Archives de l'environnement et environnement d'archives

Déploiement de la norme de description des fonctions ISDF dans le contexte vaudois et dans le domaine de l'environnement

Mathias Walter

L'expansion du numérique dans les administrations oblige les archivistes à repenser leurs pratiques. Sans chercher à démontrer les liens de cause à effet, cette expansion change les façons de travailler des producteurs d'archives, modifie la manière dont sont constitués les dossiers (hybridation des dossiers papier et électroniques, doublons) et augmente les masses de documents d'activité. Tout cela influe au final sur les archives définitives et leur qualité. Ces mutations mettent au défi les archivistes quant à leur capacité d'assurer les missions qui sont les leurs : collecter, conserver, communiquer et mettre en valeur les archives.

Une première tendance de l'archivistique moderne, pour y répondre, est d'intervenir en amont de la chaîne de création documentaire. La sélection des documents au moment de leur création, en collaboration avec les services producteurs, permet d’appréhender les masses documentaires ainsi que d'anticiper les versements et instaurer des procédures de traitement adaptées. Une deuxième tendance tient à la description et à la restitution des contextes de création des documents d'archives. L'enjeu est le respect du principe de provenance, afin que les données et les documents conservent leur sens et demeurent exploitables dans la durée. Le lien entre les documents électroniques et leur contexte de création peut s'avérer fragile[1]. La perte de ce contexte constitue à l'heure actuelle un risque non négligeable, mais également une chance pour les archivistes. Le développement des normes de description archivistiques internationales est un pas dans cette direction, dans la mesure où elles s'attachent non seulement à décrire les contenus (ISAD(G))[2], mais également le contexte, au travers de la description des producteurs (ISAAR(CPF))[3], des institutions d'archives (ISDIAH)[4] et des fonctions (ISDF)[5].

C'est vers cette dernière norme que cet article va se concentrer. La norme ISDF est née du constat que le contexte de production des documents d'archives ne pouvait se résumer aux producteurs décrits selon la norme ISAAR(CPF), mais devait prendre en compte les missions en vertu desquelles les documents d'archives étaient produits.

Outre son potentiel en matière d'enrichissement contextuel, la norme ISDF possède une autre caractéristique. Dans la partie introductive de la norme ISDF, il est spécifié que le terme de « fonction » est directement inspiré du Records Management[6] tel que défini dans la norme ISO 15489. Selon cette dernière norme, les fonctions, l'analyse fonctionnelle et le plan de classement fonctionnel sont au cœur même du Records Management. Cela positionne les fonctions à la fois dans le champ du Records Management et dans celui de l'archivistique.

Les fonctions et la norme ISDF pourraient en ce sens constituer des outils pour faire avancer les deux tendances de l'archivistique moderne évoquées plus haut, à savoir le besoin de contextualisation et la nécessité d'intervenir dès la création des documents.

L'environnement ou plutôt la gestion de l'environnement dans le canton de Vaud par la Direction générale de l'environnement (DGE) de l’État de Vaud constitue le terrain de cet article.

L'environnement, en tant que concept et objet de l'action étatique, est relativement récent (deuxième moitié du 20ème siècle)[7]. Il est un exemple magistral de la naissance d'une politique publique et des changements de paradigme pouvant intervenir dans la manière d'administrer un domaine d'activité. Aux anciennes fonctions de gestion et d’exploitation des ressources naturelles (police de la chasse, police de la pêche, exploitation forestière et aménagement forestier, corrections fluviales et force hydraulique) s'ajoutent, se combinent ou s'opposent aujourd'hui la protection et la conservation des espèces et des milieux naturels.

L’analyse des fonctions au travers de la norme ISDF peut rendre compte des permanences et des changements. En mettant en relation les sources (fonds d'archives), les producteurs anciens et actuels avec les fonctions, la norme ouvre de multiples possibilités que le présent article a pour but d’alimenter.

Après quelques définitions d’usage, il s’agira d’analyser les fonctions de la Direction générale de l’environnement, puis de les décrire selon la norme ISDF. Enfin, j’exposerai les principales limites et les potentiels d’une telle démarche.

