Le détachement en position initiale: rôle phrastique ou discursif/textuel?
Exemple du syntagme à propos de X [*]

Sylvie Porhiel (Pleyben)



1 Introduction

Nous nous proposons d'étudier le rôle du détachement du syntagme à propos de X et de déterminer si ce détachement se limite au cadre de la phrase ou s'étend au texte. Nous considérons que lorsque le syntagme à propos de X est détaché (en position initiale ou précédé d'un adverbial (dans le sens de la fonction d'un groupe de mots), donc qu'il est syntaxiquement moins intégrée, il a un rôle fondamentalement discursif (cf. Geis 1986: 128; Charolles, Lamiroy 2002 pour les structures de but en pour). Ce syntagme est alors potentiellement un marqueur de thématisation, i. e. un syntagme prépositionnel partiellement lexicalisé indiquant une opération de thématisation (thématisation au sens syntaxique) à l'aide d'un introducteur thématique (en ce qui concerne, à propos de, pour ce qui est de, quant à, etc.; pour une liste cf. Porhiel 2004). L'introducteur, ici à propos de, instancie un cadre et précise le thème de la ou des propositions qui suivent (cf. Charolles 1997). Dans la théorie des cadres exposée dans Charolles (1997), les cadres sont des marques de cohésion textuelle dont la particularité est de pouvoir intégrer sous leur "influence" une ou plusieurs propositions qui forment un tout sémantiquement et discursivement homogène. Cette fonction intégrative, c'est-à-dire la capacité qu'ils ont d'englober dans leur portée sémantique la ou les proposition(s) qui suivent, leur sert à structurer (à répartir et à subdiviser) l'information au fil du discours.

Dans cette analyse nous cherchons à savoir quand le syntagme à propos de X peut être renvoyé à la périphérie de la phrase. Il devrait alors être possible de répondre aux points suivants: a) quand il y a détachement (ou indexation, antéposition) du syntagme à propos de X est-ce que à propos de est systématiquement un introducteur thématique? b) quand s'agit-il d'un introducteur thématique, plutôt que d'une unité lexicale dépendant d'un autre constituant morphosyntaxique? c) quels environnements (linguistique et textuel/discursif) favorisent le détachement de à propos de X?

Cette étude se divise en deux parties. La première partie étudie la possibilité ou l'impossibilité de détacher à propos de X dans des exemples dont le verbe (i. e. le noyau syntaxique et sémantique de la proposition) de la proposition introduit un complément nominal non prépositionnel:

(1) M. X. nous a adressé une lettre à propos de notre série d'articles sur la Chine.
(1a) À propos de notre série d'articles sur la Chine, M. X. nous a adressé une lettre.

La deuxième partie cherche à déterminer si dans des exemples dans lesquels à propos de X est détaché et dans lesquels le verbe introduit un complément prépositionnel ou propositionnel, le plus souvent complétif à propos de est un introducteur thématique ou sert à saturer le verbe de la proposition:

(2)  Déjà dans Faux pas, à propos de Mallarmé, Blanchot écrivait que comprendre un poème n'est pas accéder à une pseudo-signification, mais coïncider avec son mode d'existence. (Frantext) 

 

2 Possibilité ou impossibilité de détacher à propos de X quand le verbe de la proposition n'introduit pas un complément prépositionnel

Dans cette partie, nous analysons s'il est possible de détacher (ou d'indexer; il s'agit d'un placement textuel qui s'accompagne d'une interprétation fonctionnelle) à propos de X quand le verbe n'introduit pas un complément prépositionnel. Après un rappel du double fonctionnement syntaxique bien connu de certains compléments, nous examinons le double fonctionnement d'à propos de X.

2.1 Le double fonctionnement syntaxique de certains compléments

2.1.1 Dans un cadre phrastique

Certains compléments, et en particulier ceux de temps et de lieux, ont un double fonctionnement syntaxique. Ils sont soit fortement liés à un verbe, soit détachés en début de phrase. Dans le premier cas, ce sont des compléments du verbe (3a) (d'après Milner (1989: 434), des compléments identificateurs du verbe) ne pouvant être supprimés (3b); ils sont dits essentiels:

(3a)  Paul va à Paris. (Delaveau 1992: 190) 
(3b) * Paul va [1] .

Dans le deuxième cas, ce sont des constituants non dépendants d'un terme de la phrase (4a) qui peuvent être supprimés (4b) (cf. Delaveau 1992: 190; dans la terminologie de N. Enkvist (1976b) les compléments essentiels et les compléments non essentiels sont respectivement des adverbials of valency et des adverbials of settings.); ils créent un cadre (cf. Le Goffic 1993; Charolles 1987: 247, 1997):

(4a) Les jeunes ont voté massivement à Paris. (Delaveau 1992: 190) 
(4b) Les jeunes ont voté massivement.

Dans (4a), le complément à Paris, à la périphérie de la phrase, peut être déplacé en début de phrase (4c):

(4c) À Paris, les jeunes ont voté massivement.

En revanche, essentiel dans (3a), ce même complément est difficilement déplaçable en début de phrase (3c):

(3c) ?* À Paris, Paul va.

Pour nombre de chercheurs, les critères de suppressibilité et de mobilité, critères syntaxiques distributionnels, ne sont pas probants (cf. Le Goffic 1993: 77) ou sont insuffisants (cf. Delaveau 1992; Leeman 1998) pour caractériser un groupe de mots comme étant un circonstant. Il est vrai que ces deux critères peuvent s'appliquer, entre autres, aux constructions détachées (cf. Combettes 1998). Toutefois, les critères de suppressibilité et de mobilité, auxquels sont liées les notions de compléments essentiels ou non essentiels, et par là les notions de dépendance ou d'indépendance syntaxique, constituent des critères robustes. Par conséquent, nous les avons pris en compte pour déterminer si une occurrence d'à propos de doit être considérée comme un potentiel introducteur de cadre thématique. La prise en compte de ces critères ne signifie pas pour autant que les syntagmes à propos de X sont des circonstants. Il convient d'ailleurs de s'interroger à ce propos comme l'ont signalé M. Charolles, D. Klingler et S. Prévost (2001).

Plusieurs chercheurs affirment que la distinction entre compléments essentiels et compléments non essentiels n'est qu'accessoire. P. Le Goffic (1993: 78) affirme que "La frontière entre essentiel et accessoire est de pure nécessité descriptive; on ne peut être sûr qu'elle corresponde toujours à des fonctionnements distincts ou à de véritables enjeux interprétatifs". Une approche discursive/textuelle devrait pouvoir mettre en évidence certains de ces enjeux interprétatifs.

Comme les deux propriétés syntaxiques que nous venons de considérer s'appuient sur des compléments étudiés dans la phrase et en dehors de tout contexte, elles ne jouent pas le même rôle dans les analyses discursives/textuelles.

2.1.2 Dans un cadre textuel

D'autres recherches, dans une perspective textuelle, avancent qu'il n'est pas possible d'expliquer l'ordre des mots uniquement dans une phrase ou dans une proposition (cf. Enkvist 1976a: 78); celui-ci est affecté par son environnement textuel (cf. Enkvist 1976a; Winter 1982; Hoey 1983, inter alia). Replacés en contexte, les jugements d'acceptabilité concernant les compléments en position initiale peuvent changer. En fait, le placement des adverbiaux résulte d'une combinaison de paramètres: la catégorie sémantique à laquelle appartient l'adverbial, le lien plus ou moins fort qu'il entretient avec le verbe, la portée sémantique, la progression thématique (cf. Enkvist 1976b: 66). Un des exemples proposés concerne les recettes de cuisine dans lesquelles on trouve, en position initiale, des adverbiaux très fortement liés à leur verbe (cf. Enkvist 1986: 246) et qui, en d'autres circonstances, ne seraient pas placés à l'initiale: Dans un saladier, mélangez la farine, le sel, le sucre et le beurre; Dans une marmite, faites chauffer l'huile.

