La morphosyntaxe dans les SMS suisses francophones: Le marquage de l'accord sujet – verbe conjugué*

Elisabeth Stark (Zürich)


 

1 Introduction: L'importance de l'accord (sujet – verbe conjugué) dans la grammaire et la théorie de la grammaire

Le phénomène de l'accord grammatical se trouve au centre de beaucoup de publications morphosyntaxiques actuelles, soit typologiques (cf. Corbett 2006), soit théoriques (cf. par exemple Costa & Figueiredo 2006). Dans le contexte de la recherche relative à la langue ou la graphie dans les nouveaux média, il s'avère pourtant négligé (cf. par exemple son absence dans des études comme Sourdot 2004, Bove 2005, Dürscheid & Brommer 2009) et cela en dépit du fait que le grand public se montre souvent préoccupé par la menace potentielle que les nouveaux média pourraient représenter pour la maîtrise de la 'bonne écriture', de l'orthographe, souvent identifiée (à tort) à la langue même. Face à des SMS comme le suivant, on pourrait en effet se demander si les abréviations fréquentes et usuelles dans cette nouvelle forme de communication ne portent pas atteinte à la structure grammaticale même du français, du moins dans sa réalisation graphique:1

(1) Je1.SG vienØØ d'acheté une mauto. Ell3.FEM.Ø es2.SG tou neuve et trè belle (302)2

L'écriture dans ces exemples semble 'transcrire' les régularités de l'oral (phénomène de "l'orthographe phonétique", assez typique de 'l'écriture SMS', cf. p.ex. Anis 2007), où, dans le paradigme du verbe venir, les trois personnes grammaticales du singulier ont la même forme, p.ex. [vjε̃] au présent, et où, pour le verbe être au présent, la deuxième et troisième personne du singulier sont syncrétiques ([ε]). Voilà donc un domaine où la graphie ou la transcription du français dans une graphie non standard, comme c'est le cas dans les textos, est en lien direct avec la structure grammaticale, plus précisément avec le marquage de certains domaines clés de la morphosyntaxe (du français).

Or, les quelques observations qui se trouvent dans la littérature spécialisée sur la morphosyntaxe des SMS (français) sont soit trop généralisantes (cf. Dejond 2002: 68ss., qui évoque une absence totale de l'accord du participe passé dans les SMS français, ce qui ne correspond pas du tout à la réalité, cf. les exemples (6) et (8) ci-dessous, ou Liénard 2005: 49, qui assume que les textos "se caractérisent par une troncation quasi systématique de la langue française"), soit trop vagues (cf. Anis 2007: 100) ou même hors sujet (cf. section 2). Pour cette raison, la présente contribution se veut un premier effort pour combler cette lacune. Elle est consacrée à un phénomène morphosyntaxique omniprésent et important pour les approches linguistiques les plus diverses, qui vont des plus théoriques (architecture de la grammaire humaine) aux plus pratiques (didactique des langues).

L'exemple (2) illustre le marquage graphique standard de l'accord entre le sujet et le verbe conjugué en personne (troisième, 3) et nombre (pluriel, PL):3

(2) Les3PL élèves3PL écrivent3PL des lettres. – [lez3PLelεvekriv3PLdelεtr]

Bien que dans le code phonique, le nombre et la personne ne soient marqués que deux fois, par la présence du [v] dans le thème verbal [ekriv] et par la séquence [ez] du déterminant défini dans le sujet, le code graphique du français standard marque de façon hautement redondante le pluriel par le <-s> dans le déterminant et le substantif du sujet, le <-v-> du thème verbal et la désinence <-ent> du verbe conjugué, qui signale en même temps la troisième personne grammaticale.

Outre le fait d'être redondant, l'accord sujet – verbe conjugué en personne et en nombre est un cas de 'déplacement' de l'information grammaticale (cf. Corbett 2006: 1s.), parce que le pluriel indiqué sur le verbe dans l'exemple (2) n'est pas à interpréter sur un plan sémantique quelconque, p.ex. dans la forme logique. En effet et dans la lecture plus habituelle de cette phrase, il est décrit ici un seul événement d'écriture et non pas plusieurs, contrairement à la valeur 'pluriel' indiquée sur le verbe pour le trait 'nombre' – un ensemble comprenant plus d'un élément est dénoté seulement par le sujet au pluriel (les élèves). Ces observations nous mènent directement à une première définition de l'accord et à un bref aperçu de ses propriétés les plus importantes:

The term agreement commonly refers to some systematic covariance between a semantic or a formal property of one element and a formal property of another (Steele 1978: 610).

A y regarder de plus près, il y a quatre éléments linguistiques impliqués dans une relation d'accord (selon Corbett 2006): le contrôleur ("one element"), l'élément qui détermine l'accord par ses traits inhérents ("a semantic or a formal property"), la cible ("another element"), c'est-à-dire l'élément qui est marqué selon les valeurs des traits du contrôleur, les traits et leurs valeurs respectives d'accord, donc les propriétés morphosyntaxiques qui sont concernées par l'accord et/ou exprimées dans l'accord ("a formal property"), et, ce qui manque dans la définition de Steele (1978), le domaine, la configuration syntaxique dans laquelle se produit l'accord.