Les fonctions et la norme ISDF

Définitions

Dans le langage courant, une fonction désigne une activité professionnelle, une responsabilité ou toute tâche qu'une personne exécute. Ce terme s'emploie également très fréquemment pour désigner l'utilité d'un objet, par exemple la fonction d'une clé, d'un téléphone, etc. En mathématique, les fonctions mettent en relation des quantités de telle manière qu'une variation de l'une d'elles fait varier de manière correspondante les autres.

Tous ces usages possibles compliquent la compréhension de ce que, dans le domaine des normes internationales de description archivistique et en particulier dans la norme internationale pour la description des fonctions (ISDF), l'on entend exactement par fonction.

Voici la définition d'une fonction donnée par la norme :

« Toute fin ou tâche de haut niveau relevant des responsabilités d’une collectivité en vertu d’une loi, d’une politique ou de son mandat. Les fonctions peuvent être subdivisées en ensembles d’opérations coordonnées, telles que des sous-fonctions, procédures opérationnelles, activités, tâches ou transactions. »[8]

En résumé, dans le cas d’une administration publique, une fonction met en relation l'action de l'État, d'un service ou d'un office avec son utilité. Une fonction est l'action de l'État dans un domaine particulier pour y résoudre un problème particulier[9]. Cette action peut prendre la forme d'une régulation, d'une planification, d'un contrôle, d'une gestion, etc.

La définition de la norme mentionne une série de termes associés qui peuvent à leur tour être définis :

   Sous-fonction : la subdivision des fonctions et sous-fonctions peut servir à des fins de structuration, mais le sens reste identique.

   Activité : « Action(s) sur un ou plusieurs objets »[10] ou ensemble d’actions et d’opérations visant un but déterminé. Ce que le service ou l'organisation fait concrètement.

   Procédure opérationnelle ou processus d'affaires : « Suite continue d'activités logiquement interreliées qui aboutissent à un résultat »[11]. Vise à coordonner l'action de plusieurs entités s'occupant tour à tour d'un dossier par exemple. Il s'agit d'une activité à laquelle les notions de temporalité et d'acteurs multiples sont ajoutées.

   Tâche : travail devant être exécuté. Ce que le service ou l'organisation doit faire.

   Transaction : la plus petite opération au sein d'une activité.

La norme ne fixe pas de hiérarchie entre ces différents termes[12]. Parmi la liste ci-dessus, trois termes se détachent néanmoins et semble avoir une relation hiérarchique : celui de fonction, celui d'activité et celui de transaction. La transaction étant la plus petite subdivision et la fonction comme étant un « ensemble d'activités des domaines d'affaires et de gestion interne d'une organisation »[13].

La norme ISDF et le système de normes archivistiques internationales

Si la description archivistique est aussi ancienne que la discipline elle-même, elle ne garantit pas automatiquement l'accès et la bonne utilisation des documents d'archives. L'existence de différentes traditions ou pratiques en matière de description archivistique peut rendre la recherche et l'accès aux documents parfois complexes et nécessite bien souvent des connaissances préalables sur l'histoire du territoire et de l'institution où sont conservés ces documents. Et cela peut ne pas suffire si différentes pratiques de description coexistent au sein d'une même institution.

Pour que la description archivistique puisse remplir son rôle, il est nécessaire que cette dernière puisse être comprise par le plus grand nombre à l'intérieur et à l'extérieur des institutions ainsi que par les différents systèmes informatiques. C'est dans ce but que l'ICA, sur le modèle des bibliothèques[14], a commencé dès la fin des années 1980 à réfléchir à l'élaboration de normes internationales.

L’ISDF est la troisième des quatre normes élaborées par le Conseil international des archives (ICA), les trois autres étant ISAD(G), ISAAR(CPF) et ISDIAH.

Elle a été adoptée en 2008 lors du 16ème Congrès international des archives à Kuala Lumpur[15]. Elle a pour objectif d'enrichir la description du contexte de création et de gestion des documents d'archives, en fournissant « les lignes directrices pour la description des fonctions des collectivités associées à la production et à la gestion des archives »[16].

