Les classes nominales constituent l'une des caractéristiques majeures des langues Niger-Congo. Dans ces langues, le système des classes nominales est complexe. Des zones d'ombres persistent malgré d'importants travaux sur la question (Grinevald 1999). Son étude suscite toujours maintes réflexions. Le présent article a pour objectif d'enrichir la réflexion portant sur l'étude des classes nominales. Son titre est révélateur, car il établit un rapport entre les notions de classes nominales et de deixis à partir des suffixes -sι et -nyὶ du dadjriwalé 1. Ce rapport, loin d'être un rapport de synonymie, encore moins d'opposition, permet, en filigrane, de mettre en évidence le sémantisme de ces deux suffixes en situation de communication. Par ailleurs, en dehors des rôles syntaxiques importants qu'ils jouent, -sι et -nyὶ instaurent, dans le répertoire lexématique de la langue, deux grandes catégories de lexèmes nominaux au sein desquelles peuvent être dégagées des sous-classes de noms en rapport avec la nature des suffixes classificatoires. Notons également que -sι et -nyὶ s'opposent, du point de vue des valeurs sémantiques mais aussi des valeurs grammaticales de nombre, aux suffixes -jé et -bhó ; lesquels permettent à leur tour d'opposer des objets infiniment petits à des objets relativement grand. Il existe dans la langue, grosso modo, deux types de suffixes : des suffixes de forme cv et des suffixes vocaliques.
Notre démarche, qui se voudrait descriptive mais aussi analytique, permettra de montrer la complexité de l'étude des classes nominales dans la langue. Pour relever cette complexité, nous analyserons d'abord, les notions de classes nominales et de genre afin de mettre en exergue ce à quoi elles réfèrent dans la langue. Nous poserons ensuite le problème relatif aux marques d'accord et de nombre à partir des suffixes vocaliques, du système pronominal et des démonstratifs. Enfin, l'analyse des marques de pluriel -sι et -nyὶ, qui ressort de l'inventaire des suffixes de forme cv, permettra par la suite de mettre en évidence les valeurs sémantiques que ces deux marques impliquent en discours.
Les notions de genre et de classes nominales sont diversement perçues. Certains linguistes en font un seul type, considérant qu'une véritable distinction ne peut être établie entre ces deux notions (Corbett 1991). D'autres font bien cette distinction (Groussier et al. 1996) ; considérant que la notion de classe renvoie à un ensemble de radicaux regroupés autour d'un affixe commun et que celle de genre réfère aux valeurs sémantiques que véhiculent ces affixes. Mais on sait désormais avec (Grinevald 1999 : 103) que « les systèmes de genre et de classes nominales sont traités dans la littérature récente comme un seul type fondamental de classification nominale ». Cette tendance actuelle nous réconforte. Cependant, elle ne saurait nous empêcher de poser le problème de leurs manifestations intrinsèques, dans la langue. Dans les analyses qui vont suivre, on verra que la corrélation singulier/pluriel, qu'implique la notion de genre, est difficile à appréhender dans la langue, compte tenu de l'absence de marques formellement attestées au singulier. Aussi, les marques d'accord qu'implique la notion de classes nominales sont d'ordre phonologique. Ce qui semble être le contraire de la plupart des langues du phylum Niger-Congo mais surtout des langues bantoues considérées comme les prototypes de langues à classes nominales.
Pour Creissels (1991 : 82), la notion de classe nominale permet de regrouper dans un même paradigme « tous les substantifs qui entraînent les mêmes choix lors de l'adjonction des déterminants donnant lieu à accord ». C'est aussi la position de Rebuschi (1999 : 186) qui considère les classes nominales comme l'ensemble des noms relevant d'une même classe d'accords ; C'est-à-dire « le regroupement d'un préfixe nominal et d'un schème d'accords ». Cette position est encore celle de Bolé-Richard (1983 : 53) qui définit la notion de classe nominale comme « l'ensemble des noms marqués de façon semblable et gouvernant les mêmes faits d'accord et de substitution ». Soient les énoncés en (1) et en (2) suivants 2 :
(1) | kót-u | kád-ὼ-nω | n | bhὶ-ὼ | wàmà |
Habit-SG | grand-SUF-DEM | 1.SG | NEG-OBJ | aimer-ACC | |
'Ces gros habits, je ne les ai pas aimés.' |
(2) | kót-i | kád-ὶ-nι | n | bhὶ-ι | wàmà |
Habit-PL | grand-SUF-DEM | 1.SG | NEG-PL-OBJ | aimer-ACC | |
'Ces gros habits, je ne les ai pas aimés.' |
Comme nous pouvons nous en rendre compte, les noms sont effectivement « marqués de façon semblable et gouvernent les mêmes faits d'accord et de substitution ». En (1), le nominal-objet est au singulier ; alors qu'il est au pluriel en (2). Ces deux nominaux-objets déterminent l'accord de l'adjectif kád-v "grand/grands", du déterminant démonstratif –nv "ce/ces" et du pronom anaphorique-objet -v "l'/les" 3. Dans ces deux énoncés, nous le voyons biens, le nom est qualifié, déterminé puis repris, à l'intérieur de ces mêmes énoncés, par le pronom anaphorique de rappel correspondant. Il ne porte pas de marque d'accord. Celle-ci est portée par le qualifiant. Parce que, dans la langue, le déterminant démonstratif tout comme le défini sont des « satellites du groupe nominal et non du substantif » (Godé 2008 : 116)4.