Pour illustrer tout cela, prenons un exemple italien d'accord canonique:

(3) l-eF.PL ragazz-eF.PL pover-eF.PL– iM.PL raggazz-iM.PL pover-iM.PL4

Dans l'exemple (3), les contrôleurs respectifs de l'accord en genre et en nombre à l'intérieur de ces deux syntagmes déterminatifs italiens sont les substantifs ragazze et ragazzi, tous les deux ouvertement marqués pour les valeurs 'féminin pluriel' et 'masculin pluriel' par les désinences vocaliques respectives ([-e] et [-i]). Les cibles de cet accord à l'intérieur du syntagme (= domaine de l'accord), les articles définis le et i et l'adjectif adnominal povero, sont aussi marquées ouvertement par les mêmes désinences avec les mêmes valeurs. Les aspects les plus importants d'un tel accord canonique (cf. Corbett 2006: 8-27) sont les suivants: la présence morphologiquement réalisée du contrôleur, l'expression explicite de l'accord sur la cible et l'expression explicite des traits d'accord sur le contrôleur, en plus de l'expression de l'accord sur la cible par des affixes et l'expression régulière de l'accord. Dans ce qui suit, nous allons partir de cette analyse générale de l'accord et étudier en détail la représentation graphique des deux composantes de base de l'accord, le contrôleur et la cible, dans les sms francophones de notre corpus.

De manière générale, les propriétés de l'accord (canonique) d'un point de vue fonctionnel sont les suivantes: redondance, simplicité et dépendance structurelle (l'accord est un phénomène morphosyntaxique qui se trouve dans certaines configurations syntaxiques, mais pas dans toutes, il pourrait donc servir d'indicateur des structures sous-jacentes). Et tout cela, bien que tellement central pour la grammaire des langues et tellement discuté par les puristes du français (comme suggéré ci-dessus), a l'air de ne servir a rien, du moins d'un point de vue extralinguistique et référentiel. Voyons la citation suivante, qui caractérise l'accord comme:

[…] notoriously dysfunctional […] grammatical agreement seems a clear case of the victory of the indexical aspect of language over its iconic aspect […] not only non-iconic, but meaningless […] (Haiman 1985: 162ss.).

Cependant, aussi bien la typologie que la linguistique formelle (générative) ont identifié une corrélation entre l'accord sujet – verbe conjugué et l'ordre des mots dans la phrase déclarative, corrélation qui est loin d'être fortuite, comme on peut voir dans les exemples du portugais standard et sous-standard suivants:

(4) a. Cheg-aram a-s pessoa-s.
    arriver-Perf.3PL DET[F]-PL personne[F]-PL
  b. A-s pessoa-s cheg-aram.
    DET[F]-PL personne[F]-PL arriver-Perf.3PL

Sous-standard:

(4) c. Cheg-ou a-s pessoa-s.
    arriver-Perf.3SG DET[F]-PL personne[F]-PL
  d. *A-s pessoa-s cheg-ou.
    DET[F]-PL personne[F]-PL arriver-Perf.3SG

On y voit clairement que le sujet peut, avec certains groupes lexicaux de verbes (p.ex. les verbes inaccusatifs comme chegar, arriver), être postposé au verbe conjugué et que, dans ce cas-là, l'accord en nombre entre le sujet et le verbe conjugué peut être défectif (voir exemple (4c)). Or, un sujet antéposé au verbe conjugué doit nécessairement s'accorder en nombre avec celui-ci (cf. exemple (4d).

On peut observer des régularités parallèles dans les constructions suivantes du français: tandis qu'on peut avoir l'exemple (5a), l'exemple (5b) est agrammatical:

(5) a.   Il est arrivé trois vaisseaux5
b. *Trois vaisseaux est arrivé

Ceci a déjà été découvert par Joseph Greenberg (1963) et formulé dans son fameux universel numéro 33: When number agreement between the noun and verb is suspended and the rule is based on order, the case is always one in which the verb precedes and the verb is in the singular. Il a été thématisé aussi dans la version la plus récente du programme minimaliste de la grammaire générative, dans un modèle nouveau de l'accord (celui des "sondes", cf. Chomsky 1995 et passim), pour expliquer la corrélation stable, dans beaucoup de langues, entre un sujet postverbal et un accord sujet – verbe conjugué partiel ou défectif et l'impossibilité d'un tel accord pour les sujets préverbaux (cf. Remberger & Mensching 2006 pour les langues romanes). Sans entrer ici dans les détails de ce modèle, notons tout de même qu'il a permis de mieux comprendre l'interdépendance de l'accord, relation morphosyntaxique assez symétrique, et l'assignation de cas, la rection, relation morphosyntaxique asymétrique, et la relation de ces deux phénomènes avec l'ordre de mots. Dans cette perspective de la linguistique théorique, l'accord joue donc un rôle central pour la compréhension des mécanismes de base de la grammaire des langues humaines.

Le présent article est structuré comme suit: après cette brève introduction (chapitre 1) destinée à montrer l'importance de l'accord sujet – verbe conjugué dans une perspective linguistique générale, nous résumons dans le chapitre 2 les observation de la littérature scientifique sur la (morpho)syntaxe des SMS (francophones) et sur leur profil variationnel, en distinguant avec rigueur entre code (phonique et graphique) et conception (d'immédiat ou de distance communicative) des messages linguistiques. Nous présentons ensuite (chapitre 3) notre propre recherche basée sur l'analyse manuelle de 400 SMS francophones du corpus sms4science.ch, les six types de marquage graphique d'accord sujet – verbe conjugué identifiés et les résultats quantitatifs les plus importants (accord standard stable, très peu d'occurrences d'accord partiel, presque pas d'accord non marqué). A cela s'ajoute, dans le chapitre 4, une discussion des résultats, qui confirme d'une part le profil variationnel d'immédiat communicatif dans le code graphique des SMS en général et la stabilité et le caractère non marqué de la représentation graphique des structures morphosyntaxiques de base dans les SMS. Une brève conclusion (chapitre 5) qui résume les points les plus importants et répète l'hypothèse de départ, à savoir le maintien du marquage graphique des structures morphosyntaxiques fondamentales même dans les SMS, esquisse finalement quelques directions de recherche pour l'avenir.


