Introduction partie II:
Analyser méthodiquement les défis et faire profiter la communauté professionnelle du travail réalisé

Barbara Roth-Lochner

Dans les cinq articles qui suivent, chaque auteur s’attaque à un problème spécifique qui se pose aux archivistes d’aujourd’hui, le décompose et l’étudie sous tous ses aspects – juridique, technique, organisationnel – et propose des solutions. On est bien sous le signe du partage du travail réalisé.

Même sans être disponible en ligne, la nouvelle base de données qui décrit les archives et la collection de photographies de la famille d’industriels Brown, conservées au Musée Langmatt de Baden, suscite une nouvelle demande provenant des milieux de la recherche et oblige les archivistes à élaborer un règlement d’utilisation qui prend en compte tous les types d’usages. Les inventaires informatisés jouent un rôle de révélateur. Le fonds contient des œuvres littéraires dont une partie est inédite, des correspondances, des photographies d’individus, et il s’agit de concilier les intérêts de trois groupes de personnes : les consultants, les détenteurs de droits et les personnes figurant dans les documents.

C’est ainsi que KIKI LUTZ, aujourd’hui chargée d’inventaire du Musée de l’Hôtel-Dieu à Porrentruy et rédactrice bilingue du Dictionnaire du Jura, entreprend de démêler l’écheveau des différentes règles de droit qui s’appliquent, dans un contexte de fédéralisme et de statut privé du fonds d’archives concerné. La législation sur les archives publiques, qu’elle soit cantonale ou fédérale, est inopérante et peut seulement servir de référence. En revanche, les lois sur les droits d’auteur et sur la protection des données doivent être prises en considération. Le Musée Langmatt est une institution de droit privé mais il dépend pour partie de soutiens publics et doit respecter les engagements contractuels que cela implique. Autres documents juridiques pertinents : le testament du donateur et les statuts de la fondation. Et n’oublions pas, dans notre contexte professionnel, les règles éthiques de nos organismes faîtiers – code de déontologie du CIA, recommandations de l’ICOM – qui servent de guide dans une démarche de « best practices ».

Ce précieux tour d’horizon, que l’auteure développe dans le contexte d’un fonds d’archives dont on apprend au passage à apprécier la portée et les richesses, débouche sur un règlement d’utilisation sobre, qui est intelligemment commenté pour que le lecteur puisse en apprécier les nuances. Kiki Lutz nous offre aussi une check-list explicitant trois scénarios de documents soumis à des droits d’auteur.

Avec l’article d’ELKE HUWILER, aujourd’hui collaboratrice scientifique au Département des manuscrits de la Zentralbibliothek de Zurich, nous restons dans le domaine des archives privées. En prenant pour exemple les Archives littéraires suisses (Bibliothèque nationale) et le Deutsches Literaturarchiv de Marburg, l’auteure réfléchit à tout ce qu’implique un programme de numérisation, qui doit dans tous les cas être précédé d’une véritable stratégie. Une fois de plus, les problèmes juridiques (droits d’auteur, droit de la personnalité) doivent être clairement identifiés en amont. Même si une numérisation intégrale des fonds est formulée comme but à long terme, il s’agit de définir les priorités selon des critères clairement exprimés.

La réalisation même des facsimilés numériques doit être aussi être précédée de décisions de principe : quels standards choisir, quel processus adopter (workflow) en prenant en compte le contrôle de qualité et la garantie d’authenticité. La norme de description applicable aux métadonnées est bien entendu d’une importance majeure. Ici l’auteure présente les développements en cours sur la norme RiC (Records in Context) au sein du Conseil international des archives. Le tout se termine par une réflexion sur l’opportunité de la mise en ligne de copies digitales, qui se fonde sur les promesses du web sémantique et sur les expériences déjà menées. Une solide bibliographie complète l’étude d’E. Huwiler.

Dans le canton de Vaud, ce sont les images animées produites dans le cadre des activités d’institutions étatiques qui ont retenu l’attention de Raphaël Berthoud, collaborateur scientifique aux Archives cantonales vaudoises. Pendant longtemps, archivistes et bibliothécaires ne savaient pas très bien comment recueillir et traiter les productions audio-visuelles, et la société a mis du temps à reconnaître le statut de source des images animées et l’importance de les conserver à long terme pour une meilleure documentation de l’histoire de nos sociétés. Après avoir décrit ce que l’on entend par archives audiovisuelles en se fondant sur les définitions récentes émises par les organismes internationaux, R. Berthoud fournit des données techniques sur les supports et les problèmes de conservation qu’ils posent, tout en donnant des pistes pour la conservation du contenu. Il se penche aussi sur la question des normes de description et d’indexation de ce type de document.

