuelles sont souvent inadaptés et trop longs. Un témoignage provenant d’un service d’archives explique que seule une petite partie des archives ont été numérisées et peuvent être mises à disposition sur des écrans permettant une visualisation agrandie, qu’aucune « traduction » n’est disponible en braille et que seule la lecture par une personne de l’institution peut être envisagée. Cette personne précise ensuite que les ressources en personnel étant limitées, ce n’est pas une solution autre que très ponctuelle et en conclut que le fonctionnement général de l’institution (mise à disposition d’archives) n’est pas adapté. Une autre personne soulève également les problèmes liés à la conservation des documents limitant l’utilisation de scanners adaptés.
Les personnes ayant répondu par « oui » et « plutôt oui » listent leurs collections accessibles composées notamment de contenus en FALC et en audiodescription, de livres audio et de livres en gros caractères ainsi que la mise à disposition de moyens auxiliaires comme un téléagrandisseur, des loupes, des lampes d’appoint et des liseuses. Le personnel des archives met en avant les différents efforts de numérisation des fonds les plus demandés, le service de numérisation sur demande, l’accès en ligne des documents et la disponibilité du personnel pour présenter les documents en salle de lecture. Ces différentes mesures se retrouvent également dans les mesures que les participant·e·s aimeraient mettre en place pour faciliter l’accès aux contenus. On peut également citer l’accès au catalogue et au plan de classement en ligne ainsi qu’au site internet en général, l’inclusion de contenus en braille dans les collections et la mise en place d’un étiquetage plus lisible pour les personnes en situation de handicap visuel sur les livres audio.
Le troisième domaine du sondage concerne l’accessibilité de l’offre culturelle et les réponses sont à nouveau relativement partagées :

Ces réponses doivent cependant être nuancées, car certaines personnes expliquent ne pas s’occuper de la médiation culturelle et donc ne pas être en mesure de répondre, tandis que d’autres mentionnent le fait que leur institution ne propose pas de médiation culturelle. Parmi les réponses plutôt négatives pouvant quand même être examinées, les participant·e·s évoquent majoritairement le fait que la médiation culturelle ne prend pas vraiment en compte les différents besoins des personnes en situation de handicap. Au niveau des réponses plutôt positives, certaines institutions mettent en place un parcours spécifiquement conçu dans les expositions pour les publics avec un handicap, notamment visuel, des ateliers de médiation culturelle pour les personnes avec des handicaps cachés et des visites guidées signées. D’autres participant·e·s évoquent des animations pour les personnes en situation de handicap et des animations animées par des personnes en situation de handicap, la retransmission, par exemple de conférences, directement dans les appareils auditifs et la mise à disposition de lunettes de lecture, le sous-titrage des films lors de projections, la traduction en langue des signes, l’organisation de visites tactiles et la collaboration avec des associations et des personnes concernées. En plus des mesures citées plus haut, les participant·e·s souhaiteraient également mettre en place une formation du personnel pour l’accueil des publics en situation de handicap, des partenariats durables avec des associations spécialisées et le développement de visites et d’ateliers plus attractifs pour toutes et tous faisant appel aux cinq sens.
Parmi les autres réflexions intéressantes évoquées dans le sondage, un témoignage met en évidence l’importance de l’accès au bâtiment pour accéder ensuite aux contenus et à l’offre culturelle et déplore le fait que le bâti historique empêche un accès global aux publics en situation de handicap. Au niveau des archives, il ressort de ce sondage que l’accès aux contenus et aux documents, lié plus généralement à l’accès à l’écrit, pour les personnes en situation de handicap visuel représente le principal défi pour les archivistes, ce qui souligne l’importance de connaitre les différentes manières qu’ont ces personnes d’accéder à l’écrit. Plusieurs personnes mentionnent un manque de volonté et de ressources généralisé freinant les actions de mise en accessibilité dans leurs institutions et évoquent la nécessité d’exercer une pression politique. Une personne souligne l’importance de nouer des partenariats avec d’autres institutions situées dans la même ville pour élaborer un programme commun à destination des personnes en situation de handicap et dialoguer ensemble avec les autorités locales pour implémenter des mesures d’accessibilité à l’échelle de la ville.
