Introduction partie II :
Politiques des bibliothèques en faveur des usagères et des usagers, politiques des archives pour concilier besoins de la recherche et protection des données sensibles

Barbara Roth-Lochner


Les cinq contributions qui suivent peuvent être séparées en deux groupes, même si elles traitent toutes, en fin de compte, de la qualité des services à laquelle doivent veiller les centres documentaires dans une société en mutation.

Trois articles ont pour objet les bibliothèques. En se fondant sur une enquête auprès des usagers et sur des comparaisons avec d’autres centres similaires, STEFAN GROSJEAN analyse très finement les qualités (elles sont bien réelles) et les défauts (peu nombreux) de la bibliothèque médicale de l’Université de Berne, qui est un de ses lieux d’activité professionnelle. Il traite des questions auxquelles on s’attend spontanément, comme l’accessibilité et la proximité avec d’autres lieux de travail des étudiants, les horaires d’ouverture, l’ergonomie des tables, des chaises, de l’éclairage, et bien entendu l’offre documentaire, à la fois sous forme de collections historiques et de ressources électroniques.

Mais aujourd’hui les professionnels tiennent aussi compte d’autres besoins des usagers, auxquels nos prédécesseurs ne pensaient pas : la différenciation des places de travail : individuelles, isolées ou non par de petites séparations entre les places, collectives avec la possibilité de parler sans déranger autrui, des zones de rencontre, des zones de repos, des possibilités de se ravitailler, ou la simple adéquation entre la capacité d’accueil de la bibliothèque et les besoins du public visé. L’esthétique, la signalétique, la qualité des contacts avec le personnel, et puis la bonne aération – un aspect auquel nous sommes devenus particulièrement sensibles depuis 2020 – sont également pris en considération. En lisant les développements de St. Grosjean, on ne peut s’empêcher de passer en revue les caractéristiques des lieux dont on est soi-même familier, et on se met à rêver d’un changement de cadre.

SIMONA FRANCESCUTTO, elle aussi active dans le monde des bibliothèques, à l’Université de Berne, aborde une question cruciale que l’intellectuel du XXIe siècle se pose quasi quotidiennement, et qui est aussi soulevée par S. Grosjean dans l’un de ses paragraphes. En plaçant au centre de son enquête les étudiant.e.s en sciences humaines et sociales, S. Francescutto se demande quelles sont leurs préférences en matière de support de lecture : papier ou électronique ? D’autres spécialistes se sont posé la question avant elle, et elle tire intelligemment profit de leurs conclusions, en offrant un solide tour d’horizon des enjeux et des observations déjà formulées, qui sont parfois contradictoires. Certaines bibliothèques ont déjà fait des choix drastiques. L’auteure a également procédé à une enquête auprès des usagers de sa bibliothèque (Bibliothek Münstergasse), à l’Université de Berne et à la Haute Ecole pédagogique.

D’apparence simple, la question se décompose en nombreuses facettes qui sont toutes explorées avec clarté : un facteur déterminant est, de toute évidence, le contenu même du livre, qu’il soit sous forme papier ou sous forme électronique. Si l’on se livre à des calculs statistiques fondés sur la fréquence de consultation, il faut en tenir compte. De même, si un livre-papier est déjà emprunté, l’alternative électronique permet quand-même d’en prendre connaissance.

Les livres électroniques offrent des avantages majeurs : la disponibilité, la consultation à distance, les possibilités de recherche plein texte, l’enrichissement par des hyperliens (quand il ne s’agit pas de simples reproductions numériques de pages imprimées). Pour la lecture intensive et approfondie, le livre physique conserve la préférence d’une majorité de lecteurs, quel que soit leur âge. La mémorisation semble également plus efficace quand on lit sur papier, en tournant des pages. Ce ne sont là qu’une petite partie des résultats de l’analyse de S. Francescutto. Mais même si la question demeure difficile à trancher, on se demande si les bibliothèques qui se sont entièrement séparées de leurs livres physiques (dans des universités américaines) ne sont pas allées un peu vite en besogne.