2 Le marquage de l'accord dans les SMS et leur profil variationnel – état de la recherche

Comme nous l'avons dit plus haut, la recherche sur la morphologie et la morphosyntaxe dans les SMS, de quelque langue que ce soit, est encore pratiquement inexistante. Les chapitres dédiés à la "morphologie" ou à la "syntaxe" dans les publications récentes traitant du français dans les SMS (cf. Sourdot 2004: 87s. ou Fairon et al. 2006: 42s., à titre d'exemple) ne thématisent, en règle générale, que la formation des mots (p.ex. les conversions dénominales comme dans je te sms quand je rentre) ou le genre incertain de certains substantifs en relation avec la question de la féminisation des noms de métier, ce qui relève d'une partie du lexique et par là de la lexicologie. Ils abordent aussi des phénomènes stylistiques, liés à la performance, comme l'omission des mots fonctionnels pour gagner du temps (articles, prépositions etc.), qui relèvent d'un certain style télégraphique, mais qui n'ont rien à voir avec la syntaxe sous-jacente des SMS en question.6 Une exception positive dans ce triste tour d'horizon dans la recherche autour des SMS est représentée par Béguelin 2008, qui incorpore à ses travaux sur la variation graphique en français le cas particulier de la variation graphique dans la morphosyntaxe des SMS. Elle distingue les "'fautes' d'orthographe", qui comprennent l'"omission, échange ou ajout de marques morphologiques inaudibles" (p.ex. dans *il3.MASC.SG m'ecrivai-s1.SG au lieu de il3.MASC.SG m'écrivai-t3.SG) des vraies notations de "variantes morphologiques" (p.ex. vz2.PL êtes2.PL sûr pour vous2.PL êtes2.PL sûr). Ceci va être pertinent pour notre classification du marquage de l'accord sujet – verbe conjugué dans le corpus SMS suisse (voir chapitre 3), sans que nous visions nous-même à une interprétation de telle ou telle graphie non standard dans notre corpus.

Une autre exception est Cougnon & Ledegen 2010 (et les travaux environnants), qui mentionnent les traits morphosyntaxiques particuliers (entre autres) de SMS belges et réunionnais francophones, mais qui, malheureusement, rassemblent de façon erronée les observations pertinentes pour notre question sous la rubrique "phonétique" – de fait, une graphie telle que <lé personne> pour <les personnes> ne relève pas seulement ou en premier lieu de la phonétique, même si elle applique une graphie phonétique pour consigner un fait qui relève de la morphosyntaxe (voir ci-dessus), ce qui reste inaperçu par les autrices.

Les quelques observations sur la "morphosyntaxe" des SMS (français) mentionnées plus haut mènent, très souvent, à la discussion du profil variationnel du langage utilisé dans les SMS. Ainsi lit-on dans Fairon et al. 2006 (55; c'est moi qui souligne):

Le langage SMS est essentiellement un code écrit strict […] A cet égard, on ne s'étonnera pas que les structures syntaxiques de base (à ne pas confondre avec de l'écrit normé) soient peu remises en cause, dans la mesure où elles demeurent un des principaux repères interprétatifs pour le lecteur.7

Il est indispensable de commenter cette citation, afin d'éviter, d'une part, une confusion dangereuse et inhibant l'échange scientifique, concernant la recherche des structures internes des SMS, à savoir celle entre le médium ou le code dans lequel se présente un message linguistique et la conception qui en est à l'origine (cf. déjà Söll & Hausmann 1985). De l'autre, nous doutons de la causalité évoquée dans cette citation entre le caractère intact de la syntaxe dans les SMS et les besoins communicatifs de leurs auteurs – nous allons, bien au contraire, lancer l'hypothèse que la syntaxe, dans son autonomie, n'est pas accessible pour la conscience du locuteur et qu'elle reste intacte tout simplement parce qu'elle constitue la base ou le 'squelette' indispensable de chaque activité langagière.

Pour revenir à la distinction méthodologiquement et descriptivement pertinente entre le code et la conception d'un message linguistique, tous les deux dénommés souvent par 'oral' vs. 'écrit', regardons le schéma suivant (cité d'après Koch & Oesterreicher 2001: 585):


Figure 1: Le code et la conception d'un message linguistique d'après Koch & Oesterreicher 2001