A la lumière de ces exemples, nous disons avec Lumwamu (1970 : 496) que : « la notion de classe nominale a une signification avant tout syntagmatique » ; et que, définir une classe nominale « revient à affirmer le comportement syntagmatique identique commun à un paradigme lexical donné, c'est-à-dire la propriété commune qu'ont les éléments de ce paradigme d'être le point de départ d'une contrainte morphosyntaxique déterminée ». Mais en dadjriwalé, pour caractériser « la propriété commune » des éléments d'un même paradigme, on parlerait, non pas de « contrainte morphosyntaxique », mais plutôt de « contrainte morphophonologique ». Car en effet, dans la langue, l'accord de l'adjectif, du déterminant démonstratif et du pronom anaphorique-objet sont liés à la nature de la voyelle finale du radical nominal. Autrement dit, les faits d'accord que gouvernent les nominaux-objets, dans les exemples ci-dessus, sont plutôt d'ordre phonologique que grammatical. En attendant de revenir sur ces faits phonologiques qui traversent presque tout le système de classes nominales de la langue, qu'en est-il de la notion de genre ?
Le genre, selon Bolé-Richard (1983 : 55), est « l'ensemble des bases utilisant la même corrélation de classe pour marquer la notion de nombre ». Cette acception est également celle de Rebuschi (1999 : 186) pour qui, « (…) les appariements de deux classes nominales dont l'une contient des noms singuliers et l'autre, leur correspondant pluriel, constituent des genres ». Suivant ces acceptions, les exemples en (3) ci-dessous 5 :
(3) | singulier | pluriel |
kót-u 'un habit' | kót-i 'des habits' | |
bhál-ε 'un buffle' | bhál-ι 'des buffles' |
offriraient deux genres qui seraient respectivement les genres -u/-i et -E/-ι. C'est aussi le cas des exemples en (4) ci-dessous :
(4) | singulier | pluriel |
lίkp-a 'un singe' | lίkp-ö 'des singes' | |
goj-i 'un chien' | goj-uё 'des chiens' |
où, on aurait respectivement les genres -a/-ö et i/-ё. On dénombrerait alors, pour tous ces exemples, huit (8) classes nominales pour quatre (4) genres nominaux. Pour ces deux auteurs donc, l'opposition singulier/pluriel reposerait, entre autres, sur la notion de genre. Pour caractériser cette opposition singulier/pluriel, Bolé-Richard (1983 : 55) parle de « genre binaire » alors que Rebuschi (1999 : 188), lui, parle de « paire ordonnée ». Il existe par ailleurs, pour Bolé-Richard (1983 : 55), un « genre unitaire » qui, lui, ignore l'opposition de nombre.
En dadjriwalé, comme c'est généralement le cas dans les langues kru, le nombre singulier est marqué par un morphème zéro pour la plupart des lexèmes nominaux. Ceux qui admettent un morphème à valeur de singulier échappent généralement à l'opposition singulier/pluriel pour référer à un sens collectif ou d'ensemble. Eu égard à la quasi-inexistence de morphèmes pouvant marquer formellement le nombre singulier, on ne saurait parler de « genres binaires » ou de « paires ordonnées » pour caractériser le genre dans la langue. Telle que définie donc par Bolé-Richard (1983 : 55) et par Rebuschi (1999 : 186), la notion de genre ne saurait rendre compte des problèmes liés à la classification nominale dans la langue.
Notre conception de la notion de genre rejoint celle de Groussier et Rivière (1996 : 95) qui définissent le genre comme « une catégorie de détermination consistant dans son principe en l'association aux notions incluant la propriété /animé/ des propriétés primitives /mâle/ ou /femelle/ correspondant au sexe dans l'univers extralinguistique, les notions incluant la propriété/inanimé/ se voyant associer la propriété/non-sexué/ ». En accord avec cette acception, nous disons que la notion de classe réfère à un système de catégorisation des noms autour d'un même affixe ; et que celle de genre réfère à un ensemble de propriétés sémantiques communes propres à un groupe de noms donnés. Dans la langue, ce sont les propriétés sémantiques [+Humain]/[–Humain] qui fondent la notion de genre. Quant à la notion de classe nominale, elle, relève des propriétés morphophonologiques. Les faits d'accord et de substitution que gouverne le nom dans la langue sont régis par ces propriétés-là. Malheureusement, en l'espèce, l'incohérence de l'analyse dans le fait phonologique pose un réel problème de délimitation des classes nominales dans la langue au point que, synchroniquement parlant, aucune véritable frontière ne peut être établie entre les notions de genre et de classes nominales. D'ailleurs, les récentes études sur la classification nominale militent en cette faveur, comme le dit si bien Brindle (2009 : 84) : « recent studies on nominal classification have proposed that the notion of noun class and gender should be fused (terminologically) since they both refer to same grammatical construct (typologically) ». C'est une position défendue, d'après Brindle (2009), par Corbett (1991), (2006), et Maho (1999) entre autres. Cresseils (1999 : 177), également, considère qu'« (…) on ne peut trouver aux systèmes décrits en termes de genre aucune propriété constante qui les distinguerait globalement de ceux décrits en termes de classes ».
Pour mettre en exergue les difficultés que soulèvent les marques d'accord et de nombre, nous analyserons la formation du suffixe de pluriel, le système pronominal et les déterminants démonstratifs.