2.2 Le double fonctionnement d'à propos de

La préposition à propos de a un double fonctionnement syntaxique: le syntagme qu'elle introduit peut dépendre d'un constituant de la phrase: Z à propos de X ou être détaché du reste de la proposition (p) par une virgule: A propos de X, p; la préposition est soit en position initiale, soit précédée d'un ou plusieurs adverbiaux. En outre à chaque schéma syntaxique correspond une fonction discursive. Quand à propos de ne dépend pas d'un autre constituant ((qn vient de dire qu'il a été en Italie). À propos de l'Italie, j'ai reçu une lettre de Rome. (Gougenheim)), elle a une fonction thématique: elle relie ce que l'on va dire à ce qui a déjà été dit ou à ce que quelqu'un a dit. L'élément régi par la préposition est alors un thème (ou topique [2] ) dans le sens où le référent est connu des interlocuteurs parce qu'il a été précédemment évoqué dans le discours ou parce qu'il est implicitement présent dans l'interdiscours. Quand à propos de dépend d'un autre constituant (dire des horreurs à propos de qn), elle a une fonction de focalisation. La relation instaurée par à propos de a lieu dans le même segment de discours. Elle introduit un focus (et non un thème ou topique), c'est-à-dire un élément que l'on ne peut pas prévoir au moment de l'énonciation (cf. Péroz 2003; Porhiel 2001-02). Trois lectures ou valeurs (cf. Pinchon 1966) sont associées à ce schéma syntaxique: la lecture 'au sujet de' (Elle s'est informée à propos de vos antécédents financiers), la lecture causale médiatisé (Je vous ai convoqué à propos de votre fille où la raison de la convocation est sa fille) et plus rarement la lecture temporelle (Il a annoncé ça à propos de l'inauguration du collège à propos de commute avec à l'occasion de). A partir d'exemples dans lesquels à propos de dépend d'un constituant nous examinons quand il est possible d'antéposer à propos de X. Nous considérons la lecture 'au sujet de' et la lecture causale médiatiée et déterminons si les exemples reçoivent les mêmes jugements d'acceptabilité selon que l'on se situe dans une perspective phrastique ou textuelle.

2.2.1 La lecture 'au sujet de' de à propos de dans la phrase

Dans les exemples (5)-(8),  à propos de introduit des compléments qui dépendent d'un autre constituant phrastique, des verbes ou des locutions verbales (i. e. des constructions verbales dont le complément d'objet est très lié au verbe):

(5) Paul a écrit à propos du feu d'artifice.
(6) M. X. nous a adressé une lettre à propos de notre série d'articles sur la Chine.
(7) Il a parlé à propos de la crise financière au Japon.
(8) Il a pris la parole à propos de la crise financière au Japon.

Pour vérifier si les compléments introduits par à propos de sont essentiels ou non, nous utilisons les deux tests mentionnés ci-dessus (2.1.1.), la suppression des compléments et leur déplacement à l'initiale.

Premièrement, si nous supprimons les compléments des exemples (5)-(8), nous obtenons:

(5a) Paul a écrit.
(6a) M. X. nous a adressé une lettre.
(7a) Il a parlé.
(8a) Il a pris la parole.

Dans tous les cas, la suppression des compléments ne rend pas les phrases inintelligibles ou agrammaticales, inacceptables. Toutefois, l'absence de complément introduit des changements sémantiques plus ou moins importants. Dans (5) Paul a écrit à propos du feu d'artifice et (7) Il a parlé à propos de la crise financière au Japon, à propos de dépend d'un constituant verbal. Dans le cas de (5), la suppression du complément ne change pas le sens d'écrire. Cependant, la limitation sémantique introduite par la préposition disparaît et on ne sait pas 'à propos de quoi Paul a écrit' dans un complément implicite renvoyant à un support d'écriture, une lettre, un livre, un article, etc. Dans le cas de (7), la suppression du complément change le sens de parler. En effet, le complément "complète l'idée du verbe" (cf. Leeman 1998: 14) et ceci indique un fort lien entre le verbe et le complément (cf. Enkvist 1976b: 55). Avec un complément introduit par les prépositions sémantiquement homogènes: à propos de, sur, de [3] , parler a le sens de 'traiter de quelque chose', d''intervenir à propos de quelque chose'; sans complément, parler a le sens de 's'exprimer', de 'révéler quelque chose'. Du fait de ce changement sémantique on peut aller jusqu'à dire que l'on a affaire à deux verbes. Dans (6) M. X. nous a adressé une lettre à propos de notre série d'articles sur la Chine et (8) Il a pris la parole à propos de la crise financière au Japon, à propos de dépend d'un groupe verbal (i. e. le verbe seul ou le verbe et ses compléments), soit a adressé une lettre et a pris la parole. Dans (6) et (8), c'est le nom qui détermine la forme des compléments de ces groupes verbaux. Par exemple, dans (8), prendre est un verbe support (au sens de G. Gross 1988: 40: Un verbe support est un verbe prédicativement vide et qui donne au substantif qui suit les marques de temps, de personne et de nombre. Il correspond aux Funktionsverben de la grammaire allemande.) accompagné d'un complément d'objet la parole dont le complément est implicitement exprimé; sans complément d'objet, la phrase serait agrammaticale: *Il a pris. Les compléments de (5) (6) et (8), absents dans (5a) (6a) et (8a) servent à restreindre les interprétations possibles, donc à limiter et à préciser le sens des groupes verbaux.

Deuxièmement, si nous déplaçons les compléments en position initiale, nous obtenons:

(5b) * À propos du feu d'artifice, Paul a écrit.
(6b) À propos de notre série d'articles sur la Chine, M. X. nous a adressé une lettre.
(7b) * À propos de la crise financière au Japon, il a parlé.
(8b) À propos dela crise financière au Japon, il a pris la parole.?

Cette permutation appelle deux remarques: les compléments prépositionnels se déplacent plus ou moins facilement dans un cadre phrastique; leur fonction intégrative (leur portée sémantico-discursive) sur les constituants de la phrase varie (à des degrés divers) en fonction de leur position.

Le déplacement du complément dans (5b) * À propos du feu d'artifice, Paul a écrit est difficilement acceptable; la phrase ainsi formulée et bornée par une ponctuation forte, un point, donne une impression d'incomplétude. Le complément de (6) M. X. nous a adressé une lettre à propos de notre série d'articles sur la Chine se déplace facilement en position initiale dans (6b); l'insertion du complément est d'ailleurs possible à deux autres endroits dans la phrase (6b') (6b''):

(6)    M. X. nous a adressé une lettre à propos de notre série d'articles sur la Chine. 
(6b) À propos de notre série d'articles sur la Chine, M. X. nous a adressé une lettre.
(6b') M. X. nous a adressé, à propos de notre série d'articles sur la Chine, une lettre [4] .
(6b'') M. X., à propos de notre série d'articles sur la Chine, nous a adressé une lettre.

On constate alors que plus le complément est déplacé vers la gauche, plus il se trouve à la périphérie de la phrase et indexe le reste de la proposition. En revanche, lorsque le complément est à la droite du verbe, il se rattache au dernier prédicat en cours et n'intègre pas de proposition. Par conséquent, lorsque le complément dépend d'un constituant morphosyntaxique, son "influence" se limite strictement à ce dernier (il est orienté vers la gauche). En revanche, lorsque le complément indexe la proposition, sa fonction intégrative s'étend à l'ensemble de la proposition, voire à plus d'une proposition (il est orienté vers la droite). C'est dans ce sens que nous parlons de gradation concernant la fonction intégrative du complément prépositionnel.

La permutation du complément de (7) Il a parlé à propos de la crise financière au Japon n'est pas acceptable (7b) *À propos de la crise financière au Japon, il a parlé: premièrement, parler, employé intransitivement, a le sens de 'discuter', 'révéler quelque chose'/'avouer'; deuxièmement, aucune information lexicale ne sous-entend une interprétation de parler dans le sens de 'traiter de'. En revanche, si on rajoute le pronom en ou l'anaphorique à ce sujet dans la proposition, la permutation est envisageable:

(7b')  ?* À propos de la crise financière au Japon, il en a parlé.
(7c') ?* À propos de la crise financière au Japon, il parlé à ce sujet.

et tout à fait acceptable si la phrase contient une indication temporelle (ce matin) et/ou locative (en cours - un cours se déroulant à un temps donné et dans un endroit donné):

(7b'')  À propos de la crise financière au Japon, il en a parlé ce matin en cours. [5]
(7c'') À propos de la crise financière au Japon, il parlé à ce sujet ce matin en cours.