Premièrement, chaque message linguistique d'une langue qui possède un système de graphie peut être réalisé par écrit, donc à l'aide de lettres alphabétiques ou d'idéogrammes ou de syllabogrammes, ou réalisé à travers l'appareil articulatoire de tout un chacun, donc à l'aide des sons (ondes sonores). C'est une stricte dichotomie et relève du code ou, comme dans la figure 1, de la réalisation médiale d'un message (de là aussi la dénomination de "variation diamésique" de cette dichotomie, qui, malheureusement, est utilisée aussi pour des phénomènes entre "oral"et "écrit" qui n'ont rien à voir avec le code strictement parlant et est à éviter pour cette raison, cf. la réflexion bien fondée dans Cougnon & Ledegen 2010).8 Nous préférons parler dans ce cas-là de code graphique vs. code phonique, pour éviter les termes polysémiques de oral/parlé et écrit. Dans cette perspective, les SMS relèvent clairement et uniquement du code graphique; ils sont réalisés à l'aide de signes graphiques, et le marquage des traits morphosyntaxiques dans les SMS est donc à notre avis à discuter en comparaison avec d'autres systèmes ou stratégies graphiques du français. Deuxièmement, chaque message linguistique est conçu selon certains paramètres communicatifs permettant de caractériser la relation entre émetteur et récepteur du message: proximité spatiale (face à face ou non), degré d'intimité, présence d'un public, fixation thématique, ancrage référentiel dans les situations respectives etc. (cf. Koch & Oesterreicher 2001: 586s.). Ces paramètres communicatifs permettent ensuite de situer chaque message sur un continuum conceptionnel entre la "distance communicative" (les interlocuteurs ne se connaissent pas ou peu et communiquent en situation officielle) et "l'immédiat communicatif" (les interlocuteurs se connaissent bien, il n'y a pas de public etc.). Cela concerne l'opposition "parlé" – "écrit" dans la figure 1. L'exemple utilisé pour illustrer ces deux dimensions différentes et à tort très fréquemment mélangées dans des études concernant 'l'écrit' ou 'le parlé' dans les SMS, bien qu'elles soient à séparer strictement, est à lire comme suit: On peut dire (code phonique: [fopal'dir]) ou écrire (code graphique: <faut pas le dire> ) faut pas le dire, mais on le fera de préférence dans une situation d'immédiat communicatif (entre amis, à table à la maison, dans une lettre privée, dans une note, un e-mail etc.). On peut aussi dire (code phonique: [ilnəfopalə'dir]) ou écrire (code graphique: <il ne faut pas le dire> ) il ne faut pas le dire, mais on le fera très probablement dans une situation de distance communicative qui oblige à utiliser le ne de négation, à ne pas omettre les pronoms sujets clitiques etc.

On verra par la suite, voilà notre deuxième hypothèse, que les SMS relèvent uniquement de 'l'écrit' dans la première acception du terme, c'est-à-dire du code graphique (communication non pas acoustique), mais pas ou peu de la distance communicative. Autrement dit, abstraction faite du niveau primitif et pré-ou extralinguistique des pures conditions de production (il faut taper au lieu de prononcer ses idées, respecter les contraintes technologiques du téléphone portable ou de l'ordinateur, on ne peut pas intervenir directement dans un tour de parole d'autrui comme dans un dialogue, mais on a théoriquement plus de temps pour planifier son message etc.), les SMS partagent beaucoup plus de propriétés linguistiques avec un coup de téléphone ou même une communication en face-à-face qu'avec un article de journal.

Ce bref aperçu sur la recherche (empirique) dédiée à la (morpho)syntaxe des SMS et sur les implications qui en résultent pour le profil variationnel des SMS nous amène à poser deux questions qui guideront notre propre étude:

1. Les SMS analysés, faisant part clairement du code graphique, relèvent-ils de 'l'écrit' ou du 'parlé' conceptionnel, plus exactement de la conception selon l'immédiat ou la distance communicative?

2. Le marquage graphique de la (morpho)syntaxe dans les SMS analysés se présente-t-il autrement que dans d'autres genres ou formes de communication du français ou reste-t-il intact en dépit des nombreuses stratégies d'écriture innovatrices observées pour les textos francophones?


3 L'analyse du corpus sms4science.ch

3.1 Méthodologie

Pour cette étude pilote, on a effectué une analyse manuelle des 400 premiers SMS en français du corpus sms4science.ch quant à la réalisation graphique de l'accord sujet – verbe conjugué en comparaison avec le français standard. Dans ces 400 SMS, on a rencontré un total de 1059 accords, dont 986 avec des pronoms sujets clitiques et des pronoms relatifs plus 73 avec des sujets lexicaux, des noms propres et des pronoms indéfinis 'lourds' tels que tous, tout le monde, quelques-uns etc.

On a pu identifier 6 types différents de marquage graphique de l'accord sujet – verbe conjugué (en prenant en compte la forme graphique du contrôleur et de la cible):

1. Accord canonique (Abréviation: a c):
présence morphologique du sujet clitique ou lexical (contrôleur) et marquage morphologique explicite et canonique de la personne et du nombre sur le verbe conjugué (cible):

(6) [La soirée]3.SG est3.SG reservée pour toi,chérie!!je1.SG serais1./2.SG là.a+ (1)

Cet exemple présente, dans la première partie, un accord canonique aussi bien entre le sujet lexical la soirée et le verbe conjugué est que, par ailleurs, entre le sujet de la construction passive et le participe passé, contrairement à ce qui est souvent affirmé dans la littérature (voir plus haut). La deuxième partie de l'exemple présente aussi un accord canonique en personne et en nombre, mais l'auteur de ce SMS semble s'être trompé dans le mode: au lieu d'indiquer le futur (je serai), il a choisi le conditionnel, peut-être en sur-généralisant la marque morphologique fréquente <-s> dans beaucoup de temps et de conjugaisons de la première personne du singulier. Nous comptons tout de même cet exemple parmi les accords canoniques, parce que l'accord en personne et en nombre est correctement indiqué.

2. Accord SMS (Abréviation: a SMS; "variantes morphologiques" de Béguelin 2008):9 représentation graphique déviante par rapport à la graphie standard (p.ex. par l'utilisation d'une abréviation, cf. Fairon et al. 2006: 31-47), mais présence morphologique du sujet clitique ou lexical (contrôleur) et marquage explicite des traits de personne et nombre sur le verbe conjugué (cible):

(7) […] j1.SG suis1.SG tombé sur un son electro de fou […] (4)

Dans ce type d'accord, nous avons donc aussi pleinement accord comme dans le premier type, mais son marquage graphique ne correspond pas à l'orthographe standard. Pour comprendre les mécanismes de la graphie 'SMS', surtout pour pouvoir observer ce qui est conservé comme information (morpho)graphique et ce qui est omis, nous avons estimé utile de créer cette deuxième catégorie, quoiqu'elle recouvre tout comme la première des cas de marquage d'accord complet.