Le pluriel est formé, entre autres, par des suffixes vocaliques qui relèvent tous d'un accord phonologique 6. Cependant, aucune règle phonologique régulière ne peut être tirée de cet accord. Par exemple, la voyelle finale -E de certains radicaux nominaux singuliers acceptent comme suffixe vocalique pluriel la voyelle -ι là où d'autres acceptent la voyelle -a et d'autres encore la voyelle -ö. Les exemples en (5) ci-dessous sont une illustration :
(5) | Singulier | Pluriel |
bὲl-ε 'un lit' | bὲl-ι 'des lits' | |
l-ε 'un éléphant' | l-ö 'des éléphants' | |
ml-ε 'un animal' | ml-a 'des animaux' |
Comme nous pouvons le constater, la voyelle finale -E des différents lexèmes nominaux singuliers est substituée au pluriel, respectivement par les voyelles -ι, -ö et -a sans qu'on sache véritablement les règles phonologiques qui ont présidé au choix de ces différentes substitutions vocaliques plurielles. Il en est de même des exemples en (6) ci-dessous :
(6) | Singulier | Pluriel |
sώkö́l-á 'un mangouste' | sώkö́l-ί 'des mangoustes' | |
lίkp-a 'un singe' | lίkp-ö 'des singes' |
Il ne se dégage donc pas, de l'opposition de nombre, une analyse cohérente du phénomène de pluralisation dans la langue. L'irrégularité des formes du suffixe de pluriel, qui ne tient nullement compte d'une analyse phonologique solide est certainement l'une des causes majeures de la désagrégation du système des classes nominales dans les langues kru et particulièrement en dadjriwalé.
Le système pronominal tout comme les déterminants démonstratifs, en tant que « classes d'accord », permettent aussi de conclure à l'état désagrégé de la classification nominale dans les langues kru et particulièrement en dadjriwalé. En effet, dans le système pronominal, pour la catégorie de lexèmes nominaux à genre [-Humain], la forme du pronom de rappel est liée à la nature de la voyelle finale du radical nominal. Il en est de même des déterminants démonstratifs. Dans ces deux catégories grammaticales, l'opposition singulier/pluriel est souvent neutralisée au niveau de certains schèmes d'accord. Les lexèmes nominaux tels que kömώ 'un calao' et nó̀̀̀gó 'des abeilles' ont pour déterminant démonstratif le morphème -nω et pour pronom anaphorique la voyelle ω. Pourtant, l'un est au singulier et l'autre au pluriel comme il est illustré en (7a) et en (7b) ci-dessous :
(7a) | kömώ-nω | ω | bhlι | nã́ |
Calao-DEM | 3.SG | chanter-INACC | bien | |
'Ce calao chante bien.' |
(7b) | nògó-nω | ω | bhὲ | nã́ã̀ |
Abeilles-DEM | 3.PL | NEG | bon | |
'Ces abeilles ne sont pas bonnes.' |
Comme nous pouvons nous en rendre compte dans ces exemples, les schèmes d'accord que gouverne le nom sont beaucoup plus d'ordre morphophonologique que morphosyntaxique. Ainsi, permettent-ils d'énoncer la règle phonologique suivante :
Tout nominal qui a pour voyelle finale du radical nominal, une voyelle postérieure, a, pour déterminant démonstratif le morphème -nω et, pour pronom de rappel, la voyelle -ω.
Pour des lexèmes nominaux tels que mla 'des animaux' et zoglògbё́ 'un pangolin' qui ont –na comme déterminant démonstratif et la voyelle a pour pronom anaphorique de rappel, on peut énoncer, par analogie à la première règle phonologique, cette deuxième règle :
Tout nominal ayant pour voyelle finale du radical nominal, une voyelle centrale, a, pour déterminant démonstratif le morphème -na et, pour pronom anaphorique de rappel, la voyelle -a.
Ainsi, les exemples en (8a) et (8b) suivants :
(8a) | mla-na | a | lì | mèsi-á |
animaux-DEM | 3.PL | manger-ACC | bananes-DEF | |
'Ces animaux ont mangé les bananes.' |
(8b) | zoglògbё́-na | a | bhὲ | ghlí |
pangolin-DEM | 3.SG | NEG | gros | |
'Ce pangolin n'est pas gros.' |
sont une illustration de cette deuxième règle. Or, le suffixe vocalique pluriel -ї de zoglògbї́ 'des pangolins', qui est aussi une voyelle centrale, ne semble pas obéir à cette règle. Pour ce lexème nominal pluriel, le pronom anaphorique de rappel est la voyelle antérieure –ATR -ι et le déterminant démonstratif le morphème –nι comme l'indique l'exemple en (9) suivant :
(9) | zoglògbї́-nι | ι | bhὲ | ghlí |
Pangolins-DEM | 3.PL | NEG | gros | |
'Ces pangolins ne sont pas gros. |
Toutes ces irrégularités observées dans la variation des formes du pronom de rappel, du déterminant démonstratif et de l'adjectif, ne concernent que la catégorie sémantique des lexèmes nominaux à genre [–Humain]. Pour les lexèmes nominaux à genre [+Humain], la forme du pronom anaphorique de rappel tout comme celle du déterminant démonstratif et de l'adjectif sont régulières et ne semblent aucunement liées à la nature de la voyelle finale du radical nominal. Observons les exemples suivants :
(10a) | ŋwlö́-nö | ö | nω | lebhe | nã́ |
Femme-DEM | 3.SG | faire-INACC | travail | bien | |
'Cette femme travaille bien.' |
(10b) | ŋwadì-nö | ö | nω | lebhe | nã́ | ||||
Garçon-DEM | 3.SG | faire-INACC | travail | bien | |||||
'Ce garçon travaille bien.' |
(11a) | ŋwlώέ-na | wa | nω | lebhe | nã́ |
Femmes-DEM | 3.PL | faire-INACC | travail | bien | |
'Ces femmes travaillent bien.' |
(11b) | ŋwadìè-na | wa | nω | lebhe | nã́ |
Garçons-DEM | 3.PL | faire-INACC | travail | bien | |
Ces garçons travaillent bien.' |
Dans ces exemples, nous le remarquons bien, le choix du pronom de rappel tout comme celui du déterminant démonstratif ne sont pas liés à la nature de la voyelle finale du radical nominal. Quelle que soit cette nature, le pronom de rappel est ö pour le singulier et wa pour le pluriel ; tandis que le déterminant démonstratif est -nö pour le singulier et -na pour le pluriel. Tous ces exemples montrent que les schèmes d'accord que gouverne le nom, et dont l'objectif premier serait de dégager les classes nominales d'une langue, (cf. Lumwamu 1969; Bolé-Richard 1983; Rebuchi 1999), ne suffisent pas à eux seuls de parler de classification nominale. C'est plutôt la combinaison et surtout la fusion des notions de genre et de classe nominale qui permettent de parler de classification nominale et non l'une de ces notions, indépendamment de l'autre. Autrement dit, toute langue à classes nominales est aussi et avant tout une langue à genres nominaux ; en tout cas pour ce qui est du dadjriwalé.