Pour délimiter le champ de son sujet, R. Berthoud se concentre sur la production d’organismes cantonaux soumis à la loi cantonale sur l’archivage, donc sur le périmètre placé sous la responsabilité des Archives cantonales. Le lecteur non averti fait des découvertes et se laisse surprendre par la variété des productions : des films sur la santé produits par le Centre d’enseignement médical et de communication audiovisuelle de l’Hôpital cantonal et universitaire, des productions d’élèves de l’École romande de typographie, devenue École romande d’arts et communication. Les films sont produits par les élèves, mais en leur qualité de travaux de diplôme, ils font bien partie des archives de l’École, avec tous les problèmes de droits que cela pose.

L’auteur dessine une stratégie pour prendre en charge et traiter cette production, et s’interroge sur l’opportunité de créer un institut vaudois de l’audio-visuel, non sans prendre en considération les scénarios alternatifs, comme par exemple un pôle audiovisuel à ancrer aux Archives cantonales, moyennant des ressources financières renforcées. La solution la pire serait le laisser-faire, donc la disparition de ce patrimoine faute de réflexion, de moyens et de volonté.

En matière d’archivage des données de la recherche, la politique suisse s’est profondément modifiée ces dernières années. L’un des principaux acteurs du monde de la recherche universitaire, le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNRS), exige depuis quelques années non seulement que les études qu’il soutient soient publiées en Open Access, mais encore que chaque projet soit accompagné d’un Data Management Plan (DMP), c’est-à-dire d’un engagement à pérenniser et à rendre accessibles, dans les limites légales et déontologiques existantes, les données mêmes sur lesquelles se fondent ces études. Quelles sont les implications concrètes de cette exigence pour les chercheurs ? C’est la question que se pose Ursula Loosli, spécialiste en l’archivage de données numériques à la Bibliothèque universitaire de Berne.

En se fondant sur des entretiens avec trois auteurs de projets en sciences humaines (linguistique, édition de sources littéraires et base de donnée biographique en histoire), elle met d’abord en lumière leurs besoins très variables. Tout aussi variables sont les degrés de préparation et de réflexion sur cette nouvelle exigence d’archivage. Les problématiques sont différentes, mais toutes trois sont typiques de ce que peut rencontrer un archiviste aujourd’hui. Une chose est certaine, un appui venant de spécialistes est nécessaire, et il existe une forte attente à l’égard des bibliothèques universitaires.

L’auteure fait le point des plateformes qui sont en train de se mettre en place en Suisse, en premier lieu DaSCH (Data and Service Center for the Humanities), coordonné par l’Université de Bâle et soutenu par l’Académie suisse des sciences humaines. En effet, nous traversons une époque charnière et, si les autorités scientifiques ont dessiné le mouvement, les ancrages concrets ne sont encore que partiellement définis ; de surcroît, la communauté scientifique doit s’imprégner de la problématique, en s’interrogeant par exemple en amont sur un archivage statique ou une pérennisation dynamique (bases de données qui continuent d’être enrichies).

L’article se termine par un cahier des charges solidement développé de ce que devrait idéalement offrir un nouveau centre de compétences de l’Université de Berne.

Avec l’article de Florian Vionnet, archiviste aux Archives de l’État du Valais, le lecteur est plongé dans un domaine qui pose d’énormes défis à la communauté archivistique : le records mangement dans une administration publique à dimensions suisses.

Jetant un regard en arrière, l’auteur rappelle comment la norme ISO 15489, publiée en 2001, mise à jour en 2016, en fournissant des principes directeurs et des concepts généraux, a marqué un coup d’accélérateur dans la prise de conscience de la nécessité d’agir localement. Il analyse la littérature professionnelle qui a explicité la norme et qui a peu à peu mené à son adaptation au contexte numérique. Trois niveaux se dégagent : le politique, le stratégique et l’opérationnel, dans lequel il est important d’inclure l’accompagnement du personnel. A ces définitions il faut ajouter les différentes méthodologies proposées et les facteurs de succès que les auteurs de manuels ont pointé.

Muni de ce solide bagage théorique, et prenant en compte les expériences pratiques réalisées ailleurs, y compris en Suisse, F. Vionnet expose d’abord ce qui serait pour lui une politique idéale. Et c’est à partir de celle-ci qu’il livre ce qui été réalisée dans le canton du Valais à partir d’une enquête menée dans l’administration en 2001. Fruit indirect de cette enquête, un « Guide de gestion des documents » a été mis en ligne en 2010. Une nouvelle enquête, menée en 2018, dont l’auteur analyse minutieusement et de manière critique les résultats, permet d’identifier le travail qui reste à accomplir. Pas à pas, de manière pragmatique, F. Vionnet définit les étapes qui devraient permettre de maîtriser le processus de gestion des documents d’activité de l’administration cantonale. Il offre également au lecteur le questionnaire très bien conçu qui a été adressé aux services producteurs d’archives. Gageons que ce document rendra de grands services.