Ce sondage montre également qu’il est important que les institutions culturelles et de mémoire connaissent bien leurs missions et leurs publics. En effet, une personne définit le public de son institution comme étant constitué majoritairement de chercheur·se·s à l’interne, ce qui peut expliquer le fait que l’accessibilité ne soit pas forcément au centre des préoccupations de l’institution. Dans ce contexte, il ne faut pas oublier que la communauté scientifique compte également et comptera à l’avenir de plus en plus de personnes en situation de handicap, parfois invisible, et que cela peut les freiner dans leurs recherches. Les résultats obtenus lors de ce sondage nous permettent de constater qu’il n’y a à priori pas de corrélation entre le type d’institution et son niveau d’accessibilité, mais il en ressort que les bibliothèques de Suisse romande sont un peu plus avancées à tous les niveaux en matière d’accessibilité que les musées et les archives. En résumé, ce sondage montre que les réflexions autour de l’accessibilité sont présentes dans les champs de l’archivistique, la bibliothéconomie et la muséologie en Suisse romande, que certaines institutions sont même relativement avancées sur ces questions et que les principaux obstacles rencontrés par les institutions sont les caractéristiques historiques de leurs bâtiments, le manque généralisé de ressources et la nécessité d’un accompagnement professionnel dans la mise en place de mesures d’accessibilité.
Afin de proposer des exemples d’institutions romandes pionnières en matière d’accessibilité, les expériences concrètes de la Bibliothèque municipale de Vevey, institution partenaire du label « Culture inclusive », vont à présent être détaillées par le biais du témoignage de la responsable de la médiation culturelle Mylène Badoux et du bibliothécaire Eamon Byrne Jossen, qui ont en effet accepté d’échanger au sujet de leur parcours en matière d’accessibilité.
La Bibliothèque de Vevey met en place un grand nombre de mesures à l’attention des publics empêchés, parmi lesquels les publics en situation de handicap. Pour Mylène Badoux, l’orientation de la bibliothèque vers l’accessibilité et l’inclusion s’inscrit dans « sa mission de service public ». Elle explique également que la bibliothèque a pour devoir de réfléchir à quel public ne fréquente pas la bibliothèque, d’identifier quelles sont les personnes qui sont discriminées dans leur rapport à la culture et d’examiner ce qu’il faut faire pour que cela change : ce sont des questions « essentielles » sur lesquelles travaille la Bibliothèque de Vevey et qui permettent d’amener les personnes qui sont en marge un peu plus au centre.
Ces premiers éléments montrent que la mission de la bibliothèque en tant qu’institution ainsi que la manière dont cette mission est interprétée par le personnel jouent un rôle important dans son positionnement par la suite par rapport aux questions d’accessibilité et d’inclusion culturelle. Un autre point intéressant souligné par Mylène Badoux concerne le fait que dans le cas des bibliothèques publiques, il y a souvent « une méconnaissance des publics », « une incompréhension du public des publics » : les bibliothécaires affirment souvent que les personnes en situation de handicap ne font pas partie de leurs publics, alors que par définition une bibliothèque publique promeut l’accès à la culture et à l’information pour toutes et tous et donc que les personnes handicapé·e·s font partie intégrante de leurs publics. Pour Mylène Badoux, cette méconnaissance n’est pas malveillante, mais peut être reliée au fait que ces questions sont trop peu, voire pas du tout abordées dans les différentes formations en sciences de l’information à l’heure actuelle, ce qui est selon elle très difficile à faire évoluer. Mylène Badoux souligne également que tenter de rendre une institution accessible est vraiment très prenant et difficile, du fait du grand nombre de handicaps différents et de leurs spécificités, qui parfois s’annulent mutuellement et impliquent qu’en voulant inclure un public, on peut en exclure un autre. Le parcours vers l’accessibilité peut paraitre insurmontable, mais devient selon elle possible avec le bon accompagnement.
Parmi les mesures réalisées à la Bibliothèque de Vevey, on retrouve notamment un grand travail de réorganisation et d’enrichissement des collections. En effet, des lecteurs et des livres DAISY20, des livres en grands caractères, des livres DYS, des livres tactiles et en braille et une collection facile à lire (FAL) ont été achetés et regroupés dans deux étagères dans le secteur jeunesse et adulte intitulées « Lire autrement » pour « ne pas stigmatiser ». Parallèlement à ces mesures, la Bibliothèque de Vevey a cherché les conseils d’une experte en malvoyance et basse vision et de la Bibliothèque Sonore Romande pour améliorer leurs services pour les personnes en situation de handicap visuel et auditif. Dans ce contexte, la version papier du programme culturel a été adaptée pour être accessible aux personnes en situation de handicap visuel, le logiciel NVDA21 a été installé sur les postes informatiques de la bibliothèque et divers événements incluant des intervenant·e·s en situation de handicap sont organisés. Finalement, les portes ont été automatisées et le personnel de la bibliothèque formé et tenu au courant des différentes mesures mises en place, afin de pouvoir assurer le bon accueil des publics en situation de handicap dans la bibliothèque. Parmi les mesures les plus récentes, un grand travail sur la signalétique est effectué pour harmoniser les indications écrites et les rendre accessibles, une présentation FAL de la bibliothèque est rédigée et publiée et les collections à destination des personnes en situation de handicap auditif et visuel sont continuellement enrichies. Le site internet est entièrement remanié et repensé selon différents critères d’accessibilité numérique et des pages dédiées aux différents types de handicap sont progressivement ajoutées. Finalement, un cycle de la programmation culturelle est dédié à la culture inclusive dans le but de décentrer le regard.