Remarque :
Dans la langue, le système pronominal et les déterminants démonstratifs participent fondamentalement à la répartition des lexèmes nominaux en deux grandes catégories, en rapport avec les genres [+Humain] et [–Humain]. Ce qui n'est pas le cas de l'opposition de nombre où certains suffixes vocaliques pluriels sont communs aux deux catégories de lexèmes nominaux, comme l'attestent les exemples en (12a) et en (12b) suivants :
(12a) | Singulier | Pluriel |
ml-ε 'un animal' | ml-a 'des animaux' | |
nyιkp-ö 'un homme' | nyιkp-a 'des hommes' |
(12b) | Singulier | Pluriel |
lej-o 'un riche' | lej-uё 'des riches' | |
goj-i 'un chien' | goj-uё 'des chiens' |
Nous appelons « suffixes nominaux » les suffixes de forme cv. Certains expriment le pluriel alors que d'autres expriment le singulier. Ceux qui expriment le singulier sont de la catégorie des lexèmes nominaux à genre [–Humain]7. Il s'agit des marques suffixales -jé et -bhó. Ceux qui expriment le pluriel appartiennent au genre [+Humain]. Ce sont, de toute évidence, les suffixes de pluriel -sι et -nyὶ.
Les suffixes –jé et -bhó ont une valeur singulative (Manessy 1971 : 116). C'est-à-dire qu'ils confèrent à un radical de sens collectif une valeur de singulier comme l'indiquent les exemples en (13a) et en (13b) suivants :
(13a) | Pluriel | Singulier |
nògó 'des abeilles' | nògó-je 'une abeille' | |
lιlι 'des haricots' | lιlι-je 'un haricot' |
(13b) | Pluriel | Singulier |
dὶö̀ 'des ananas' | dὶö̀-bho 'un ananas' | |
dὶdί 'des épis de maïs' | dὶdί-bho 'un épi de maïs' |
référant à des êtres ou à des objets plus ou moins non dénombrables, ils servent à isoler l'être ou l'objet de l'idée d'ensemble qu'exprime le radical nominal nu. -jé et -bhó mettent en exergue toute la complexité des classes nominales dans la langue. Ces deux suffixes expriment l'unité. Mais ils l'expriment différemment. -jé exprime l'unité de tout être ou de tout objet défini comme infiniment petit. -bhó, lui, exprime l'unité de tout être ou de tout objet défini comme relativement grand ou gros. -jé, en tant qu'unité de l'infiniment petit, est l'expression de l'indivisible ; alors que -bhó exprime le divisible. Dans son expression du divisible, -bhó rentre en relation avec d'autres unités de la langue. En dehors de sa valeur d'isolateur ou d'extracteur qu'il partage avec -jé, -bhó signifie 'entier'. Ainsi, s'oppose-t-il à - klё́ et à -pέlώ, deux unités de la langue signifiant respectivement 'morceau' et 'tranche'. Dans les exemples (14a) et (14b) suivants8 :
(14a) | dὶö̀-bho 'un ananas en entier' ≠ dὶö̀-pὲlω 'une tranche d'ananas'9 zö́bhlö́-bho 'une orange en entier' ≠ zö́bhlö́-pὲlω 'une tranche d'orange' |
Mais :
(14b) | dὶdί-bho 'un maïs en entier' ≠ dὶdί-klё 'un morceau de maïs' flö́ö̀-bho 'un pain en entier' ≠ flö́ö̀-klё 'un morceau de pain' |
A la différence de -jé avec lequel il partage la valeur « singulative », -bhó peut être terme d'une proposition. C'est-à-dire qu'il peut laisser implicite le constituant nominal dont il est le déterminant. Dans l'énoncé en (15) suivant :
(15) | nyε | jú-á | dὶö̀-bho |
Donner-IMP | enfant-DEF | ananas-SUF | |
'Donne un ananas à l'enfant' |
on obtient ainsi, après effacement du nominal-objet dὶö̀ 'ananas', l'énoncé en (16) suivant :
(16) | nyε | jú-á | bho |
Donner-IMP | enfant-DEF | entier | |
'Donne un ananas (entier) à l'enfant.' |
Dans ce même énoncé, en remplaçant le constituant nominal jú-á 'l'enfant', par son anaphorique correspondant, on obtient en (17) l'énoncé :
(17) | nyε | ö | bho |
Donner-IMP | 3.SG | entier |
Qu'on pourrait traduire en (18) par :
(18) Donne le lui en entier.