À propos de (7b') ?* À propos de la crise financière au Japon, il en a parlé et (7b'') À propos de la crise financière au Japon, il en a parlé ce matin en cours, on pourrait penser que la grammaticalité de l'exemple est due aux propriétés lexicales du nom crise, associé à une date et à un lieu géographique. Toutefois, avec un nom comme volcan on obtient les phrases:? À propos des volcans, il en a parlé; À propos des volcans, il en a parlé ce matin en cours et des jugements de grammaticalité identiques à (7b') et (7b''). De plus, les indications temporelles et géographiques doivent être indiquées dans la proposition et non dans le groupe prépositionnel introduit par à propos de (7b) (7b'). Selon la terminologie de Milner (1989), à propos de est un complément identificateur de parler au sens de 'traiter de' et est donc peu mobile par rapport à ce verbe; ce n'est pas le cas de parler au sens de 'révéler quelque chose'. Dans (7b''), le locuteur ancre son discours dans l'espace et le temps au moyen de deux éléments lexicaux, ce matin (information temporelle) et en cours (information temporelle et locative), qui saturent le discours et rendent la phrase suffisante. Enfin, avec un groupe verbal comme pris la parole dans (8) Il a pris la parole à propos de la crise financière au Japon, on peut envisager de permuter le complément, (8b)? À propos de la crise financière au Japon, il a pris la parole. En effet prendre la parole signifie 'intervenir' avec l'idée implicite que l'on intervient 'sur, à propos de' quelque chose.

D'après le test de la suppression du complément et celui du déplacement des compléments, à propos du feu d'artifice (5) et à propos de la crise financière au Japon (7) sont des compléments essentiels; à propos de notre série d'articles sur la Chine (6) et à propos de la crise financière au Japon (8) sont des compléments non essentiels. De ce fait, dans les phrases (b), à propos de en position initiale et détachée peut uniquement jouer le rôle discursif d'un introducteur thématique dans (6b). Outre une différence de position dans les exemples, on remarque des changements importants concernant à propos de. Ainsi dans (5) Paul a écrit à propos du feu d'artifice, (6) M. X. nous a adressé une lettre à propos de notre série d'articles sur la Chine et (7) Il a parlé à propos de la crise financière au Japon, à propos de a une fonction de focalisation, et dans (6b) À propos de notre série d'articles sur la Chine, M. X. nous a adressé une lettre, (7b')?* À propos de la crise financière au Japon, il en a parlé et (7b'') À propos de la crise financière au Japon, il en a parlé ce matin en cours, une fonction thématique. Concernant cette fonction thématique, on note que le syntagme à propos de X est en dehors de la proposition et qu'il peut être rappelé dans la proposition par un pronom, en dans (7b')?* À propos de la crise financière au Japon, il en a parlé, (7b'') À propos de la crise financière au Japon, il en a parlé ce matin en cours ou ne pas être rappelé (6b) À propos de notre série d'articles sur la Chine, M. X. nous a adressé une lettre. Dans le cas de (7b') et (7b'') ce lien est obligatoire, sinon l'exemple est agrammatical (7b) *À propos de la crise financière au Japon, il a parlé; dans le cas de (5b) ce lien anaphorique ne peut exister:

(5b)  * À propos du feu d'artifice, Paul a écrit (à ce sujet+là-dessus).

à moins d'ajouter un complément au verbe transitif écrire 'exposer':

(5b')  À propos du feu d'artifice, Paul a écrit quelque chose (à ce sujet+là-dessus).

Le fait d'être en dehors de la proposition confère à propos de X une fonction discursive thématique qui fait le lien avec un passage textuel amont, ce dernier pouvant être repris sous la forme d'un pronom dans une proposition en aval. Dans ce cas à propos de X est un marqueur de thématisation.

2.2.2 La lecture 'au sujet de' de à propos de dans le texte

Si nous dépassons à présent le cadre de la phrase et considérons les exemples (b) de la section 2.2.1 dans une perspective textuelle/discursive, tous les compléments introduits par à propos de peuvent indexer une ou plusieurs propositions et jouer un rôle textuel: dans (6b) et dans (8b), dans les limites de la phrase, ce rôle textuel est sous-utilisé; dans (5b) et dans (7b), toujours dans les limites de la phrase, ce rôle est latent 

Dans les exemples (6) M. X. nous a adressé une lettre à propos de notre série d'articles sur la Chine et (6b) * À propos du feu d'artifice, Paul a écrit et (8) Il a pris la parole à propos de la crise financière au Japon et (8b)? À propos de la crise financière au Japon, il a pris la parole la fonction intégrative des compléments varie en fonction de leur position dans la phrase: il y a gradation. Si les compléments se trouvent après le groupe verbal comme dans (6) M. X. nous a adressé une lettre à propos de notre série d'articles sur la Chine et dans (8) Il a pris la parole à propos de la crise financière au Japon, ils n'ont pas une fonction intégrative aussi importante que lorsqu'ils indexent le reste de la proposition comme dans (6b) À propos de notre série d'articles sur la Chine, M. X. nous a adressé une lettre et dans (8b)?À propos de la crise financière au Japon, il a pris la parole. Ce phénomène d'"influence" peut se mettre en évidence, si on attribue une suite aux exemples. Considérons les exemples (6) et (6b) auxquels nous ajoutons une suite, respectivement (6') et (6b'), ce qui permet de mettre en évidence quelques propriétés.

Dans (6'), le syntagme à propos de notre série d'articles sur la Chine (n°562) dépend, d'après sa position syntaxique, du dernier constituant, c'est-à-dire lettre. La cohésion du passage est ensuite maintenue à la fois par l'élément anaphorique cette, la reprise lexicale lettre et le pronom il qui reprend M. X.

(6')  M. X. nous a adressé une lettre à propos de notre série d'articles sur la Chine (n°562). Dans cette lettre, il apprécie l'analyse approfondie des journalistes et apporte des précisions sur les coutumes de certains groupes ethniques.

La suppression de l'élément anaphorique dans cette lettre rend l'exemple difficile à traiter et (6'') montre que l'introduction de à propos de après un constituant ne crée pas, d'un point de vue cognitif, d'attente élaborative (une attente correspond à ce que le scripteur/orateur est censé écrire/dire et donc ce à quoi le lecteur/auditeur est censé s'attendre) de la part de l'interlocuteur: son rôle se limite strictement à la phrase dans laquelle il se trouve:

(6'')  M. X. nous a adressé une lettre à propos de notre série d'articles sur la Chine (n°562). Il apprécie l'analyse approfondie des journalistes et apporte des précisions sur les coutumes de certains groupes ethniques.

Dans (6'''), le connecteur (mot ou groupe de mots de liaison qui établit un lien fonctionnel entre les phrases) en revanche introduit une opposition suggérant un changement de sujet, ici, introduit par sur: sur les coutumes ancestrales des Indiens:

(6''')  ? M. X. nous a adressé une lettre à propos de notre série d'articles sur la Chine (n°562). Dans cette lettre, il apprécie l'analyse approfondie des journalistes et apporte des précisions sur les coutumes de certains groupes ethniques. M. X., en revanche, n'accorde aucun crédit à l'enquête de nos correspondants sur les coutumes ancestrales des Indiens (n° 567). Il vilipende (...)

Toutefois l'ensemble manque de cohérence (dans un sens pragmatique, c'est-à-dire qu'un texte est cohérent s'il a une unité interne et s'il est approprié à la situation dans laquelle il s'inscrit): la première phrase indique qu'il s'agit d'une lettre à propos d'une série d'articles bien précis, à propos de notre série d'articles sur la Chine (n°562); elle ne précise pas qu'il y est question d'une autre série d'articles. En revanche, si on introduit une indication concernant un autre courrier: dans un autre courrier, le passage redevient cohérent:

(6'''')  M. X. nous a adressé une lettre à propos de notre série d'articles sur la Chine (n°562). Dans cette lettre, il apprécie l'analyse approfondie des journalistes et apporte des précisions sur les coutumes de certains groupes ethniques. M. X., en revanche, dans un autre courrier n'accorde aucun crédit à l'enquête de nos correspondants sur les coutumes ancestrales des Indiens (n° 567). Il vilipende (...)

En conclusion, quand à propos de dépend d'un constituant morphosyntaxique, la préposition a un rôle de focalisation et n'active aucune attente par rapport à la suite du texte de la part de l'interlocuteur. La préposition n'a d'ailleurs pas de pouvoir cohésif au-delà de la phrase.