La connaissance du contexte fonctionnel vient compléter celle du producteur (ISAAR(CPF)), enrichit la compréhension et améliore la recherche et l'accès aux documents d'archives : « Un organisme peut subir de multiples réorganisations ou cesser d’exister. Ses fonctions peuvent également être transférées à un autre organisme, elles peuvent être réparties entre différents organismes ou fusionnées avec une autre fonction. De multiples producteurs peuvent être ainsi à l’origine d’une série organique. Dès lors, il sera beaucoup plus difficile pour l’utilisateur de reconstituer le contexte de production des documents d’archives si l’on met seulement à sa disposition plusieurs notices d’autorité décrivant des collectivités ayant exercé une même fonction »[17].

À la question de savoir qui a produit les documents (ISAAR(CPF)) s'ajoute désormais la question de savoir pourquoi ils sont produits. De quelle activité leur création découle-t-elle ?

Ces normes sont complémentaires et visent une description archivistique permettant « d’identifier et d’expliquer le contexte et le contenu des documents d’archives afin de favoriser leur accessibilité et leur utilisation »[18].


Les relations entre les normes de l'ICA et les entités qu'elles décrivent peuvent être modélisées par le schéma[19] suivant :

L'objectif de l'ICA est de créer un système de description archivistique cohérent et exhaustif capable de répondre aux besoins suscités par l'avènement de l'environnement en réseau : « Les quatre normes de l’ICA décrivent le cœur d’un système descriptif dans lequel différentes descriptions contextuelles sont créées et mises à jour de manière indépendante mais reliées entre elles d’une manière qui est essentiellement transparente pour l’utilisateur. Lorsque ces normes sont utilisées conjointement dans le cadre d’un système ou d’un réseau de description archivistique, les descriptions des documents d’archives sont liées à des descriptions de documents d’archives, à des notices d'autorité de collectivités, de personnes et de familles, et à des descriptions de fonctions, et vice versa. »[20]

Analyse fonctionnelle : le repérage et la hiérarchisation des fonctions de la DGE

Si la description des fonctions offre un point d'accès complémentaire et de qualité aux archives, un travail en amont est nécessaire afin de les identifier. C'est ce qui a été réalisé, ici, pour la Direction générale de l'environnement du Canton de Vaud (DGE). L'amont se situe, ici, au sein même du service producteur, lorsque les documents d'archives sont aux mains des records managers.

La norme ISO 15489[21] préconise une analyse des activités sur laquelle va reposer l'ensemble d'un programme de Records Management.

Cette analyse consiste à : « Recueillir l'information au moyen des sources documentaires disponibles et d'interviews ; identifier et documenter toutes les fonctions, activités et opérations et les hiérarchiser dans un plan de classement des activités ; identifier et documenter le déroulement des processus et les opérations dont ils font partie. »[22]

Elle a pour objectif « de développer un modèle conceptuel de ce que fait un organisme et de comment il le fait. Elle montrera comment les documents se rattachent à la fois aux activités de l’organisme et à ses méthodes de travail. [...]. Une analyse des activités et des méthodes de travail permettra une bonne compréhension des relations entre les activités de l’organisme et ses documents d’archives. »[23]

Voici une schématisation du résultat de cette analyse appliquée à la Direction générale de l'environnement :



Ce schéma fait apparaître la complexité des relations entre les différentes fonctions (turquoise foncé et en gras) de la DGE, qu'elles soient de nature hiérarchique ou associative[24].

Ainsi, à titre d’exemple, l'assainissement des anciennes décharges est lié à la gestion des carrières, car nombre de ces dernières, une fois arrivées en fin d'exploitation, ont pu servir de décharges jusqu'au début des années 90.

Cette complexité va se retrouver au niveau documentaire. Un document concernant la production d'énergie par l'incinération de déchets produit par la Direction de l'Energie DGE-DIREN peut être mis en relation au travers de cette analyse fonctionnelle avec un dossier constitué par la division DGE-GEODE en charge de la gestion des déchets.