3. Accord partiel: absence du sujet (Abréviation: av -suj):
marquage canonique de la personne et du nombre sur le verbe conjugué (cible), mais absence du contrôleur:

(8) tu as quà imprimer la preuve de paiement et leur montrer la prochaine fois et cest     tout...jcomprends pas ce que tu veux annuler...suis1.SG désolée pour ta sale nuit (381)

4. Accord (partiel) par le thème verbal (Abréviation: a thème):
orthographe phonétique pour marquer l'allomorphie du thème verbal qui indique elle-même déjà le nombre (singulier) et la personne dans certains paradigmes verbaux en français; absence ou présence du sujet (contrôleur) et absence de marquage explicite des traits morphosyntaxiques sur la cible:

(9) Fau3.SG ke tu me rende 1service: (172)10

5. Accord partiel (Abréviation: -av +suj):
présence du sujet (contrôleur), absence du marquage des traits de personne et nombre sur le verbe conjugué ("'fautes'" de Béguelin 2008):

(10) Sinon,fau ke tu2.SG me donne1./3.SG le tel de chez lui. (173)

Cet exemple ne dit rien, bien sûr, sur les connaissances de l'auteur du SMS de l'accord en français. Puisque l'orthographe phonétique est un moyen souvent utilisé dans les SMS français, il se peut que l'auteur du SMS ait tout simplement omis la lettre <s>, marque graphique de la deuxième personne singulier au présent du verbe donner, jamais réalisée dans le code phonique, et qu'il ait ainsi 'transcrit' le système fortement syncrétique du code phonique, où [dɔn] est la forme verbale en accord avec la première, deuxième et troisième personne du singulier et la troisième personne du pluriel à l'indicatif du présent. Or, comme nous avons dit plus haut, cette étude est dédiée à la graphie et au marquage graphique de l'accord sujet – verbe conjugué, sans interprétation ou recherche d'éventuelles motivations pour telle ou telle autre graphie, de sorte que nous comptons l'absence du marquage explicite des traits en question comme appartenant à cette catégorie 5) et non pas à la catégorie 2).


5. Non-accord (Abréviation: -av -suj):
Absence du contrôleur (sujet) et absence du marquage des traits sur le verbe conjugué (cible):

(11) Hey Basto!! On prend un monstre apéro au rosé! Fais1./2.SG chiée que tu sois pas là!!!!            Pompe! (146)

Dans cet exemple, on trouve une construction impersonnelle au sujet explétif omis (cela/ça3.SG fait3.SG chier, avec un pronom explétif contrôlant l'accord, cf. ex. (5), et le sujet, dans sa position postverbale originale, que tu sois pas là), mais sans l'élément explétif, obligatoire en français standard et souvent omis dans le français de l'immédiat (cf. l'exemple de Koch & Oesterreicher 2001 dans la figure 1). La forme du verbe conjugué indique, pourtant, la première ou la deuxième personne du singulier (autre syncrétisme fréquent, dans le paradigme phonique du verbe faire), et l'infinitif ( <chier>) qui suit le verbe causatif faire est écrit comme le participe passé au féminin singulier – ces deux derniers phénomènes appartenant probablement à la catégorie "fautes" de Béguelin 2008, dus à l'homophonie totale des formes en question. Mais, répétons-le: ceci n'étant pas une étude sur l'orthographe et les types de fautes provoquées par différentes difficultés de l'orthographe française standard, nous comptons simplement les occurrences de marquage ou du non-marquage graphique des traits respectifs, et pour cette raison, l'exemple (11) rentre – comme seule occurrence! – dans la catégorie d'absence totale de l'accord sujet – verbe conjugué.

3.2 Résultats

Le premier résultat, essentiel dans le débat autour du caractère 'parlé' ou 'écrit' (= immédiat ou distant selon la terminologie proposée dans le chapitre 2), concerne les deux groupes de sujets analysés, à savoir les sujets clitiques/pronominaux d'un côté et les sujets lexicaux de l'autre: on trouve très peu de sujets lexicaux (6,89%) dans notre sous-corpus des 400 premiers SMS suisses français. Ce taux faible de sujets lexicaux est typique de l'oralité conceptionnelle ou de "l'immédiat communicatif", comme le montrent déjà Du Bois 1987 et Dufter & Stark 2007 pour le français.

Pour les sujets lexicaux, il se trouve seulement trois types d'accord attestés: l'accord canonique (67; 90,45%), l'accord SMS (4; 5,4%) et l'accord partiel, indiqué uniquement par la présence du sujet (type 5), 3; 4,05%). Comme on le voit dans le graphique suivant, le premier est de loin le plus fréquemment attesté:

Graphique 1: Les types d'accord dans le sous-corpus avec les sujets lexicaux

Ce sont les trois exemples d'accord partiel qui s'avèrent particulièrement intéressants dans notre contexte:

(12) Salut kristina, je viens un peu plus tard, max3.SG veux1/2.SG son biberon. A tout de suite (36)
(13) How! Bien rentre? Désolé d'être parti comme ça a l'arrache mais j'souffrais de dormir contre le sol, et j'ai vu que le train3.SG partais1/2.SG dans 15 minutes.. Tu diras   a Gessa de ma part. (58)
(14) Manque3.SG pain et dessert3.PL hi!  (93)

Tandis que les accords partiels dans les exemples (12) et (13) peuvent être considérés comme des "fautes" selon Berrendonner & Béguelin 1995, Béguelin 2008, dus au syncrétisme total des formes de première, deuxième et troisième personne du singulier dans les paradigmes verbaux respectifs (toujours [vø] dans (12), toujours [partε] dans (13)), on voit un accord en nombre défectif et une seule fois attesté dans l'exemple (14), avec un sujet postverbal, ce qui correspond d'une part au système grammatical du français (avec pourtant omission du sujet explétif il avant le verbe conjugué) et de l'autre parfaitement aux prédictions typologiques (cf. Greenberg 1963: Univ. 33) et théoriques génératives (Chomsky 1995ss.), comme brièvement discuté dans le chapitre 1.