En revance, la position détachée et à l'initiale de à propos de X dans (6b) À propos de notre série d'article sur la Chine, M. X. nous a adressé une lettre, crée une attente. Le détachement de ce syntagme crée un environnement favorable à l'ouverture d'une série (cf. infra 6b'''), d'une opposition introduite, par exemple, par un autre introducteur thématique. Si on attribue à (6b) la même suite qu'à (6'), la cohésion du passage est maintenue par les mêmes moyens linguistiques (6b'):

(6b)   À propos de notre série d'articles sur la Chine, M. X. nous a adressé une lettre.
(6') M. X. nous a adressé une lettre à propos de notre série d'articles sur la Chine (n°562). Dans cette lettre, il apprécie l'analyse approfondie des journalistes et apporte des précisions sur les coutumes de certains groupes ethniques.
(6b') À propos de notre série d'articles sur la Chine, M. X. nous a adressé une lettre (n°562). Dans cette lettre, il apprécie l'analyse approfondie des journalistes et apporte des précisions sur les coutumes de certains groupes ethniques.

Cependant, à la différence de (6'), à propos de X dans (6b') possède un potentiel intégratif. En effet, l'"influence" de la préposition ne se limite pas à un constituant comme en (6) mais s'étend à plus d'une proposition. La fonction intégrative de (6b') s'étend jusqu'à la fin de la deuxième proposition. On peut notamment s'en rendre compte en supprimant dans (6b') l'élément anaphorique dans cette lettre :

(6b'')  À propos de notre série d'articles sur la Chine, M. X. nous a adressé une lettre (n°562). Il apprécie l'analyse approfondie des journalistes et apporte des précisions sur les coutumes de certains groupes ethniques.

Si dans cet exemple, le potentiel intégratif du syntagme s'étend ainsi c'est que dans les limites de la phrase, son potentiel intégratif est sous-utilisé: dans (6b'), l'attente instanciée par à propos de notre série d'article sur la Chine n'est pas comblée. Elle n'est saturée que dans le cas d'une suite comme dans l'exemple (6b'''), organisé sur un mode sériel [6] : l'introduction d'un autre introducteur thématique, à propos de, concernant, par exemple, clôture un cadre et en ouvre, en instancie un autre:

(6b''')  À propos de notre série d'articles sur la Chine, M. X. nous a adressé une lettre (n°562). Dans cette lettre, il apprécie l'analyse approfondie des journalistes et apporte des précisions sur les coutumes de certains groupes ethniques. (À propos en revanche de+concernant en revanche) l'enquête de nos correspondants sur les coutumes ancestrales des Indiens (n° 567), M. X. est très critique. (...)

Ce que l'on oppose ici dans (6b''') ce sont les appréciations de M. X. à propos des articles sur la Chine et sur le coutumes ancestrales des Indiens. Les syntagmes antéposés signalent explicitement ces changements et classifient l'information. De ce fait, à propos de instancie des cadres thématiques et les marqueurs de thématisation à propos de notre série d'article sur la Chine et à propos de l'enquête de nos correspondants sur les coutumes ancestrales des indiens se délimitent sémantiquement: l'introduction d'un autre introducteur thématique indique que les informations subséquentes ne font plus partie du premier cadre instancié.

L'analyse d'exemples avec des suites pour (6) et (6b) a mis en évidence que le syntagme à propos de X détaché à l'initiale possède un potentiel intégratif, potentiel inexistant quand son rôle se limite à un constituant phrastique.

Dans les exemples (5b) * À propos du feu d'artifice, Paul a écrit et (7b) * À propos de la crise financière au Japon, il a parlé, à propos de peut, en discours, s'antéposer, de façon tout à fait grammaticale, dans chacun des exemples. En fait, le potentiel intégratif du syntagme est latent et ne demande qu'à être activé. Ainsi, l'incomplétude de (5b) est levée à la condition que la phrase ne se termine pas par un point, mais par deux points (5c):

(5b)  *À propos du feu d'artifice, Paul a écrit.
(5c)  À propos du feu d'artifice, Paul a écrit: (...)

Dans une telle configuration parataxique, il importe de remarquer que l'"influence" du syntagme ne se limite pas au constituant verbal a écrit, mais s'étend au-delà du signe de ponctuation (cf. aussi troisième partie). De même, l'exemple (7b),

(7b)  *À propos de la crise financière au Japon, il a parlé.

pourvu d'une suite adéquate (7c),

(7c)  À propos de la crise financière au Japon, il a parlé. Il a avoué que (...)

peut s'insérer tout à fait normalement dans un texte, mais uniquement si parler a le sens de 'dévoiler quelque chose' comme le montre l'unité lexicale avouer. L'activation du potentiel intégratif de à propos de ne peut par conséquent se faire qu'en discours. C'est ce que montre aussi l'exemple (9). Hors contexte, (9) est difficilement acceptable:

(9)  *? A propos de la lutte contre l'esclavage en Amérique, les faits relatés sont exacts.

Toutefois, dans cette position initiale, le syntagme à propos de la lutte contre l'esclavage en Amérique possède un potentiel intégratif sous-utilisé, ce qui explique la non grammaticalité de l'exemple. En revanche, si on tire parti de ce potentiel en attribuant une suite au texte, (9a) est tout à fait correct:

(9a)  A propos de la lutte contre l'esclavage en Amérique, les faits relatés sont exacts. En ce qui concerne l'exposé des thèses on ne peut que louer l'auteur. (Ø+  Toutefois + En revanche) En ce qui concerne la rébellion on s'étonne du silence de l'auteur.

Dans (9a), la phrase introduite par à propos de la lutte contre l'esclavage en Amérique est superordonnée à celles introduites par les marqueurs de thématisation en ce qui concerne l'exposé des thèses et en ce qui concerne la rébellion. Il s'agit d'une phrase introductrice comportant un élément lexical prédictifs [7] (selon la terminologie de Tadros 1994), faits relatés, faits qui, pour être compris doivent être explicités, comme c'est le cas avec les deux phrases introduites par l'introducteur thématique en ce qui concerne. Dans (9), la capacité intégrative du syntagme introduit par à propos de s'étend jusqu'à la fin du texte.

Les exemples (5b) * À propos du feu d'artifice, Paul a écrit , (6b) À propos de notre série d'articles sur la Chine, M. X. nous a adressé une lettre, (7b) * À propos de la crise financière au Japon, il a parlé, (8b)? À propos de la crise financière au Japon, il a pris la parole et (9) *? A propos de la lutte contre l'esclavage en Amérique, les faits relatés sont exacts suggèrent que lorsque le syntagme à propos de X est détaché et en position initiale, il possède un potentiel intégratif qui n'est utilisé que dans une stratégie textuelle [8] déterminée (5c) À propos du feu d'artifice, Paul a écrit: (...), (7c) À propos de la crise financière au Japon, il a parlé. Il a avoué que (...), (9a) A propos de la lutte contre l'esclavage en Amérique, les faits relatés sont exacts. En ce qui concerne l'exposé des thèses on ne peut que louer l'auteur. (Ø+ Toutefois+En revanche) En ce qui concerne la rébellion on s'étonne du silence de l'auteur. Quand ce potentiel n'est pas activé, c'est-à-dire si on ne considère que des exemples hors contexte, à propos de X ne peut généralement pas indexer une proposition (5b) (7b). Si la position initiale est possible, l'attente instanciée n'est pas comblée (6b). Ces résultats soulignent en outre que ce placement à l'initial résulte de contraintes discursives et de la stratégie communicationnelle adoptée par le locuteur.

2.2.3 La lecture 'à cause de' de à propos de dans la phrase (cause médiatisée)

Dans le cas d'une lecture causale médiatisée (cf. Péroz 2003) qui peut s'illustrer par les exemples (10) et (11):

(10)  Les ménagères se crêpaient le chignon à propos de poissons.
(11)  Une discussion s'éleva à propos de ces insupportables devoirs de vacances.

A propos de n'introduit pas intrinsèquement une relation causale car Z n'est pas directement mis en relation avec X. On peut toutefois inférer que la cause de Z = X, i. e. que dans (10) le crêpage de chignon = les poissons et que dans (11) la discussion = les insupportables devoirs de vacances.

Dans (10) et (11), à propos de dépend d'un constituant et les deux compléments que la préposition relie instaurent un rapport causal 'à cause de'. Si on supprime ces compléments, les phrases sont toujours grammaticales bien qu'il y ait perte de précision, de limitation sémantique des constituants dont les compléments dépendent:

(10a)  Les ménagères se crêpaient le chignon.
(11a)  Quelques jours après, une discussion s'éleva.