La problématique de JULIE BAUMBERGER, fortement liée à l’actualité, n’est pas sans lien avec ce qui précède. Elle inspirera plus d’un professionnel sensible au dérèglement climatique, en l’informant sur le mouvement Green Library, qui se développe sous ce nom depuis 2008 (congrès IFLA au Québec) mais qui s’enracine dans des décisions antérieures, notamment la Déclaration des bibliothèques et du développement durable, approuvée à l’occasion du 75e anniversaire de l’IFLA en 2002 (à Glasgow !). Qu’il s’agisse de la conception de locaux de centres documentaires, de la constitution de collections illustrant la problématique environnementale ou de la diffusion active d’informations, les spécialistes de l’information documentaire ont des moyens d’agir. Après son tour d’horizon international, et sans esquiver la question de la neutralité politique à laquelle doit veiller tout bibliothécaire, J. Baumberger, aujourd’hui archiviste scientifique et conseillère en gestion documentaire chez docuteam, se penche sur les réalisations suisses, plus particulièrement sur l’exemple d’une bibliothèque d’un collège genevois, en partant du constat que chaque acteur compte. Mais il reste du chemin à parcourir.

Deux archivistes se sont attaqués à des sujets particulièrement délicats. L’un touche tous les pays et fait l’objet de nombreuses réflexions : c’est celui des archives hospitalières et sanitaires. L’autre est lié, en Suisse, à une actualité politique relativement récente : c’est celui des dossiers de la protection des mineurs. Dans les deux cas, il s’agit de trouver des solutions permettant à la fois de respecter la sphère privée des personnes concernées, dans le cadre de la protection des données à laquelle les archivistes sont quotidiennement confrontés, et de sauvegarder les intérêts de la recherche future, mais aussi de la sécurité du droit.

Après avoir solidement défini la problématique posée par les archives hospitalières, ADRIEN PATRASCU analyse les solutions élaborées par les Archives de l’État du Valais pour la sélection et le traitement de deux types de documents particuliers : les dossiers psychiatriques et les radiographies. Pour les premiers, on s’est orienté sur les pratiques d’autres cantons et un avis de droit a été sollicité. Pour les seconds, dont l’aspect matériel et technique ajoute une difficulté supplémentaire à la prise de décision, les archivistes ont été confortés dans leurs choix par un avis circonstancié de deux spécialistes de l’histoire de la médecine.

Pour ce qui est des dossiers de la protection des mineurs, REBECCA CRETTAZ, collaboratrice scientifique dans un programme de recherche FNS à l’Université de Genève, se penche, elle aussi, sur les politiques et les pratiques valaisannes. L’auteure rappelle le contexte délicat et urgent dans lequel tous les centres d’archives publiques de la Confédération ont été interpellés pour accorder la priorité à ce type de dossiers, à la fois sous l’angle de leur repérage, de leur constitution, de leur conservation et de leur étude. En effet, pendant plusieurs décennies du XXe siècle, jusqu’en 1980, la mise en œuvre de mesures de coercition à des fins d’assistance et de placements extra-familiaux de mineurs ont occasionné des abus et des souffrances, donnant lieu à des excuses officielles de la Confédération en 2013, à l’adoption de deux lois dont une relative à des indemnisations, et à la mise sur pied d’une commission d’enquête. Comme d’autres archives cantonales, les Archives d’État du Valais ont été confrontées à la nécessité de traiter la question des dossiers des mineurs, émanant de divers services administratifs ou judiciaires. R. Crettaz a mené l’enquête sur les pratiques de plusieurs pays et de plusieurs cantons proches. La question cruciale de l’impact sur la tenue future de ces dossiers est bien posée, mais, constate l’auteure, il est prématuré de formuler un bilan.