NB : bhó est terme de proposition non pas en tant que suffixe mais plutôt en tant que déterminant d'une structure déterminative.
Remarque :
En se référant à Grinevald, (1999 : 105–106), on pourrait considérer les termes -klё́́ 'morceau' et -pέlώ 'tranche' comme des classificateurs à valeur de mensuratif. Les mensuratifs ou termes de mesures identifient des unités à quantifier ou spécifient des quantités à dénombrer. Ils s'associent, soit à des noms massifs, soit à des noms comptables. Ce type de classificateurs se rencontrent dans toutes les langues du monde et diffèrent des vrais classificateurs encore appelés classificateurs de tri. Ces derniers expriment, du point de vue des valeurs sémantiques, une caractéristique intrinsèque au référent. Autrement dit, « ils catégorisent le référent en fonction d'une de ses propriétés inhérentes, telle que sa forme, sa consistance, sa matière, ou son usage fonctionnel ». Les mensuratifs, eux, ont un statut compositionnel résultant de la combinaison de leur valeur sémantique avec celle du nom qu'ils identifient ou qu'ils spécifient. L'auteur illustre ces deux types de classificateurs par les exemples suivants :
(19)a. | [Classificateurs de MESURE] | b. [classificateurs de TRI] |
deux SACS d'oranges | deux ROND oranges | |
une PILE de chemises | une PLAT/PLIABLE chemise | |
trois EQUIPES d'enfants | trois HUMAINS enfants | |
quatre RANGEES d'immeubles | quatre HABITATION immeubles |
Les classificateurs de tri, qui sont un sous-type des classificateurs numéraux, sont généralement attestés dans les langues d'Asie et de nombreuses langues d'Extrême Orient (ibid. : 111)10 :
(20)a. | Tzotzil [maya, de Creissels 2006 : 107] | ||||
j-p'ej | k'anal | alaxa | |||
un-CLAS | jaune | orange | |||
'Une orange jaune' |
(20)b. | Mandarin [chinois, d'Aikhenvald 2000 : 98] | |||
san-ge | rén | |||
trois-CLAS | homme | |||
'Trois personnes' |
- sι et -nyὶ sont des suffixes de pluriel appartenant à la catégorie des noms à genre [+Humain] 11. Ces deux marques suffixales ne s'adjoignent qu'à des noms propres de personnes et à des noms de parenté. Ils se surajoutent à des termes déjà pluriels comme on peut le constater en (21) et en (22) ci-dessous :
(21) | Surpluriel avec le suffixe -sι |
bheli-e-sι | |
bhεŋwlω-ε-sι |
(22) | Surpluriel avec le suffixe –nyὶ |
bheli-e-nyὶ̀ | |
bhεŋwlω-ε-nyὶ |
Les suffixes -e et -ε sont les premiers suffixes vocaliques auxquels sont adjoints -sι et –nyὶ que nous considérons de ce fait comme des « surpluriels ». Ce procédé de complexification des bases nominales, nous voudrions le considérer comme définitoire de cette catégorie de noms. Aussi, existe-t-il un autre procédé qui permet de « re-complexifier » ces bases nominales par l'emploi conjoint de –sι et de –nyὶ dans un même terme comme l'indique en (23) l'expression suivante :
(23) | bheli-e-sι-nyὶ |
qui signifie 'frères' et qui est un appel adressé à un groupe de personnes. Mais ce procédé de « re-complexification » semble peu usité de nos jours. Aussi, faut-il le préciser, -sι tend à perdre sa valeur de surpluriel, pour ne se spécialiser que dans l'adjonction de noms propres de personnes. Les termes désignant les noms père et mère ne sont pluralisés que par le biais de ce suffixe :
(24) | Singulier | pluriel |
nö́ 'mère' | nö́-sι | |
bá 'père' | bá-sι |
Mais -sι et –nyὶ sont-ils de véritables suffixes de pluriel ?
A la question de savoir si -sι et -nyὶ sont de véritables marques de pluriel, nous répondons par la négative. Nous les considérons comme des modalités nominales plutôt que de véritables morphèmes de pluriel. Si telle est notre position, alors les termes désignant les noms père et mère, dans la langue, n'ont pas de pluriel. Ce qui n'est pas faux. Car en effet, les termes bá-sι et nö́-sι, qui sont de fait, les pluriels respectifs des termes singuliers bá 'père' et nö́ 'mère', s'emploient plutôt en termes de « parents » et de « parentes ». Ils évoquent l'idée d'un rapport de consanguinité entre les membres d'une même famille ou l'idée qu'un tel rapport peut exister entre le père ou la mère et tous ceux qui leurs sont proches. Le suffixe de pluriel -sι exprime donc l'idée d'un groupe de personnes partageant des liens très étroits avec l'individu sur qui est portée l'attention du locuteur. L'expression bá-sι signifie le père et tous ceux qui l'accompagnent. Il peut s'agir du frère, du cousin, de l'oncle, etc. Celle de nö́-sι signifie la mère et toutes celles qui l'accompagnent. Ce sont par exemple, la sœur, la tante, la cousine, etc. Il n'existe donc pas, dans la langue, à proprement parler, de pluriel pour les termes désignant les noms père et mère.