Les phrases (10b) et (11b) montrent qu'il n'est pas possible de déplacer ou qu'il est difficile de déplacer les compléments dans les exemples, tels qu'ils sont formulés:

(10b)  *À propos de poissons, les ménagères se crêpaient le chignon [9] .
(11b) ? À propos de ces insupportables devoirs de vacances, une discussion s'éleva.

On notera que pour (11b), une inversion dans la proposition rend la phrase grammaticalement acceptable:

(11b')  À propos de ces insupportables devoirs de vacances, s'éleva une discussion.

Toutefois, les jugements de grammaticalité changent dans deux cas de figure. C'est par exemple le cas quand les compléments sont détachés et précédés d'un adverbial. Ainsi (10), précédé d'un complément locatif au marché de Concarneau  (10c)

(10c)  Au marché de Concarneau, à propos de poissons, les ménagères se crêpaient le chignon.

et (11) précédé de trois adverbiaux: deux marqueurs temporels Quelques jours après, au dîner et un marqueur aspectuel et toujours (11c),

(11c)  Quelques jours après, au dîner et toujours à propos de ces insupportables devoirs de vacances, une discussion s'éleva. (inspiré de Frantext)

sont tout à fait grammaticaux. La présence d'un ou plusieurs adverbiaux, avant à propos de X dans (10) et (11) semble donc conditionner la possibilité d'antéposer ce syntagme. On peut supposer alors l'existence d'un fort lien prédicatif entre le verbe et le complément. Pour (10), cela se voit premièrement par le fait que le complément au marché de Concarneau introduit une habitude rituelle au cours de laquelle les poissonnières ont une liste de sujets de discorde. Deuxièmement, le verbe exerce un fort contrôle et ne peut avoir deux compléments, l'un introduit par à propos de, l'autre par sur, sans rapport l'un avec l'autre comme dans (10d):

(10d)  ? Au marché de Concarneau, à propos de poissons, les ménagères se crêpaient le chignon sur les prix.

Le complément introduit par à propos de crée une attente concernant poissons et ce qui s'y rattache, comme le prix par exemple. Toutefois, (10) est peu naturel et si on souhaite introduire une limitation sémantique, celle-ci doit porter sur le complément introduit par à propos de, à propos des prix des poissons et non sur le groupe verbal, se crêpaient le chignon à propos de. Dans le cas d'une restriction sémantique, les compléments ne sont pas séparés

(10d')  Au marché de Concarneau, à propos des prix des poissons, les ménagères se crêpaient le chignon.

Ceci souligne qu'avoir un complément en début de phrase et un autre en fin de phrase comme dans (10d)? Au marché de Concarneau, à propos de poissons, les ménagères se crêpaient le chignon sur les prix entrave la cohérence de l'exemple. Enfin, la préposition ne possède pas de potentiel organisationnel comme nous le verrons ci-dessous (10c').

Par ailleurs, les jugements de grammaticalité changent également si un adverbial se trouve après à propos de poissons ou dans la proposition:

(10e)  À propos de poissons, hier, les ménagères se crêpèrent le chignon.
(10e')  À propos de poissons, les ménagères se crêpèrent le chignon hier.
(10f)  À propos de poissons, les ménagères se crêpaient toujours le chignon.

Toutefois, dans ce cas de figure, la préposition n'a plus une lecture circonstancielle mais thématique et à propos de sert à réintroduire un référent mentionné précédemment dans le discours ou un référent présent dans l'interdiscours. Cette lecture s'accompagne aussi d'une pose intonative et d'une courbe intonative montante (cf. Rossi 1999) après le groupe prépositionnel antéposé.

2.2.4 La lecture 'à cause de' de à propos de dans le texte (cause médiatisée)

Dans le cas d'une lecture circonstancielle, la préposition à propos de est détachée ou dépendante d'un autre constituant. Il faut, comme précédemment, se demander si le déplacement de à propos de X d'une position de dépendance par rapport à un constituant à une position antéposée, a pour conséquence d'activer son potentiel intégratif. Pour pouvoir répondre à cette question il faut considérer un faisceau de facteurs. En effet, quand à propos de a une lecture circonstancielle, le syntagme à propos de X peut être détaché à l'initiale. Ce cas de figure n'est pas différent des exemples *À propos du feu d'artifice, Paul a écrit (5b) et *À propos de la crise financière au Japon, il a parlé (7b). Reste à déterminer si l'attribution d'une suite à (10b) et (11b) changera le jugement d'accceptiblité ou activera le potentiel intégratif du syntagme.

Quand on attribue une suite à l'exemple (10b) *À propos de poissons, les ménagères se crêpaient le chignon, celle-ci ne rend pas le texte (10b') acceptable:

(10b')  *À propos de poissons, les ménagères se crêpaient le chignon. Elles criaient et vociféraient, leurs visages rouges de colère. Elles s'en allaient pleines de hargne et de ressentiment.

Par conséquent, quand la préposition a une lecture causale médiatisée, elle n'a pas de potentiel intégratif. Nous savons aussi que, précédé d'un adverbial, cet exemple passe le jugement de grammaticalité (10c).

(10c)  Au marché de Concarneau, à propos de poissons, les ménagères se crêpaient le chignon.

Dans le cas d'attribution d'une suite (10c'), c'est l'adverbial qui confère au paragraphe sa stratégie textuelle. Le détachement du syntagme introduit par à propos de est contraint/soumis au détachement d'un adverbial, en l'occurrence au marché de Concarneau:

(10c')  Au marché de Concarneau, à propos de poissons, les ménagères se crêpaient le chignon. Elles criaient et vociféraient, leurs visages rouges de colère. Elles s'en allaient pleines de hargne et de ressentiment.

Notons aussi, qu'à propos de poissons n'a pas de potentiel intégratif. Certes, il est possible d'introduire un autre syntagme en à propos de. On suppose en effet, dans la deuxième phrase, que l'on se trouve toujours au marché de Concarneau:

(11c'')  Au marché de Concarneau, à propos depoissons, les ménagères se crêpaient le chignon. Elles criaient et vociféraient, leurs visages rouges de colère. Elles s'en allaient pleines de hargne et de ressentiment. À propos de la qualité des légumes, elles se brouillaient régulièrement avec leur marchand (...)

Sans l'adverbial, l'exemple n'est pas acceptable:

(10c''')  *À propos de poissons, les ménagères se crêpaient le chignon. Elles criaient et vociféraient, leurs visages rouges de colère. Elles s'en allaient pleines de hargne et de ressentiment. À propos de la qualité des légumes, elles se brouillaient régulièrement avec leur marchand (...)

En soi, dans une lecture causale à propos de X n'a pas de potentiel intégratif. Le syntagme n'acquiert cette propriété que s'il est précédé d'un adverbial auquel il se trouve subordonné; cette propriété ne lui est pas inhérente. Dans (10c'') c'est bien l'adverbial au marché de Concarneau qui possède le potentiel intégratif primaire. Cette propriété apparaît clairement dans (10c'''') où l'adverbial Au marché de Concarneau cadre les propositions suivantes et où sur le marché de Pont L'Abbé  clôture ce cadre spatial et en instancie un nouveau de même nature:

(10c'''')  Au marché de Concarneau, à propos de poissons, les ménagères se crêpaient le chignon . Elles criaient et vociféraient, leurs visages rouges de colère. Elles s'en allaient pleines de hargne et de ressentiment. Sur le marché de Pont L'Abbé, à propos de la qualité des légumes, elles se brouillaient régulièrement avec leur marchand (...)

Ce sont bien les cadres spatiaux qui marquent la stratégie textuelle adoptée. En supprimant le complément introduit par à propos de dans la seconde phrase, on ne perd pas la stratégie instanciée par l'adverbial sur le marché de Pont L'Abbé:

(10c''''')  Au marché de Concarneau, à propos de poissons, les ménagères se crêpaient le chignon. Elles criaient et vociféraient, leurs visages rouges de colère. Elles s'en allaient pleines de hargne et de ressentiment. Sur le marché de Pont L'Abbé, elles se brouillaient régulièrement avec leur marchand (...)