Parmi les conseils plus généraux, Mylène Badoux évoque la mise en place de mesures d’accessibilité sur plusieurs axes simultanément, sans prioriser un champ d’action ou un public, dans le but de faciliter le travail du personnel de la bibliothèque et de favoriser le confort des publics. Eamon Byrne Jossen mentionne également des mesures peut-être plus simples à mettre en place et nécessitant peu de moyens, comme la démultiplication des chemins menant à l’information en répétant les informations à plusieurs endroits et sous plusieurs formes, ce qui facilite énormément l’accès des différents publics aux services de la bibliothèque. Pour conclure, l’importance du rôle joué par le label « Culture inclusive » dans le parcours de la Bibliothèque de Vevey vers l’accessibilité a été thématisé tout au long de l’entretien. Mylène Badoux souligne à de nombreuses reprises qu’il aurait été très compliqué de mettre en place toutes ces mesures sans l’expertise du label, son influence positive dans les dialogues avec les personnes concernées et son apport décisif en termes de poids politique ainsi que dans la légitimation et la visibilisation des démarches entreprises par la bibliothèque.
La très grande diversité des handicaps et de leurs manifestations, la complexité inhérente au développement de mesures d’accessibilité culturelle ainsi que les différents témoignages pratiques montrent qu’il est essentiel d’ancrer l’accessibilité dans la stratégie des institutions afin que les mesures mises en place et la culture de l’accueil développée envers les publics puissent être pérennisées et que les institutions deviennent durablement accessibles, sans que cela soit dépendant des initiatives individuelles de quelques employé·e·s. De plus, il est utile de prévoir son projet de mise en accessibilité suffisamment en avance et de commencer par prendre du temps pour observer la situation, se renseigner sur les questions liées à l’accessibilité, nouer des partenariats et bien anticiper les besoins des publics, afin de garantir au mieux l’efficacité des mesures introduites et de prendre efficacement en compte leur pérennisation dans la planification.
Pour terminer, un autre aspect très important concerne le fait que l’accessibilité à la culture et à l’information pour toutes et tous fait partie inhérente de la mission des archives, des bibliothèques et des musées. Garantir cet accès pour tous les publics est donc un devoir qui va au-delà des exigences légales et qui relève de la responsabilité éthique de ces institutions, qui peuvent jouer un grand rôle dans l’inclusion des personnes en situation de handicap dans la société. D’après l’indice de l’inclusion réalisé par Pro Infirmis en 2023, quatre personnes en situation de handicap sur cinq se sentent profondément exclues dans leur participation à la vie de la société et 42% des personnes en situation de handicap se sentent fortement limitées dans leur participation aux domaines de la vie relevant des loisirs et de la culture.22 Au-delà de leur rôle dans l’inclusion des personnes en situation de handicap dans la société, les institutions culturelles et de mémoire peuvent également exercer une influence décisive dans la sensibilisation du grand public aux questions de handicap, d’accessibilité et d’inclusion culturelle, contribuant ainsi à changer les mentalités et à combattre le validisme. Pour toutes ces raisons, il est important que des organismes publics ou associatifs, comme Pro Infirmis, apportent des conseils et de fournissent des outils aux archives, bibliothèques et musées souhaitant améliorer leur accessibilité, d’autant plus que les témoignages soulignent qu’il est très difficile de mettre en place des mesures d’accessibilité sans accompagnement professionnel et que la formation dans les sciences de l’information n’est pas assez axée sur ces thématiques.
Les réflexions tirées de la pratique professionnelle et la présentation de la situation actuelle montrent donc que la Suisse a encore un long chemin à parcourir en matière d’accessibilité culturelle et qu’il est crucial que ces questions continuent d’être discutées et étudiées au sein de l’archivistique, de la bibliothéconomie et de la muséologie en Suisse romande. Pour peu qu’elles disposent de moyens adéquats, les institutions culturelles et de mémoire pourraient significativement contribuer à rendre le monde de la culture, de l’information et du patrimoine plus accessible en Suisse, continuant ainsi à honorer leur mission et à refléter l’inclusivité grandissante de notre société en pleine évolution.