La description des fonctions

La description des fonctions a été réalisée à l'aide du logiciel AtoM. Il s'agit d'un logiciel open source de description archivistique permettant aux institutions de saisir et mettre en ligne leurs inventaires. AtoM est la contraction de « Access to Memory »[25].

Le logiciel a l'avantage de reposer sur les quatre normes de l'ICA ISAG(G), ISAAR(CPF), ISDIAH et ISDF, à partir desquelles une modélisation conceptuelle propre a été développée[26]. Le logiciel permet donc de relier concrètement des documents d'archives, des producteurs, des institutions de conservation et des fonctions. C'est précisément cette possibilité qui a justifié le choix du logiciel AtoM dans la présente étude.

Le résultat de la description des fonctions, telles qu'identifiées et modélisées au chapitre précédent, est présenté sur la plate-forme des archives communales vaudoises[27], qui utilise le logiciel AtoM.

Les ressources à disposition n'ont permis qu'une description partielle des fonctions identifiées. L'accent a été mis sur les relations entre les fonctions, ses subdivisions et les autres entités. Ce afin de mettre en lumière le potentiel de la description des fonctions à défaut de pouvoir la démontrer.

Ainsi, de la norme ISDF, je me suis concentré sur les champs suivants :

   Type : fonction, activité ou transaction

   Forme autorisée du nom : nom officiel

   Autre forme du nom : par exemple les anciens noms

   Dates : sert à indiquer les dates d'existence de la fonction

   Description : sert à définir la fonction et à donner des éléments de compréhension sur sa nature

   Législation : cadre légal, mandat

   Fonction associée : nom et type de la fonction associée, dates de la relation, nature de la relation, description de la relation

   Notice d'autorité associée : nom de la notice associée, dates de la relation, nature de la relation, description de la relation

   Unité de description associée : nom de la ressource associée, dates de la relation, nature de la relation, description de la relation

Le grand absent de cette liste est le champ « Historique » qui constitue un élément fondamental, mais qui n'a pas pu être développé dans ce travail.

De mon point de vue, l'objectif serait d'arriver à une description sommaire de la nature des fonctions et activités et de la manière dont elles ont été exercées à travers le temps. Il ne s'agit pas d'effectuer un travail historique en bonne et due forme, cela n'est pas le rôle de l'archiviste, mais d'utiliser les connaissances à disposition (travaux historiques, analyses des politiques publiques, savoirs des producteurs, des records managers et des archivistes) pour proposer des éléments de compréhension capables d'éclairer le contexte de création des documents d'archives.

Potentiels et limites de la description des fonctions

Du point de vue de la théorie archivistique

Les avantages de la description des fonctions en matière d'enrichissement contextuel, de recherche et d'accès ont déjà été évoqués. Trois autres réflexions théoriques méritent un commentaire.

   Le principe de provenance en mutation : la provenance est de plus en plus perçue comme un réseau de relations[28]. Les documents d'archives ne sont plus seulement associés aux producteurs, mais également aux gestionnaires et aux fonctions. Pour représenter cela, plusieurs termes ont été inventés comme la provenance fonctionnelle, la provenance multiple, la provenance multiple simultanée, la provenance parallèle, etc.

Un document d'archives provient d'un producteur, mais également de la fonction qu'il documente (provenance fonctionnelle). Une fonction peut elle-même être exercée successivement ou en même temps par différents producteurs (provenance multiple et provenance multiple simultanée). Lorsqu'un document d'archives est créé et décrit dans la même période de temps, on parle alors de provenance parallèle dans la mesure où le document témoigne de deux fonctions différentes (la création et la description)[29].

Ces concepts montrent que la multitude des relations possibles entre acteurs, fonctions et documents d'archives devient essentielle pour rendre compte de la provenance.