C'est également le cas pour (11) Une discussion s'éleva à propos de ces insupportables devoirs de vacances. Si la présence de certains adverbiaux autorise l'antéposition du syntagme, la raison est étroitement liée à la stratégie textuelle du passage. Ainsi, si nous reprenons l'exemple (11c) et si nous lui attribuons un contexte (11d), on pourrait avoir:

(11c)  Quelques jours après, au dîner et toujours à propos de ces insupportables devoirs de vacances, une discussion s'éleva. (inspiré de Frantext)
(11d)  d) Le 15 août j'avais réussi à fausser compagnie à la jeune fille qui venait m'aider à faire mes devoir de vacances. Mon escapade provoqua la fureur de mon père qui m'interdit de me rendre au cirque. Quelques jours après, au dîner et toujours à propos de ces insupportables devoirs de vacances, une discussion s'éleva.

Afin de maintenir la cohésion et la cohérence de l'exemple, le contexte antérieur donne une autre information temporelle. En effet, dans (11c) c'est bien le complément temporel, quelques jours après, qui apparaît en premier et qui instancie un cadre dans lequel se trouve subordonné un rapport causal introduit par à propos de. C'est également ce complément qui conditionne le contexte antérieur proposé.

Quand à propos de est en position initiale précédée ou non d'un adverbial, la lecture thématique (cadrative) se distingue de la lecture circonstancielle par le potentiel intégratif et le potentiel organisationnel du syntagme qu'elle introduit. Une étude sur corpus révèle un autre critère distinctif: dans le cas d'une lecture circonstancielle, la préposition se combine avec des verbes de conflit; dans le cas d'une lecture thématique à propos de se combine avec des verbes de déclaration, d'écriture (cf. Porhiel 2001-02).

Pour conclure. A propos de a un double fonctionnement syntaxique. Si on se déplace de gauche à droite dans la phrase, on va d'une non intégration maximale (avec l'antéposition du syntagme, A propos de X, (p)) à une intégration maximale (quand le syntagme dépend d'un autre constituant, Z à propos de X). Cette échelle intégrative permet de faire l'hypothèse que l'antéposition de à propos de X par rapport au reste de la phrase confère à ce syntagme un fonctionnement textuel dans le sens où elle fournit une toile de fond à l'interprétation de la proposition de la phrase. En outre, les exemples de cette première partie ont montré que le déplacement des syntagmes introduits par à propos de est conditionné par des contraintes grammaticales et textuelles. Dans une perspective discursive, les tests, opérationnels dans un cadre phrastique, s'avèrent moins opérationnels, voire inopérants. De plus, ce n'est pas le "déplacement" qui importe le plus, mais la stratégie textuelle mise en place par le locuteur.

Pour pouvoir rendre compte du rôle de à propos de dans le discours nous proposons d'introduire deux notions combinant des propriétés phrastiques et discursives, le potentiel intégratif et la gradation du potentiel intégratif. La notion d'intégration renvoie à celle de portée, notion empruntée à la logique et qui, en linguistique, décrit un phénomène sémantique ou un phénomène syntaxique (cf. Danell 1998, Fuchs 1993, Guimier 1996). Elle se limite au cadre de la phrase dans lequel il s'agit de déterminer sur quelle portion de la phrase porte une interrogation, une négation, une emphase, un adverbe, un connecteur. Ce cadre définitoire est trop restrictif pour traiter les marqueurs de thématisation et occulte le fait que leur "portée" s'étend au-delà de la phrase est qu'elle est donc "élargie" ('extended scope', Thompson 1985: 76). B. Combettes (1998: 137) note aussi le problème que pose l'utilisation de cette notion pour les constructions détachées à moins de lui conférer une valeur textuelle:

Ce terme est d'ordinaire utilisé pour désigner les rapports que certains éléments établissent avec le reste de la phrase: on parle ainsi de la portée de la négation ou de celle de l'adverbe. Dans le cas de constructions détachées, comme de certains circonstants, ce terme de "portée" prend une valeur textuelle: il ne s'agit pas de la portée dans la phrase, mais des relations qu'entretient une construction détachée avec des phrases successives.

Dans la mesure où les cadres peuvent intégrer de vastes segments textuels convient-il toujours de parler de leur "portée"? Nous proposons de ne pas retenir ce terme et de parler plutôt de potentiel intégratif.

Pour finir nous proposons les définitions ci-après pour potentiel intégratif et gradation du potentiel intégratif:

potentiel intégatif: un introducteur de cadre est dit avoir un potentiel intégratif quand, à l'initiale et antéposé ou antéposé et précédé d'un adverbial, il s'insère grammaticalement dans un texte et a la capacité de s'étendre à une ou plusieurs propositions. Le potentiel intégratif d'un introducteur de cadre peut être sous-utilisé ou latent.

gradation du potentiel intégratif: plus le complément instancié par un introducteur de cadre est déplacé vers la gauche, plus il se trouve à la périphérie de la phrase et indexe le reste de la proposition et plus il intègre les propositions subséquentes.

3 A propos de X est détaché: le verbe de la proposition introduit un complément prépositionnel ou propositionnel

La troisième partie étudie le cas où à propos de X est détaché, en position initiale ou précédée d'un adverbial et qu'un constituant (nom, verbe, adjectif) de la proposition se combine avec un complément. Nous voulons déterminer si dans ce cas à propos de est un introducteur thématique et si à propos de X est un marqueur de thématisation. Pour ce faire, nous introduisons ce que nous appelons le principe de saturation, puis nous l'illustrons.

3.1 Le principe de saturation

L'exemple (12) illustre le cas où à propos de X se trouve détaché, précédé d'un adverbial et que le constituant verbal, nominal, voire adjectival de la proposition se construit avec un complément prépositionnel ou propositionnel:

(12)  Déjà dans Faux pas, à propos de Mallarmé, Blanchot écrivait que comprendre un poème n'est pas accéder à une pseudo-signification, mais coïncider avec son mode d'existence. (Frantext)

D'après les analyses syntaxiques, on sait qu'un verbe, un nom ou un adjectif peut être saturé par des complément(s) syntaxique(s) et qu'il peut avoir plusieurs structures de compléments. Nous nous intéressons ici au cas où le verbe (il s'agit d'un verbe de déclaration, de conflit, d'écriture) a une double structure et cherchons à déterminer si à propos de introduit ou non un cadre thématique. L'analyse d'un corpus d'exemples nous a conduit à formuler ce que nous appelons le principe de saturation:

Quand dans une phrase un verbe, un nom ou un adjectif a plusieurs structures de compléments, et que l'une de ces structures est introduite par à propos de en position détachée, deux cas de figure se présentent:

a) dans le premier cas, le verbe, le nom ou l'adjectif introduit un autre complément prépositionnel dont la préposition est une "variante prépositionnelle" (i. e. une préposition différente qui n'introduit pas de changement de sens immédiatement perceptible; Gross M. 1975: 137) de à propos de;

b) dans le deuxième cas, l'autre structure de complément est le plus souvent introduit par un subordonnant complétif ou est introduite par deux points.

Dans ces deux cas de figure, où à propos de X est employé conjointement avec une autre structure de complément, on considère que c'est cette autre structure qui sature syntaxiquement le verbe, le nom ou l'adjectif et que à propos de est un introducteur thématique. Ainsi dans (12) à propos de Mallarmé est un marqueur de thématisation et que comprendre un poème n'est pas accéder à une pseudo-signification, mais coïncider avec son mode d'existence sature le verbe écrivait.

Dans l'exemple (13):

(13)  À propos de la cité antique, une polémique opposa X à Y sur la date de son apparition.

Le nom de conflit polémique peut être suivi des variantes prépositionnelles: sur, au sujet de, à propos de (cf. Petit Robert: polémique à propos de, au sujet de l'euthanasie). Ici, l'exemple comporte les prépositions à propos de et sur. Les manipulations ci-dessous montrent que ce sont des variantes prépositionnelles:

(13a)   *(À propos de+Sur) la cité antique, une polémique opposa X à Y.
(13a') Une polémique opposa X à Y (sur+à propos de) la date de son apparition.
(13a'') *(Sur+ À propos de) la date de son apparition, une polémique opposa X à Y.

Quand la phrase ne comporte qu'un seul complément, les prépositions à propos de ou sur ont une lecture circonstancielle (13a') et introduisent un rapport causal. Toutefois, quand les deux compléments sont employés dans la même phrase, le complément introduit par à propos de n'est plus contrôlé par le nom polémique et acquiert un rôle discursif, absent juque-là; il est d'ailleurs rejeté à la périphérie de la phrase (13). Dans ce cas, la préposition composée à propos de acquiert une fonction thématique et la préposition simple sur conserve sa fonction de focalisation. Il faut noter qu'une permutation des prépositions à propos de et sur est difficilement acceptable (voire impossible):

(13')  ? Sur la cité antique, une polémique opposa X à Y à propos de la date de son apparition.