-sι est un pluriel d'accompagnement ou un pluriel associatif (Creissels, 2006). Comme le suffixe -ni du soninké et du mana, (Manessy 1964 : 119), le suffixe -sι « est ajouté à la forme radicale d'un nom désignant un être (…) unique en son genre, pour préciser que cet individu est accompagné d'autres qui, pour ne lui être substituables, n'en sont pas moins ses homologues ». Dans l'exemple (25) ci-dessous :
(25) | dàgö́-sι | ja | ji | ||
n.p-SUF | Aux | venir | |||
'Les Dago sont venus (Dago et sa suite)' |
le suffixe -sι précise effectivement que l'individu désigné est accompagné d'autres individus qui sont en fait ses semblables ou mieux, des individus avec lesquels il partage des affinités. Ainsi, on pourrait paraphraser en (26) l'énoncé ci-dessus, comme suit :
(26) | « Dago est venu, accompagné de ses pairs. » |
Contrairement à -sι, -nyὶ est un pluriel à valeur interpellative. C'est-à-dire qu'il sert à nommer un groupe de personnes dans le but de le discriminer dans un ensemble d'individus. L'énoncé en (27) :
(27) | bhεŋwlω-ε-nyὶ | anyὶ | n | sa | la |
Femme-SUF-SUF | 2.PL | 1.SG | adresser | PART | |
'Femmes, c'est à vous que je m'adresse !' |
indique bien que -nyὶ permet d'extraire et de mettre en évidence un groupe de personnes parmi un ensemble d'individus.
Ces différents exemples montrent que le suffixe -sι s'adjoint à des noms propres de personnes et que -nyὶ se surajoute spécialement à des noms déjà pluriels. Si ces deux marques suffixales permettent quelque peu l'opposition singulier/pluriel, on ne saurait les réduire à cette seule valeur. Une observation minutieuse a permis de leur reconnaître d'autres valeurs, en dehors des valeurs d'accompagnement et d'interpellation qu'ils expriment respectivement.
Par analogie à la catégorie conceptuelle de la personne (Charaudeau 1992 : 120–121), les deux suffixes modaux rappellent les instances de l'interlocution et de la délocution. -nyὶ rappelle l'instance de l'interlocution qui « met en prise directe un locuteur et un interlocuteur dans une situation de communication particulière et qui précise tout ce qui concerne les positions de ces locuteur et interlocuteur l'un vis-à-vis de l'autre ». -sι, lui, rappelle celle de la délocution qui « met en scène le tiers dont il est question ». Dans l'emploi de -nyὶ, nous l'avons dit, le locuteur pose l'identité d'un groupe de personnes qu'il discrimine parmi un ensemble d'interlocuteurs possibles. Le groupe de personnes ainsi discriminé se doit de signifier sa présence ou de se reconnaître à l'appel qui l'identifie. Par contre, dans l'emploi de -sι, le locuteur pose l'identité d'un groupe de personnes absent dans l'acte de communication, mais dont il fait allusion pour rappeler son existence.
Entant qu'expression des valeurs déictiques, -sι et -nyὶ posent en filigrane le problème de la deixis. Définie par Dubois et al. (1973 : 137) comme « un mode particulier d'actualisation qui utilise soit le geste, soit les termes de la langue appelés déictiques », la deixis exprime l'ostension que Diki-Kidiri (2003 : 191) définit « comme une opération de singularisation d'un élément du discours afin d'en promouvoir le repérage dans un espace de représentation commun, dans le but ultime d'établir une référence partagée. » Dans l'énoncé en (27) que nous reprenons en (28) ci-dessous :
(28) | bhεŋwlω-ε-nyὶ | anyὶ | n | sa | la |
Femme-SUF-SUF | 2.PL | 1.SG | adresser | PART | |
'Femmes, c'est à vous que je m'adresse !' |
l'emploi de -nyὶ signifie effectivement que le référent est physiquement présent dans l'acte de communication. Dans l'emploi de ce suffixe modal, le locuteur, en nommant le référent, le situe dans l'espace et dans le temps. Ici, l'être du discours appartient à la réalité extralinguistique. -nyὶ est donc un déictique ; c'est-à-dire « un segment dont la valeur référentielle ne peut être établie qu'à partir de l'environnement spatio-temporel de son occurrence » (Maillard 1992). Qu'en est-il de -sι ? Comme -nyὶ, -sι est également un déictique ; mais un déictique dont l'existence est à rechercher dans les valeurs que Halliday et Hasan (1976) assignent au déictique.
En effet, les deux auteurs (cf. Halliday/Hasan 1976 : 33) assignent au déictique deux valeurs référentielles à savoir l'exophore et l'endophore. A ces deux valeurs, Maillard (1992) en ajoute une qu'il nomme « homophore » et que Kleiber (1991) semble appeler « expression exophorique non déictique ». Ces trois valeurs référentielles, le déictique les exprime, chacune, spécifiquement, selon le contexte d'énonciation.
a- Le déictique exprime la valeur référentielle d'exophore quand le référent est repérable en situation sans appui contextuel. Il s'agit en l'espèce d'une référence situationnelle ; c'est-à-dire fondée sur la réalité extralinguistique. -nyὶ exprime cette valeur exophorique que véhicule le déictique, car, il a la possibilité de signifier l'existence d'un référent précis et identifiable dans la situation de communication. Dans l'énoncé en (28) ci-dessus, -nyὶ renvoie à des référents présents hors contexte linguistique. Contrairement à -nyὶ, -sι n'a pas cette valeur dans la langue, car son référent est toujours absent, physiquement ou non, dans l'acte d'énonciation.