   La critique de la notion de fonds d'archives : Peter Scott, dans les années 60, soulignait que le niveau de description adapté à une fonction ou à une activité est la série organique et a proposé un système centré sur elle. Les séries organiques constituent selon lui le meilleur niveau pour la description, car elles reflètent une fonction ou une activité et sont donc plus homogènes, dans leur contenu, qu'un fonds[30]. Il ne rejetait pas la nécessité de préserver les documents d'archives dans leur contexte de création, mais préconisait de séparer l'archivage physique au rayon (respect des fonds) de la description.

Cette réflexion est particulièrement utile à ce travail qui cherche à mettre en valeur la notion de fonction dans le système de description archivistique.

   L'évaluation et la macro-évaluation de Terry Cook : la macro-évaluation est un concept développé par le Canadien Terry Cook au début des années 90 et s'intéresse au macro-contexte de création des documents d'archives[31]. Elle est mise en œuvre au travers de l'analyse et de l'évaluation des fonctions. Cette théorie cherche à se placer au niveau de la société. Les fonctions de l'État, d'un service, etc. résultent, dans cette perspective, d'un processus d'institutionnalisation des valeurs d'une société. Cette institutionnalisation modifie en retour les valeurs de ladite société qui agit, au travers des citoyens, de la société civile et des processus démocratiques, sur les fonctions de l'État.

La macro-évaluation évalue les fonctions plutôt que les documents d'archives. Cette formulation ne doit cependant pas cacher le fait que la macro-évaluation ne se concentre pas seulement sur les fonctions telles qu'elles sont institutionnalisées (lois et administration), mais également et surtout sur l'interaction entre les fonctions, les structures et les citoyens. Ainsi, les fonctions ne sont pas évaluées pour elles-mêmes, comme témoignage de l'activité de l'État, mais bien par rapport à leur impact sur la société.

Ces brèves réflexions mettent en lumière l'importance prise par les fonctions et activités dans la théorie archivistique. La prise en considération des fonctions répond au besoin de mieux rendre compte de la complexité de la relation entre les documents d'archives et leur contexte. Elles ont en cela un fort potentiel.

Du point de vue du territoire

Un fonds d'archives, une série organique, un document d'archives sont par définition uniques. Une collectivité, une personne et une famille peuvent, moyennant l'adoption de règles communes, facilement être identifiées de manière unique. Il n'en va pas de même pour les fonctions : deux producteurs peuvent exercer la même fonction. La gestion des déchets est une question qui occupe nombre de sociétés à l'heure actuelle et la question se pose de savoir jusqu'où relier (en termes de description archivistique) la gestion des déchets aux Grisons à celle pratiquée dans le Canton de Vaud. Est-ce qu'il s'agit de la même fonction ne nécessitant par conséquent qu'une seule description ? Ou l'exercice de la fonction est-il si différent, dans ces deux cas, que deux notices de description sont nécessaires ?


Si je n'ai pas de réponses définitives, l'essentiel est pour moi que la description des fonctions serve à mettre en relation des ressources archivistiques au sein des institutions de conservation, mais également entre elles. C'est là que réside, à mon sens, un des principaux potentiels de cette description. J'ai donc cherché à modéliser ces relations de façon globale, en incluant les différents niveaux de gouvernements ainsi que la société civile :

Ce schéma montre que la territorialité ajoute un niveau de complexité d’une grande richesse, dont l'étendue est, toutefois, difficile à mesurer dans ce travail ; surtout si l'on tenait à prendre en compte les subdivisions des trois entités en question.

La distinction entre relations primaires et secondaires est une proposition pour modéliser et concilier deux conceptions des fonctions : les documents d'archives comme témoignage des activités (fonction) de l'État (relation primaire) et les documents d'archives comme témoignage de l'activité (fonction) de la société sur elle-même (relations primaires et secondaires)[32].

Du point de vue de la technique

Le logiciel AtoM permet la description des fonctions et la mise en relations des différentes entités (documents d'archives, autorités, fonctions, institutions de conservation. Il laisse ainsi entrevoir le potentiel d'une description approfondie du contexte.