On ne peut généraliser en arguant que c'est la préposition composée qui est rejetée à la périphérie et que c'est la préposition simple qui est syntaxiquement dépendante d'un constituant car en commutant sur avec concernant, en ce qui concerne, l'exemple est acceptable et passe encore mieux si, au lieu du passé simple, on a le passé composé:

(13'')  (Concernant+En ce qui concerne) la cité antique, une polémique (opposa+a opposé) X à Y à propos de la date de son apparition.

On peut toutefois conclure que lorsque le syntamge à propos de X est rejetée à la périphérie de la phrase, le complément lié au verbe est celui qui a une fonction de focalisation.

La formulation du principe de saturation laisse entendre qu'il n'y a pas lieu de distinguer entre les deux lectures de à propos de (cf. supra). Nous illustrons le fonctionnement de ce principe en analysant quelques exemples et montrons que:

a) les prépositions doivent bien être des variantes prépositionnelles;

b) dans le cas d'une lecture circonstancielle, le complément lié sera celui qui aura la lecture circonstancielle, comme suggéré implicitement dans le principe ci-dessus;

c) comme précédemment, le potentiel intégratif du syntagme à propos de X peut être latent.

3.3 Illustration 1

Les exemples (14) et (15) illustrent le premier cas de figure du principe de saturation et la discussion ci-après souligne que ce principe ne fonctionne que lorsque les prépositions sont des variantes prépositionnelles. Considérons les exemples (14) et (15):

(14)  Le 1er novembre, à propos de sa petite fille, elle écrivit à Mme X.
(15) * Le 1er novembre, à propos de sa petite fille, elle écrivit au sujet de son éducation.

Dans ces deux exemples, à propos de est détachée après un adverbial temporel en position initiale et le verbe écrire introduit un complément au moyen d'une autre préposition, à dans (14), au sujet de dans (15). Toutefois, leur jugement d'acceptabilité diffère: (14) est jugé grammatical et (15) agrammatical. En effet, la préposition à de (14) et la préposition au sujet de de (15) ne s'inscrivent pas dans le même paradigme: on écrit à qqn ou on écrit à propos de qqn/qqch ou on écrit à qqn à propos de qqn/qqch. Si à propos de et au sujet de sont bien des variantes prépositionnelles, ce n'est pas le cas de à propos de et de à. Cette différence sémantique permet d'expliquer pourquoi (14) est grammatical et pourquoi (15) ne l'est pas. Par ailleurs, chaque variante prépositionnelle joue un rôle particulier: les compléments qu'elles introduisent ne peuvent pas s'emboîter. L'emboîtement n'est pas possible dans une configuration détachée si le verbe écrit n'est pas suivi d'un complément:

(15a)  * Le 1er novembre, à propos de sa petite fille au sujet de son éducation elle écrivit.

Quand c'est le cas, avec le complément à qqn, l'exemple est grammatical:

(15a')  Le 1er novembre, à propos de sa petite fille au sujet de son éducation elle écrivit à Madame X.

L'emboîtement n'est pas non plus possible dans une configuration de dépendance:

(15b)  * Le 1er novembre, elle écrivit à propos de sa petite fille au sujet de son éducation.

Toutefois, on constate que si au sujet de son éducation est précédé d'une virgule, l'exemple est tolérable mais lourd:

(15b')  ? Le 1er novembre, elle écrivit à propos de sa petite fille, au sujet de son éducation.

Pour limiter sémantiquement le complément à propos de sa petite fille, il faut formuler les exemples ainsi:

(15a'')  * Le 1er novembre, à propos de l'éducation de sa petite fille elle écrivit.
(15b'') Le 1er novembre, elle écrivit à propos de l'éducation de sa petite fille.

En procédant de la sorte, avec (15a''), on se trouve confronté au même cas de figure que dans * Á propos du feu d'artifice, Paul a écrit (5b): on ne peut vraiment juger de la grammaticalité de l'exemple qu'en considérant le complément introduit par à propos de détaché et précédé d'un adverbial dans une perspective discursive/textuelle. Ainsi (15a') est grammaticalement correcte si la phrase se poursuit par le signe de ponctuation [:] ou par le subordonnant complétif que:

(15a''')  Le 1er novembre, à propos de l'éducation de sa petite fille elle écrivit (':'+que) (...)

En rajoutant une telle suite, on met en évidence le potential intégratif sous-activé de (14):

(14a) Le 1er novembre, à propos de sa petite fille, elle écrivit à Mme X (':'+que) (...)

On peut donc conclure que dans (14) et (15), le potentiel intégratif du marqueur de thématisation est latent. De plus, (15) peut avoir la même suite que (15a''):

(15')  Le 1er novembre, à propos de sa petite fille, elle écrivit au sujet de son éducation (':'+que) (...)

Dans (15) et (15'), à propos de se trouve antéposée après un adverbial et le verbe se combine avec une autre structure de complément introduite par une complétive ou par deux points. Il s'agit du deuxième cas de figure envisagé dans le principe de saturation.

3.3 Illustration 2

L'exemple (16) correspond au deuxième cas de figure du principe de saturation selon lequel le verbe a plusieurs structures de compléments (Z. écrivait à propos de Mallarmé et Z écrivait que): la première est introduite par à propos de en position détachée et la deuxième est introduite par une complétive; c'est cette dernière qui sature le verbe:

(16)  Dans Le Magazine Littéraire, à propos de Mallarmé, Z écrivait que (...)

Par conséquent, dans (16), à propos de introduit un cadre thématique. Dans cet exemple, une personne rapporte des paroles. De ce fait, l'exemple aurait pu aussi se présenter comme dans (16a), avec une citation entre guillemets, le subordonnant que étant remplacé par deux points:

(16a)  Dans Le Magazine Littéraire, à propos de Mallarmé, Z écrivait: "(...)"

Dans (16a), les deux points jouent le même rôle que le subordonnant que et à propos de instancie toujours un cadre thématique. Ainsi placé l'introducteur possède un fort potentiel intégratif: il active un effet de liste ainsi qu'un effet structurant qui se mettent en évidence quand l'exemple a une suite comme en (16b) ou en (16c):

(16b)  Dans Le Magazine Littéraire, à propos de Mallarmé, Z écrivait: "(...)". À propos de Malraux, il faisait l'éloge de (...)
(16c) Dans Le Magazine Littéraire, à propos de Mallarmé, Z écrivait: "(...)". Il disait aussi que (...)

Dans (16b), les compléments à propos de Mallarmé et à propos de Malraux sont subordonnés au cadre instancié par dans le Magazine Littéraire. A propos de Mallarmé instancie un cadre qui se ferme quand un autre introducteur thématique en ouvre un autre. Dans (16b), le potentiel d'opposition du premier introducteur est saturé. Dans (16c), le cadre instancié par à propos de est subordonné au cadre dans le Magazine Littéraire. Il ne se ferme pas à la fin de la phrase, mais continue au-delà comme on peut le constater dans les éléments cohésifs aussi et il.

En revanche, dans (16d) et (16e), à propos de Mallarmé n'est pas détaché, bien que le verbe se construise avec un subordonnant dans (16d) ou deux points dans (16e).

(16d)  Dans Le Magazine Littéraire, Z écrivait à propos de Mallarmé que (...)
(16e) Dans Le Magazine Littéraire, Z écrivait à propos de Mallarmé: "(...)"

Le syntagme n'a pas de fonction intégratrive et aucun cadre thématique n'est instancié. L'absence de fonction intégrative se confirme par le fait qu'on ne peut donner la suite et il disait à ces exemples:

(16c')  * Dans Le Magazine Littéraire, Z écrivait à propos de Mallarmé que (...). Et il disait (...)
(16d') * Dans Le Magazine Littéraire, Z écrivait à propos de Mallarmé: "(...)". Et il disait (...)