b- Le déictique exprime la valeur référentielle d'homophore ou d'expression exophorique non déictique quand le référent ne s'appuie ni sur la situation ni sur le contexte verbal, mais plutôt sur des connaissances supposées communes au locuteur et à l'interlocuteur. Autrement dit, le référent d'une expression exophorique non déictique « n'est ni donné par l'environnement textuel, ni par la situation immédiate d'énonciation, mais par des connaissances à l'expression » (Kleiber 1990a : 243–244). C'est cette valeur référentielle du déictique que le suffixe modal -sι exprime dans la langue. Dans l'énoncé en (29) ci-dessous :
(29) | dasà | kéni-sι | mὼ | bhaá ? |
MORP | n.p-SUF | aller-ACC | MORP | |
'Où sont allés Kéni et les siens (où sont allés les Kéni) ?' |
la spécification du nom propre Kéni par -sι ne provient pas de la présence physique du référent, ni d'une mention préalable de celui-ci dans la situation de communication, mais bien « des motifs significatifs partagés » par le locuteur et l'interlocuteur ; c'est-à-dire que les deux interlocuteurs ont une connaissance partagée de la situation de référence.
c- Le déictique exprime enfin la valeur référentielle d'endophore, quand le référent est indispensable comme antécédent ou comme subséquent. Le référent est défini comme antécédent s'il fait office de mention préalable par rapport au contexte d'énonciation. Il est défini comme subséquent si les informations précises au sujet de son identité réelle ne sont pas encore véritablement établies. Le déictique, dans sa valeur endophorique, fait ressortir les notions d'anaphore et de cataphore. L'anaphore constitue, d'après Cornish (1995 : 52), « une instruction à maintenir la saillance d'un centre d'attention existant au moment où l'expression la manifestant est employée, et de plus renseigne l'allocutaire sur la façon dont l'énonciateur conçoit le référent en question à ce moment-là ». Quant à la cataphore, elle est définie par Kesik (1989 : 56) « comme relation non structurale d'une expression indexicale avec le contexte linguistique subséquent, telle que ce contexte permet l'indentification du référent de l'expression indexicale ».
Telle que définie par Cornish (1995 : 52), l'anaphore, c'est l'antécédent qui fait office de mention préalable et dont l'existence, dans le discours, est fortement liée au contexte antérieur. Autrement dit, on ne peut parler d'anaphore qu'en faisant recours au contexte antérieur. Par opposition à l'anaphore, la cataphore, elle, c'est le subséquent ; c'est-à-dire l'élément dont l'identité réelle n'est pas encore révélée. C'est pourquoi Kesik (1989 : 56) parle de « relation non structurale d'une expression indexicale ». A la différence de l'anaphore, la cataphore fait recours au contexte postérieur.
Dans la langue, le suffixe modal -nyὶ ne « met en prise qu'un locuteur et un interlocuteur ». Renvoyant toujours à des référents présents dans la situation extralinguistique d'énonciation, il ne saurait exprimer que la valeur exophorique. Le suffixe -sι, lui, « met en scène le tiers dont parlent le locuteur et l'interlocuteur ». Cependant, ne pouvant jamais jouer le rôle d'un anaphorique, il ne peut non plus remplir la fonction d'anaphore. Mais, en tant qu'expression exophorique non déictique, il a la possibilité de fonctionner comme cataphore, par le fait que celle-ci n'introduit, dans le discours, que des individus nouveaux. Dans l'énoncé en (30) :
(30) | ájιkpá-sι | ka | ji | nι | wa | jeè |
Ahikpa-SUF | AUX | arriver | MORP | 3.PL | Egrainer | |
sáká-á | kώ | |||||
Riz-DEF | POST | |||||
'Si Ahikpa et les siens arrivent, qu'ils égrainent le riz.' |
le suffixe -sι, comme « l'article cataphorique » de Harald Weinrich (1990 : 206–207), introduit ici le nom propre Ahikpa dans le discours « comme l'annonce d'un élément nouveau rhématique (…) ». Dans la langue donc, (Godé 2008), il n'y a que le démonstratif et le défini qui peuvent parfaitement remplir les valeurs référentielles que halliday et Hasan (1976) assignent au déictique.
Par ailleurs, la notion de déictique, selon Kleiber (1989 : 24), « fait apparaître des expressions à sens non déictique, mais à emploi déictique ». Et l'auteur (cf. Kleiber 1989 : 34) de poursuivre : « la différence entre une expression à emploi déictique (mais sans sens déictique) et une expression à sens déictique résiderait uniquement dans le fait que la seconde renvoie toujours à un référent présent dans la situation extralinguistique d'énonciation ». Le suffixe -sι relève des expressions référentielles à emploi déictique mais non à sens déictique. -nyὶ, au contraire, relève de celles dont le sens et l'emploi sont déictiques. Par analogie aux outils référentiels (Kleiber 1989) que sont « je » et « tu » par exemple, ne pourrait-on pas considérer -nyὶ comme un déictique pur ?