Quelques limites ont néanmoins pu être observées au cours du travail de description :

   Pas d'export possible des notices ISDF pour le moment. Le risque existe que les notices soient piégées dans le système et qu'elles ne soient pas exploitables sans lui. La pérennité de ces données n'est à ce jour pas garantie[33].

   Un manque d'intégration de la norme ISDF a été constaté, en comparaison des trois autres normes (ISAD(G), ISAAR(CPF) et ISDIAH). Il est, par exemple, possible de créer des liens avec une ressource archivistique ou avec une notice d'autorité depuis le formulaire de saisie ISDF ; il n'est en revanche pas possible de créer ces relations depuis les formulaires de saisie d'ISAD(G) et d'ISAAR(CPF).

Du point de vue de la pratique

Lors de l’analyse fonctionnelle et de la description, de nombreux choix ont été opérés et sont le résultat d’une interprétation personnelle. Par exemple la question des niveaux, la gestion des eaux souterraines est-elle vraiment une fonction ou n’est-ce pas plutôt une activité ?

Les critères justifiant ces choix ne pourraient être généralisés qu’en impliquant la plus large communauté professionnelle possible. La discussion et la confrontation des points de vue permettent en retour l'adoption de bonnes pratiques au sein de la communauté.

De plus, la conception d'un système tel qu'imaginé requerrait la consultation d'autres communautés professionnelles et membres de la société civile (recherche académique, associations, etc.) et de connaître avec plus de précision leur besoin en tant qu'utilisateurs ou comme producteurs d'archives en lien avec une fonction. Cela pourrait également être un moyen d'augmenter l'audience des archives.

Une limite pratique importante est celle du coût. Mettre en place un programme complet de description des fonctions aurait de grandes répercussions financières.

Du point de vue du Records Management

Les fonctions ont une influence certaine lors de toutes les interventions archivistiques ou fonctions archivistiques, et cela, dès la création des documents d'archives.

L'analyse fonctionnelle permet l'élaboration d'un plan de classement fonctionnel qui constitue la colonne vertébrale d'un système de Records Management. Il permet la gestion d'importantes métadonnées telles que les droits d'accès ou les durées de conservation.

Les fonctions peuvent également être à la base d'autres outils comme des thésaurus et des ontologies. L'exemple australien qui a créé un thésaurus des fonctions gouvernementales (AGIFT) est révélateur du potentiel des fonctions en termes d'indexation et de point d'accès.

L'un des buts majeurs de ce travail serait atteint s'il parvenait à convaincre de la pertinence d'un système de gestion et de description intégré et fonctionnel. Les éléments ci-dessus montrent, en effet, la pertinence de faire correspondre le système de gestion (plan de classement fonctionnel) et le système de description archivistique.

La description d'un document d'archives faite par le records manager au moment de l'enregistrement peut servir sa description archivistique (récupération de métadonnées depuis le système d'information du producteur, etc.)[34]. Les coûts, évoqués plus haut, d’une description systématique des fonctions seraient balancés par les gains dus à la récupération d’informations descriptives depuis un système de gestion documentaire basé sur les fonctions.

La description archivistique peut, en retour, servir le producteur (et par voie de conséquence le records manager) au moment de la création de nouveaux documents d'archives. Il est facile d’imaginer intégrer, à un plan de classement fonctionnel, la possibilité de pointer directement vers la description des fonctions, leur histoire, la succession des producteurs, les ressources archivistiques, la législation historique et celle qui est en vigueur. Cette fonctionnalité me semble pouvoir constituer une belle plus-value sur le plan de la gestion, de la continuité des affaires et pour donner une profondeur historique à l'action d'un service producteur tel que la DGE.

Conclusion

Le domaine de l’environnement, sa territorialité et son réseau complexe de fonctions ont permis d'éclairer de façon saillante la problématique de ce travail. Le jeu entre les termes archives et environnement dans le titre cherchait à lui donner d'emblée une orientation centrée sur le(s) contexte(s) des documents d'archives.

Je me suis focalisé sur la description des fonctions au travers d'un double questionnement, sur, en premier lieu, son intérêt pour la description archivistique traditionnelle et, en deuxième lieu, sur son intérêt en vue de rapprocher le Records Management et l'archivistique.

