Introduction 3e partie

Fonder les décisions sur des analyses approfondies et critiques de la dimension historique, des missions et des outils professionnels à disposition

Barbara Roth-Lochner

Trois contributions viennent clore ce volume de travaux du Certificat/Master en archivistique, bibliothéconomie et sciences de l’information. Toutes trois ont pour ambition de progresser à la fois dans la compréhension théorique des enjeux d’une situation donnée que dans les pratiques déjà existantes ou à élaborer.

Dans son article intitulé «Zukunft der Gosteli-Bibliothek – Planung des Wandels einer wissenschaftlichen Spezialbibliothek», SOLANGE JACCARD, bibliothécaire scientifique et archiviste aux Archives Gosteli (Gosteli-Archiv), décrit et analyse de manière exemplaire le processus d’élaboration d’une stratégie destinée à faire face aux exigences posées aux bibliothèques d’aujourd’hui. Au centre de son étude : la bibliothèque de cette fondation, la Gosteli Stiftung sise à Worblaufen (Canton de Berne), dont la vocation est de réunir, de conserver et de communiquer des fonds d’archives, de la documentation et des publications relatives aux droits des femmes en Suisse. Moins sollicitées que les archives proprement dites, les ressources de la bibliothèque spécialisée doivent être mises en valeur de manière consciente pour accroître leur visibilité et leur permettre de rendre pleinement service à un public de chercheuses et de chercheurs, ainsi qu’à des usagers.ères moins spécialisé.e.s. Sont abordées les questions d’intégration à un catalogue collectif, les politiques d’acquisition et de prêt, le travail de médiation, l’adéquation aux possibilités financières, la convivialité des locaux mais aussi les perspectives en matière de travail à distance. En parallèle, la lectrice/le lecteur apprend beaucoup de choses sur la fondation créée par Marthe Gosteli en 1982. Depuis 2021, le financement de base du centre d’archives et de documentation est assuré par des fonds publics.

En se fondant sur la littérature professionnelle en bibliothéconomie et en élaboration de stratégies, sur une enquête auprès d’autres bibliothèques comparables ainsi que sur ses propres analyses, l’auteure identifie les problèmes qui sont à la base du souhait de changement, pour détailler ensuite, de manière très méthodique et critique, les étapes de l’élaboration d’une stratégie de développement et les résultats auxquels elle doit aboutir, sans en taire les difficultés. Il ne fait aucun doute que son étude sera d’une grande utilité pour les institutions qui souhaitent entamer une réflexion du même type.

Qualifier les archives paroissiales de « cas particulier » serait trompeur, tant elles sont imbriquées dans l’histoire culturelle de l’Europe. L’article de SÉBASTIEN DEMICHEL, qui est docteur en histoire et collaborateur scientifique en charge du recensement des archives historiques des paroisses, intitulé « Les archives paroissiales dans le canton de Fribourg : du recensement au traitement », dépasse donc largement, dans l’intérêt de son propos, les frontières cantonales. Sa solide contextualisation historique permet de comprendre la présence de certains documents dans ces archives, en fonction des compétences attribuées par l’Église à ses paroisses mais aussi des modifications constitutionnelles et légales du XIXe siècle. L’exemple classique est celui des registres paroissiaux (baptêmes, mariages, décès) qui, avant 1876, font office d’état civil, mais il y en a d’autres. Alors qu’elles sont considérées aujourd’hui comme archives privées, il est important d’être conscient de leur passé institutionnel pour bien comprendre leur importance sociétale et les enjeux de leur conservation.

En 2023, les Archives d’État de Fribourg ont entrepris un recensement systématique et ambitieux des archives paroissiales du canton. S. Demichel en décrit les étapes, de l’état des lieux des informations existantes – cela fait longtemps qu’elles suscitent l’intérêt des historiens et des archivistes ! – au traitement et à la répartition des tâches entre paroisses et Archives d’État, sans éluder les difficultés rencontrées et les défis pour l’avenir. L’auteur dessine ainsi une feuille de route pour toute entreprise du même type. C’est un bel exemple de l’évolution des exigences en matière d’archives à laquelle on assiste depuis deux à trois décennies, à différents niveaux, en partant des réflexions qui se déroulent dans les centres d’archives publiques et qui se traduisent dans des directives plus explicites.

La Fondation SAPA, Archives suisses des arts de la scène (Swiss Archives of the Performing Arts) applique depuis 2021, pour les descriptions de ses collections et fonds, le nouveau standard Records in Contexts. Dans sa contribution intitulée « Métadonnées, RiC et TheaterFalle », CÉDRIC DEGRANGE, aujourd’hui archiviste à l’Office fédéral de topographie - Swisstopo, se confronte à un ensemble de questions épistémiques qu’il a rencontrées lors de la description des archives de TheaterFalle, une compagnie de théâtre bâloise active de 1986 à 2016. Pour cela, il décortique les notions de base sous-jacentes à la partie Conceptual Model de la norme (RiC-CM), sans négliger les questions d’ontologie, mettant le doigt sur quelques ambiguïtés qui méritent clarification, plus particulièrement dans le choix des métadonnées obligatoires attribuées aux niveaux hiérarchiques Records Set et Record. Il n’est pas toujours facile de concilier théorie et pratique, et ses propos mettent en lumière la nécessité d’être au clair, en amont, sur les distinctions conceptuelles des niveaux hiérarchiques de description. Bien déterminer à quel niveau situer les métadonnées obligatoires évite d’une part les redondances, et débouche d’autre part sur un gain en pertinence de l’information. En lisant cette contribution, on ne peut s’empêcher de réfléchir à l’opportunité d’un cadre de description ambitieux et contraignant pour de petits fonds somme toute assez simples, composés de documents sur supports traditionnels.

Avec les autres contributions à ce volume de travaux du CAS/MAS-ALIS, les articles ici introduits portent témoignage des ambitions de nos métiers de l’information documentaire. Lancé en 2002, le certificat en archivistique et en information documentaire, transformé depuis en master, avait pour but de permettre aux praticiens d’approfondir les fondements théoriques de leur activité, sous tous ses aspects, et d’initier une filière de formation postgrade. Si l’on considère les près de 150 articles publiés par les diplômés, depuis la parution du premier recueil en 20081, un panorama fort intéressant se dégage, panorama des préoccupations des professionnel.les suisses, et, tout simplement, de l’évolution des réflexions qu’ils et elles mènent. Volume après volume, notre culture professionnelle s’enrichit et se diffuse. On constate aussi que la formation a fédéré les souhaits des partenaires de nos domaines d’activité, tout en offrant les conditions nécessaires à une transmission des savoirs professionnels capable d’intégrer la rapide évolution de nos métiers.

Anmerkungen