Pour les sujets pronominaux (surtout clitiques), on trouve tous les types d'accord attestés:

a c a SMS av -suj a thème -av +suj -av -suj
681; 67,23% 210; 20,73% 45; 4,44% 2; 0,2% 74; 7,3% 1; 0,1%
Tableau 1: Les types d'accord dans le sous-corpus avec les sujets pronominaux (surtout clitiques)

Les fréquences d'occurrence des différents types sont, pourtant, très différentes les unes des autres, les répartitions sur les six types étant assez parallèles à celles qui concernent les sujets lexicaux:

Graphique 2: Les types d'accord dans le sous-corpus avec les sujets pronominaux (clitiques)

C'est de loin l'accord canonique qui l'emporte dans les deux groupes de sujets, suivi de l'accord 'SMS', qui, pourtant, ne dépasse jamais un quart des occurrences. L'accord marqué uniquement par le sujet est le troisième type sur l'échelle de fréquence, et les trois autres types sont statistiquement quasi sans importance. La forme verbale accordée avec le sujet est donc conforme avec la norme dans 80 à 90 % des cas.

Dans le groupe des sujets pronominaux (clitiques), il y a quelques exemples intéressants pour illustrer le facteur 'personne grammaticale':

(15) Hello tout3.SG va3.SG bien avec la colle mais on3.SG est3.SG en rupture donc si t2.SGa3.SG des journaux pour notre deuxième couche ce3.SG serai1.SG cool si tu2.SG pouvaiØØ les prendre quand tu2.SG vienØØ après merci beaucoup ciao zac (322)
(16) Je1.SG vienØØ d'acheté une mauto. Ell3.FEM.Ø es2.SG tou neuve et trè belle (302)11
(17) Ben tant pis pr toi ;) tu2.SG fais2.SG quoi d bo si c3.SG'est3.SG pas secret? Tu2.SG samedise1./3.SG à la case or not? Je1.SG suis1.SG trop crevée avec mon stage pas l hab. De travailler :p bizs (220)

Bien qu'on trouve aussi des accords partiels avec des pronoms sujets du type 5) à la troisième personne du singulier (exemple (15) et (16)) et aux autres personnes grammaticales, ils sont nettement plus fréquents à la deuxième personne du singulier, comme le montre aussi le tableau suivant:

 a c a SMS av-suj a thme -av +suj -av -suj
tous67,23%20,73%4,44%0,2%7,3%0,1%
1ère SG63,66%25,52%5,68%0%5,2%0%
2ème SG61,71%19,37%0%0%19%0%
3ème SG73,51%16,22%6,22%0,5%3,2%0,3%
Tableau 2: Le facteur 'personne grammaticale' dans les accords avec les sujets pronominaux (clitiques)12

Tandis que les autres types d'accord sont représentés de façon plus ou moins égale avec les trois personnes grammaticales du singulier et ont des pourcentages comparables au total des accords analysés, un taux de 19% d'accords partiels avec la seule présence du pronom sujet tu et l'absence du marquage explicite des traits de personne et de nombre sur le verbe conjugué (comme illustré dans les exemples (15) à (17)) dépasse largement la moyenne de 7,3% et nettement les valeurs pour la première (5,2%) et la troisième personne du singulier (3,2%). C'est surtout avec la deuxième personne du singulier qu'on trouve l'absence totale du marquage du morphème de personne et de nombre (cf. tu pouvai, tu vien dans l'exemple (14)). Ce qui reste, dans la réalisation graphique de l'exemple (15), c'est un allomorphe du thème verbal, <vien-> (à côté de <ven-> pour la première et deuxième personne du pluriel), qui apparaît aussi dans la forme de la troisième personne du pluriel <vien-nent> et dans l'impératif singulier <vien-s!>. Bien sûr, la réalisation phonique des formes graphiques <viens> et <vient> , [vjε̃] se distingue nettement de celle de <viennent> , [viεn], quoique <vien> , le thème verbal, soit identique dans le code graphique. Dans cette perspective, une forme graphique comme <vien-> ne comprend plus que le thème verbal ou même la racine lexicale du verbe, avec absence totale de marquage des traits morphosyntaxiques de nombre et de la personne grammaticale (comme c'est le cas d'ailleurs pour <je vien> de l'exemple (16)).