Des pistes de réflexion ont été données. Si l’accent a largement été porté sur la manière dont la description des fonctions enrichissait le contexte de création et d'utilisation des documents d'archives, cet article propose également d'intégrer la gouvernance (la société civile et l'ensemble des acteurs) dans la description archivistique et d'utiliser cette description dans la continuité des interventions archivistiques, de la création à la diffusion.

Les deux tendances de l'archivistique identifiées dans l'introduction, la restitution du contexte et l'intervention en amont dès la création des documents, trouvent ainsi quelques réponses.

La description des fonctions grâce à la norme ISDF donne des clés pour effectuer cette importante mise en contexte. Particulièrement si cette norme est pensée comme une composante d’un système ou d’un modèle conceptuel de description archivistique.

L'intégration et l'interaction entre les outils archivistiques et ceux de gestion sont également fondamentales. Outre les potentialités techniques et pratiques qu'elles peuvent offrir dans un environnement numérique, cet article a voulu montrer leur pertinence théorique.

L'archiviste global[35] doit savoir évoluer à la fois dans la dimension fonctionnaliste de la gestion documentaire[36] et dans la dimension critique des documents d'archives. Il doit chercher des moyens concrets pour pouvoir le faire, s'il veut continuer à servir ses différents publics : l'administration, mais aussi les historiens, les autres chercheurs, les citoyens, la société civile et le grand public.

Pour conclure et si l'on devait résumer ce qui précède en une phrase, cet article a cherché à montrer l'importance de la description des fonctions pour l'archiviste global dans l'accomplissement de ses différentes fonctions au sein de l'administration en même temps que pour donner un accès aux ressources archivistiques au plus grand nombre. Il s'agit, selon moi, d'une condition essentielle pour que l’archiviste global puisse évoluer durablement dans son environnement.




[1]    Les systèmes électroniques de Records Management (ERMS) garantissent le contexte de création.

[2]    General International Standard Archival Description (ISAD(G)).

[3]    International Standard Archival Authority Record for Corporate bodies, Persons and Families (ISAAR(CPF)).

[4]    International Standard for Describing Institutions with Archival Holdings (ISDIAH).

[5]    International Standard for Describing Functions (ISDF).

[6]    Le terme de Records Management sera développé et utilisé à maintes reprises au cours de ce travail. Dans une vision traditionnelle, le Records Management concerne la gestion des documents courants, tandis que l'archivistique de celle des documents historiques.

[7]    François Walter parle d'invention de l'environnement : Walter, François, Les Suisses et l'environnement: une histoire du rapport à la nature, du XVIIIe siècle à nos jours. Genève : éd. Zoé, 1990,
p. 219.

[8]    ICA-ISDF : norme internationale pour la description des fonctions, 1ère éd., 2007.

[9]    Il ne s'agit pas de problèmes objectifs, dans la mesure où leur identification, leur définition et les réponses apportées au travers des lois résultent du jeu des acteurs, des intérêts, des ressources en présence ainsi que des règles institutionnelles. Voir Knoepfel, Peter, Larrue, Corinne, et Varone, Frédéric, Analyse et pilotage des politiques publiques, Zürich ; Chur : Rüegger, 2e éd., 2006.

[10]    Roberge, Michel, Le schéma de classification hiérarchique des documents. Québec : Michel Roberge éd., p. 12.1.

[11]    Ibid., p. 12.12.

[12]    Claire Sibille et Padre Baroan font état de divergences d'interprétation entre ces différents termes lors de l'élaboration de la norme qui peut expliquer cela. Baroan, Padre et Sibille, Claire, Une nouvelle norme pour décrire les fonctions : ICA-ISDF. In : Comma, revue internationale des archives, 2008, 2, p. 117.

[13]    Roberge, Michel, p. 12.7.

[14]    Les bibliothèques ont élaboré dès les années 1960 des normes d'échange pour les notices bibliographiques.