3.4 Illustration 3

Notre dernière série d'exemples considère le cas où à propos de X se trouve dans une incidente (cf. Riegel et al. 1994: 461), après un sujet ou un verbe. Ainsi placés entre deux virgules, les syntagmes interrompent le fil/déroulement de la phrase et ont un potentiel intégratif plus atténué que s'ils étaient antéposés. Les verbes d'opinion (indiquer), de perception (constater, penser, voir), de déclaration (dire), etc. se construisent avec une complétive introduite par le subordonnant que. Dans (17) et (18), les incidentes introduites par à propos de se surimposent en quelque sorte au reste de la phrase. Elles fournissent un contexte (ou rappellent une information) par rapport auquel il convient d'interpréter la proposition:

(17)  [Il vient d'être question de la zone des espaces verts et de la zone périphérique]
L'auteur indique, à propos de la première zone, qu'elle a pour but de rétablir la rue linéaire et non la "route-passage" automobile. (Frantext)
(18) On a vu, à propos de la psychologie différentielle, que les tests apparurent, avec Catell (1890) et Binet-Simon (1905), (...) (Frantext)

Dans les exemples de la section 3.3, le verbe a deux structures de complément possibles: on peut dire qqn écrit que et qqn écrit à propos de qqch. Ici, en revanche, seule une structure est possible: on accepte qqn indique que ou qqn voit que et non *qqn indique à propos de qqch ou *qqn voit à propos de qqch. On ne peut accepter indiquer à propos de et voir à propos de que si on a aussi le subordonnant complétif. De ce fait, on ne se trouve pas en présence des conditions requises par le principe de saturation car les verbes indiquer et voir n'ont qu'une structure de complément.

Dans les exemples (19) et (20), l'incidente introduite par à propos de ne peut pas non plus s'expliquer par le principe de saturation car à propos de et de ne sont pas des variantes prépositionnelles. Dans ces exemples, le verbe parler de constitue une unité lexicale qui, sémantiquement, appelle des propos.

(19)  Il parle, à propos de la situation en Aghanistan, de crise humanitiare. (entendu à la radio)
(20) Trotsky, à propos de la fin de Nicolas II, parle avec une joyeuseté féroce de la "justice immanente" de l'histoire. (Frantext)

L'incidente peut se placer soit après le sujet (20) à la condition qu'il ne s'agisse pas d'un pronom, soit après le verbe (19). Dans ce dernier cas de figure, l'incidente sépare toujours le verbe de son complément prépositionnel. Bien que les prépositions à propos de et de se trouvent dans une même phrase, ce ne sont pas des variantes prépositionnelles: de ne peut pas commuter avec au sujet de ou concernant, par exemple.

(19a)  Il parle, à propos de la situation en Aghanistan, (de+*concernant la+au sujet de la) crise humanitiare. (entendu à la radio)
(20a) Trotsky, à propos de la fin de Nicolas II, parle avec une joyeuseté féroce (de+*concernant+*au sujet de) la "justice immanente" de l'histoire.

 

4 Conclusion

Le syntagme à propos de X a un double fonctionnement syntaxique: il peut indexer une ou plusieurs proposition(s) (lecture thématique, à propos de X, p) ou dépendre d'un constituant morphosyntaxique (lecture 'au sujet de', causale médiatisée ou temporelle, Z à propos de X). Cette étude a montré que le déplacement d'à propos de X ne signifie pas que ce syntagme sera systématiquement un marqueur de thématisation. Un certain environnement, la présence d'adverbiaux avant le syntagme, etc. conditionne un rôle textuel/discursif potentiel. Ce potentiel, qui reste à l'état de latence ou qui est activé, offre au locuteur un choix de stratégies textuelles.

Dans un texte, un marqueur de thématisation peut avoir un potentiel intégratif (21), ne pas en avoir (22) ou organiser un passage (23). Dans (21), le syntagme introduit par à propos de renvoie à un référent introduit dans un numéro précédent du journal Le Point; il intègre toute la réponse du lecteur:

(21)  [Les lecteurs écrivent]

Histoire espagnole

A propos de
votre article (no 1312) sur les mesures annoncées par le ministre de l'Education espagnol sur l'enseignement de l'Histoire dans les différentes communautés autonomes, où les enfants n'auraient plus la connaissance suffisante des autres territoires espagnols, il me semble que quelques remarques s'imposent sur les exemples pris pour illustrer la réalité au Pays basque.

Tout d'abord, s'il est vrai que Sabino Arana Goiri est le fondateur du nationalisme basque, (...)
(Le Point, 6 décembre 1997)

En revanche, dans (22), où la position du syntagme en fin de chapitre, juste avant une rupture typo-dispositionnelle, l'empêche de jouer un rôle intégratif au niveau du texte: l'introducteur a un potentiel cadratif qui n'est pas exploité:

(22)  La voiture approchait des faubourgs de Jérusalem, sur laquelle flottait la légère brume des grandes villes. Le consul regarda sa montre: dans un quart d'heure, on y serait. Juste à temps pour le déjeuner.
- Au fait, les catholiques ont aussi un repas, comme les juifs, dit Théo. Est-ce qu'ils ne mangeaient pas du pain, est-ce qu'ils ne buvaient pas du vin à la messe, au début?
C'était tout à fait vrai. Sauf que, dit le consul, on ne pouvait pas comparer le repas de Pâque des juifs avec la messe des chrétiens, puisque ceux-ci la célébraient tous les dimanches en souvenir du dernier repas de Jésus.(…)
- A propos de repas, qu'est-ce qu'il y a pour le déjeuner? Demanda Théo en bâillant.

Au commencement était la confusion [titre du nouveau chapitre] (Roman)

Pour finir, un locuteur peut aussi structurer tout un passage textuel à l'aide de marqueurs de thématisation de la même façon qu'il aurait pu utiliser premièrement, deuxièmement:

(23)  Dans cette présentation claire de la "nébuleuse complexe qu'on dénomme les droits de l'Homme", Jean-Luc Mathieu distingue entre le système mondial de protection et les systèmes régionaux. A propos des premiers, l'auteur étudie les grands traités et conventions issus de l'ensemble des organisations de l'ONU, la protection des travailleurs, des personnes en cas de conflits armés, des réfugiés. A propos des seconds, il analyse les situations juridiques et réelles en Europe, dans les Amériques, en Afrique. En conclusion, Jean-Luc Mathieu estime que, sans "révolution" des "rapports économiques internationaux", les plus beaux textes demeureront le plus souvent des coquilles vides. (Le Monde Diplomatique, avril 1993: 31)

 

Notes

* Je remercie les réviseurs anonymes pour leurs remarques et suggestions. [back]

1 Avec une intonation différente, un ordre par exemple, un tel énoncé ne pose pas problème, Paul, va! [back]

2 Nous considérons que le thème (ou topique) renvoie à ce dont traite la phrase (ou les phrases), à ce dont on parle. La ou les phrase(s) en tête de laquelle/desquelles les marqueurs de thématisation sont détachés portent sur, c'est-à-dire ont pour objet X [back]

3 Dans un exemple comme À propos de M. Walker, la presse anglosaxonne a parlé de J. Austeen et d'E. Poe (Roman) la préposition de dans a parlé de n'est pas une variante de la préposition à propos de (cf. infra). [back]

4 Cet exemple peut être jugé à la limite de l'acceptabilité et mériterait peut-être d'être précédé d'un (?). En effet, la longueur du complément introduit par à propos de impose des restrictions quant à la place (cf. Fournier 1993). [back]

5 Il a parlé de la crise financière au Japon. *De la crise financière au Japon, il en a parlé ce matin en cours. (A propos de+Concernant), la crise financière au Japon, il en a parlé ce matin en cours. *Il a parlé concernant la crise financière au Japon. [back]

6 Quand les introducteurs thématiques se trouvent dans des séries, une séquence textuelle est explicitement ordonnée par une succession de marqueurs de thématisation qui ont la propriété d'ouvrir un thème phrastique et textuel et qui initient un ou de(s) cadre(s) thématique(s) intégrant une ou plusieurs propositions subséquentes. [back]

7 A. Tadros (1994) utilise la notion de prédiction (prediction) pour analyser six catégories : enumeration, advance labelling, reporting, recapitulation, hypotheticality et question. La notion de prédiction est interactive et engage le scripteur envers le lecteur, ce que l'auteur assimile à un contrat légal (1994 : 70). Les catégories relevant de la prédiction ont pour caractéristique d'être des paires composées d'un élément prédictif, qui annonce la prédiction, et d'éléments prédits, qui saturent l'élément prédictif. [back]

8(...) text strategy is used in the present study in the sense of the text producer's overall plan for the organization of the text, in view of a communicative goal. (cf. Virtanen 1992: 49). [back]

9 On pourrait cependant avoir : À propos de poissons... les ménagères se crêpaient le chignon. Il s'agit alors d'une lecture thématique. [back]


Références

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