4 Discussion

Notre petite analyse graphique d'un échantillon de 400 SMS francophones du corpus sms4science.ch permet d'aborder, premièrement, la question épineuse (voir chapitre 2) du caractère variationnel du langage utilisé dans cette nouvelle forme de communication. Comme affirmé dans Cougnon & Ledegen 2010 il s'agit effectivement d'un code écrit, plus précisément du code graphique, et dans la majorité des cas analysés même du code graphique réalisé dans la graphie standard. Ainsi avons-nous pu montrer que l'accord canonique est plus que stable dans les SMS analysés, un accord qui se caractérise par la présence explicite du contrôleur (= sujet), l'expression explicite de l'accord sur la cible (= verbe conjugué) et l'expression explicite des traits d'accord sur le contrôleur et la cible. Ce type d'accord se trouve, rappelons-le (cf. chapitre 3.2), dans 90,45% des cas avec des sujets lexicaux et dans 67,23% des cas avec des sujets pronominaux (clitiques). A cela s'ajoute 'l'accord SMS', qui marque lui aussi les traits sur le contrôleur et la cible (tous les deux présents), mais en ayant recours aux différentes graphies 'SMS' disponibles (cf. chapitre 3.1). Si l'on additionne les chiffres pour l'accord canonique standard et 'l'accord SMS', on a un marquage ouvert de l'accord sujet – verbe conjugué dans 95,45% des cas avec des sujets lexicaux et dans 87,96% des cas avec des sujets pronominaux (clitiques). L'accord sujet – verbe conjugué en tant que phénomène morphosyntaxique central pour la grammaire d'une langue humaine est donc en règle générale marqué graphiquement dans les SMS suisses francophones – et ceci en dépit du fait qu'il pourrait en théorie aussi manquer dans cette forme de communication relativement éloignée des conditions d'utilisation du standard (cf. type 3) à 5)). Si les SMS francophones de la Suisse relèvent donc du code graphique et respectent, dans la majorité des cas, la graphie standard, leur statut 'conceptionnel' n'est pourtant pas du tout proche de la communication en situation de distance communicative, bien au contraire. Outre les études empiriques d'orientation sociolinguistique, pragmatique et sociologique qui affirment à l'unanimité le caractère privé, émotionnel, phatique et 'relationnel' des SMS prototypiques (cf. Thurlow & Poff, sous presse, pour un excellent aperçu sur la littérature, et Cougnon & Ledegen 2010: 43 pour les SMS francophones), notre petite étude permet d'y ajouter une observation structurelle importante, à savoir le nombre très restreint de sujets lexicaux dans notre échantillon de 400 SMS analysés. Comme nous avons pu montrer plus haut, nous retenons seulement un taux de 6,89% de sujets lexicaux dans les SMS analysés, un taux comparable aux conversations en situation d'immédiat communicatif (cf. Du Bois 1987, Dufter/Stark 2007). Cette première observation structurelle sur les traits grammaticaux des SMS francophones proprement dits indique donc clairement leur caractère d'immédiat communicatif; nos SMS relèvent du code graphique, mais du point de vue conceptionnel, ils s'apparentent à l'oral. Dans cette perspective, les SMS sont comparables aux lettres privées, démontrant seulement en plus des stratégies d'écriture liées en partie au nouveau médium de communication, le téléphone portable et son clavier, comme c'est aussi le cas du courrier électronique.

Deuxièmement, les régularités du marquage graphique de l'accord sujet– verbe conjugué identifiées dans notre échantillon du corpus sms4science.ch correspondent presque parfaitement aux régularités de la grammaire des langues humaines tout court. L'accord sujet – verbe conjugué, bien que fonctionnellement superflu et non explicable directement par des principes sémantiques quelconques, est marqué dans la grande majorité des cas, même là où il entre en contradiction avec les principes de l'écriture des SMS tels que les abréviations ou l'orthographe phonétique (cf. l'exemple (8) supra, où tous les accords sujet – verbe conjugué et l'accord du participe passé sont réalisés dans la graphie). Si l'accord n'est pas marqué par la graphie standard, il l'est souvent d'une autre manière (cf. l'exemple (7) en haut), ce qui confirme son rôle central dans la structure grammaticale de la langue (française) et sa représentation graphique. Qui plus est, même les déviances apparentes par rapport à la norme (accord défectif en nombre avec un sujet au pluriel postposé au verbe conjugué, cf. l'exemple (14) ci-dessus; marquage de l'accord défectif surtout avec la deuxième personne du singulier, cf. les exemples (15) à (17) ci-dessus) sont en accord avec les régularités universelles observées dans la typologie, la grammaire générative ou la théorie de la morphologie naturelle (où c'est la deuxième personne qui est marquée tant du point de vue fonctionnel que du point de vue formel et donc plus propice à des "fautes", cf. Mayerthaler 1980).


5 Conclusion et perspectives

Nous avons pu montrer dans cette analyse morphosyntaxique d'une partie du corpus sms4science.ch que toutes les propriétés principales de l'accord sujet – verbe conjugué (canonique) sont préservées dans les SMS, à savoir une certaine redondance, simplicité et dépendance structurelle (cf. l'exemple (14)). Le marquage de l'accord représente, dans cette nouvelle forme de communication comme dans les autres manifestations du français graphiques, un phénomène morphosyntaxique stable qui se trouve dans certaines configurations syntaxiques et qui est par là un indicateur important de la structure syntaxique. Pour comprendre mieux sa nature fondamentale et son interdépendance avec les différentes stratégies d'écriture dans les SMS, on devrait maintenant, d'une part, élargir l'analyse à tous les SMS francophones du corpus (environ 4500), et, de l'autre, effectuer plus en détail l'analyse qualitative des occurrences, pour pouvoir identifier les motivations internes de 'l'accord SMS' et de l'accord partiel (dû en partie à des constructions impersonnelles sans sujets explétifs ouverts, etc.). Il serait aussi intéressant de savoir où et pourquoi certains procédés différents de marquage de l'accord coïncident, et bien sûr, comment les autres types d'accord (du sujet et du complément d'objet direct avec le participe passé, de l'adjectif dans le complément prédicatif/attribut avec le sujet etc.) sont réalisés dans notre corpus.