[15]    Plusieurs projets de description des fonctions ont précédé et alimenté la norme ISDF, notamment le thésaurus des fonctions gouvernementales AGIFT développé par les Archives nationales d'Australie et le portail des archives de l'enseignement supérieur en Écosse GASHE.

[16]    ICA-ISDF.

[17]    Boisdeffre, Martine de, Parution des normes ISDF et ISDIAH, note d'information, 2008.

[18]    Ibid., p. 2.

[19]    Inspiré du schéma se trouvant en annexe de la norme ISDF. L’ICA cherche à faire évoluer ce système vers un modèle conceptuel de description archivistique afin de préciser les relations entre les différentes entités et d’éliminer les redondances existantes entre les normes. Un modèle conceptuel définit les entités (documents d'archives, fonctions, producteurs), leurs subdivisions et l'ensemble des relations entre elles. Plusieurs modèles conceptuels coexistent à ce jour, notamment le modèle conceptuel espagnol CNEDA, l'australien AGRkMS et celui du logiciel AtoM. Voir à ce sujet : Gueguen, Gretchen, Manoel Marques da Fonseca, Vitor, Pitti, Daniel, Sibille, Claire, Vers un modèle conceptuel international pour la description archivistique. In : The American Archivist, Vol. 76, N°2, 2013, p. 5.

[20]    Sous-comité des normes de description du Comité des normes et des bonnes pratiques du Conseil international des archives (ICA-CBPS), Rapport d’étape pour la révision et l’harmonisation des normes de description de l’ICA, 2012, p. 5.

[21]    ISO-15489-1 : information et documentation « Records management », 2002.

[22]    Ibid., p. 17.

[23]    ISO-15489-2 : information et documentation « Records management », 2002, p. 10.

[24]    Il ne s'agit pas d'une représentation exhaustive des liens. Le parti pris a été de représenter les liens là où des documents sont générés en parallèle par différentes unités au sein de la DGE.

[25]    https://www.ica-atom.org/

[26]    www.ica-atom.org/doc/Entity_types/fr

[27]    https://inventaires.archivescommunales-vd.ch/index.php/direction-generale-de-lenvironnement

[28]    Voir notamment Finnish national Archives, Finnish conceptual model for archival description, Draft version 0.1, 2013.

[29]    Ibid., p. 9.

[30]    McKemmish, Sue, Archives : rekordkeeping in society. Wagga Wagga: Centre for Information Studies, 2005, p. 170.

[31]    Cook, Terry, Macroapraisal in theory and practice, origins, characteristics, and implementation in Canada, 1950-2000. In : Archival Science, 5, 2005.

[32]    Inspiré par les réflexions de Terry Cook.

[33]    Il s'agit, cependant, d'une question dépassant le logiciel AtoM et impliquant l'ensemble de la communauté internationale. L'objectif est d'aboutir au développement de l'équivalent des formats d'encodage EAD (pour les documents d'archives) et EAC (pour les notices d'autorité) pour les fonctions, c'est-à-dire un EAF ou un EAC-F. En Suisse, les Archives de l'État du Valais et l'entreprise Docuteam ont proposé un proto-EAF prometteur. Voir Dubois, Alain, et Wildi, Tobias, Vers une intégration complète des standards de description du Conseil international des Archives : réflexions autour du processus décisionnel du Conseil d'État valaisan, Forum des archivistes genevois, 2013.

[34]    Sur la possibilité d'améliorer la qualité des archives électroniques par l'intervention de l'archiviste dès la conception des systèmes de gestion en anticipant l'ajout de certaines métadonnées descriptives, lire : Dubois, Alain, Quelle qualité pour les archives électroniques ? Réflexions et retour d’expérience autour du processus décisionnel du Conseil d’Etat valaisan. In Revue électronique suisse de science de l'information (Ressi), 2013.

[35]    Inspiré de l'archivistique globale de Jean-Yves Rousseau et Carol Couture, synonyme de l'archivistique intégrée.

[36]    Celle du Records Management : l'activité découle d'un besoin de la société et tous les documents produits ou reçus dans le cadre de son exercice également.