Toutes ces questions seront posées dans le cadre du projet de recherche sms4science.ch, mais les quelques résultats préliminaires problématisés dans cet article nous permettent de lancer d'ores et déjà notre hypothèse de travail général: Si nous sommes d'accord pour affirmer que "[…] les structures syntaxiques de base (à ne pas confondre avec de l'écrit normé) [sont, ES] peu remises en cause" (Fairon et al. 2006:55) dans les SMS, nous doutons de la raison mise en avant par Fairon et al. 2006, qui mettent l'accent sur l'interprétation assurée des messages en question. Comme nous avons pu le démontrer, le marquage (morpho)syntaxique est bien 'intact' dans un domaine qui n'apporte rien à la compréhension ou à l'interprétation du message, ni à l'économie d'espace ou de temps, tout simplement parce que le noyau dur de ce qu'on appelle syntaxe est inaccessible à la conscience des auteurs/locuteurs et reste stable, même dans son marquage graphique, pour des raisons étrangères à toute fonctionnalité extralinguistique.


Notes:

* Je tiens à remercier Marie-José Béguelin pour ses remarques critiques très précieuses et aussi pour sa correction au niveau de la langue. Je remercie aussi un(e) expert(e) externe anonyme pour de nombreuses remarques très utiles. Toutes les erreurs qui restent sont entièrement de ma responsabilité. zurück

1 Bien sûr, on doit argumenter, dans un sens strict et une analyse qui prend en compte la différence morphologique considérable entre le français graphique et le français phonique quant au marquage de la personne et du nombre du sujet sur le verbe conjugué (cf. Blanche-Benveniste 2000:144ss, Schpak-Dolt 22006: 63-66), que ce type d'orthographe phonétique ( <es> pour [ε]) n'indique pas forcément l'absence de l'accord dans le savoir linguistique (implicite) du locuteur/auteur du SMS, mais seulement une transcription non standard de l'absence de sa réalisation morphologique à l'oral. C'est d'ailleurs exactement ce que nous assumons. Ce qui est tout de même intéressant, aussi dans cette perspective, c'est le souci des locuteurs/auteurs des SMS de marquer, dans la plupart des cas, l'accord même là où il n'est plus 'audible', réalisé à l'oral (voir en bas). Dans ce qui suit, nous allons exclusivement nous concentrer sur le médium graphique et l'application de ses régularités, qui en règle générale comprennent une réalisation morphologique explicite de l'accord en personne et en nombre avec le verbe conjugué, même là où le français phonique n'a plus que des paradigmes hautement syncrétiques. Sans vouloir entrer ici dans un débat autour du statut de l'écriture (cf. Catach 31995), nous comprenons par là la graphie française non pas comme un simple transcodage du code phonique, surtout dû à son caractère extrêmement étymologique et son marquage très déviant, aussi sur le plan typologique, de l'accord par rapport au code phonique, mais surtout comme une seconde possibilité, un second médium, de coder linguistiquement les informations qu'on veut faire passer. zurück

2 Les chiffres en parenthèses après les exemples indiquent le numéro de l'exemple respectif dans le corpus. zurück

3 Nous n'indiquerons par la suite que les traits morphosyntaxiques pertinents pour notre argumentation dans les exemples et ne présenterons donc pas de gloses de chaque élément linguistique présent. zurück

4 'Les pauvres jeunes filles', 'les pauvres garçons'. zurück

5 Pris dans le site web sur Gérard de Nerval: http://www.site-magister.com/chansons.htm, le 19 août 2010. Cf. aussi les observations parallèles dans Berrendonner/Béguelin 1995: 22. A voir aussi l'observation suivante de Marie-José Béguelin (c. p): Il existe beaucoup d'attestations non standard du genre: Arriva trois vaisseaux (considérées par certains comme des variantes de la tournure impersonnelle (standard) Il arriva trois vaisseaux). Il n'existe pourtant pas de construction comme *Trois vaisseaux arriva, même pas dans le non ou le sous-standard. zurück

6 Qui plus est, Sourdot 2004: 88s. attribue à tort les relatives sous-standard aux SMS, phénomène connu et décrit depuis longtemps et absolument indépendant de cette forme de communication, cf. Stark 2009. zurück

7 A voir aussi la caractérisation du langage SMS de Anis (2007: 112) "written language characterized by interactive features". zurück

8 A voir aussi les remarques critiques à propos de la confusion autour des termes d'oral, d'écrit et de spontané dans Bilger & Blanche-Benveniste 1999. zurück

9 Il est à noter que beaucoup de ces phénomènes de graphie non standard ne sont pas exclusifs ou propres aux SMS, mais se trouvent aussi dans d'autres formes de 'communication médiée par ordinateur' (angl. computer mediated communication) ou même dans des copies ordinaires d'élèves ou d'étudiants. Nous les appelons ici tout de même des types d"accord SMS", pour pouvoir les rassembler sous une dénomination commune, qui indique leur caractère déviant par rapport à la graphie standard et le fait qu'ils se trouvent quand même de manière très concentrée, fréquemment et avec préméditation, dans les textos francophones. zurück

10 Malheureusement, ce groupe ne comprend, pour le moment et dans l'échantillon des sms analysé jusqu'à maintenant, que deux occurrences du verbe impersonnel falloir, qui apparaît, de toutes les manières, toujours au singulier. L'exemple donné ici n'est donc pas très représentatif de ce groupe, qui s'agrandira pourtant au fur et à mesure que l'analyse sera étendue au corpus entier. zurück

11 Identique à l'exemple (1) en haut. zurück

12 Les pourcentages indiquent la proportion respective du type d'accord dans tous les accords analysés avec pronom sujet (clitique). zurück


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