Retenons, d'une part, que le rapport « classes nominales et deixis » a permis de rendre compte de la complexité que cache l'étude des classes nominales dans la langue. Ce rapport a également permis de comprendre que les suffixes -sι et -nyὶ ne sont pas de simples marques de pluriel. Ce sont deux suffixes modaux qui rappellent, par analogie à la catégorie conceptuelle de la personne, les instances de l'interlocution et de la délocution et qui impliquent, en discours, les valeurs déictiques d'exophore et d'homophore. D'autre part, à l'intérieur même des classes nominales, cette complexité est beaucoup plus évidente. D'abord, le singulier est marqué par un morphème zéro et que les marques d'accord relatives à l'opposition de nombre, parce que d'ordre phonologique, sont souvent neutralisées. La répartition des lexèmes nominaux en deux catégories selon les genres [+Humain] et [–Humain], bien qu'évidente par ailleurs, n'est qu'apparente ; certains suffixes – vocaliques – étant communs aux deux catégories de noms. Ensuite, les deux suffixes nominaux à valeur de singulier -jé et -bhó expriment, respectivement, l'indivisible et le divisible. Et, relativement au divisible, les unités -pέlώ et -klё́ permettent également de répartir certains objets de la langue, respectivement, en objets ronds et en objets allongés.
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ACC | accompli |
AUX | auxiliaire |
CLAS | classe |
DEF | défini |
DEM | démonstratif |
IMP | impératif |
INACC | inaccompli |
MORP | morphème |
NEG | négation |
n.p | nom propre |
OBJ | objet |
PART | particule |
PL | pluriel |
1.PL 1ère | pers. du pluriel |
2.PL 2 ème | pers. du pluriel |
3.PL 3ème | pers. du pluriel |
POST | postposition |
SG | singulier |
1.SG 1ère | pers. du singulier |
2.SG 2 ème | pers. du singulier |
3.SG 3ème | pers. du singulier |
SUF | suffixe |
SUF-SUF | double suffixation (dans le cas d'une « surpluraliation ») |
* Ici, nous n'avons pas la prétention de donner de la notion de deixis un exposé qui tiendrait compte de toutes les valeurs référentielles qu'elle implique. Il s'agit simplement de montrer que les suffixes -sι et -nyὶ, dans leur emploi, évoquent certaines valeurs de cette notion. retour
1 Le dadjriwalé est une variante du godié, langue kru de Côte d'Ivoire (Marchese 1983). Les langues kru sont divisées en deux sous-groupes. Il y a, d'une part, le groupe occidental, comprenant les langues guéré, grébo, wobé, etc., et d'autre part le groupe oriental, comprenant les langues bété, dida, godié, etc. (Marchese 1989). Les langues kru sont actuellement rattachées, à l'intérieur du phylum Niger-Congo, au groupe nord Volta-Congo qui comprend aussi les langues gur et les langues Adamawa-Ubanguiennes (Williamson/Blench 2000). Les langues Volta-Congo sont des langues à suffixation nominale. Elles diffèrent des langues kwa (Bolé-Richard 1983) et des langues bantoues (Rébuschi 1999) dont le mode d'affixation est la préfixation. retour
2 Dans la langue, il est difficile de dégager des classes de noms singuliers opposées à des classes de noms pluriels avec des numéros qui indiqueraient distinctement le type de classe dont il serait question ; comme c'est le cas des langues bantous et de certaines langues Niger-Congo (cf. Bonvini 1996 : 81). Au point 2.2, nous donnons quelques explications. Aussi, tenons-nous à préciser, d'emblée, que le ton moyen n'est pas noté. Nous le considérons comme un ton neutre. Ainsi, tout item ou morphème ne portant pas de ton, doit être considéré comme étant affecté du ton moyen. retour
3 - v est la marque vocalique qui se suffixe au radical nominal de l'adjectif, du déterminant démonstratif. Elle est aussi celle du pronom anaphorique de rappel substituant le nominal qui gouverne l'accord. retour
4 L'expression « satellite du substantif » est empruntée à Creissels (1991 : 74). retour
5 Il est d'ores et déjà posé qu'il est difficile de dégager, dans la langue, des classes de noms singuliers opposées à des classes de noms pluriels. Du coup, l'appariement singulier/pluriel qui permet de définir le genre, semble caduc dans la langue. Néanmoins, nous faisons, ici, l'hypothèse, relativement aux définitions que donnent Bolé-Richard (1983) et Rebuschi (1999) de la notion de genre, que les différentes voyelles finales des radicaux nominaux s'opposeraient, respectivement, les uns aux autres pour former le couple singulier/pluriel. Ceci, pour expliquer ensuite que la notion de genre telle que définie par ces deux auteurs ne peut s'appliquer à la langue. Dans les langues kru et plus particulièrement en dadjriwalé, le système de classification nominale est désagrégé ; si bien qu'il est difficile de dégager, en synchronie, dans la grande majorité des lexèmes nominaux, un nombre singulier formellement marqué qui s'opposerait à un nombre pluriel. retour
6 Nous n'entendons pas faire ici un commentaire sur le processus de formation du pluriel des noms dans la langue. Notons simplement que le pluriel se forme par l'adjonction d'une marque suffixale vocalique au radical du nom à pluraliser. Cette adjonction occasionne généralement l'élision de la voyelle finale du radical nominal singulier. retour
7 La catégorie des noms à genre [–humain] est subdivisée en trois sous-catégories. La première sous-catégorie est multiple et concerne l'ensemble des noms ayant pour marque suffixale un morphème de pluriel. Dans la deuxième sous-catégorie, l'ensemble des noms est marqué par un morphème à valeur de singulier. Il en existe deux, dans la langue, qui ont cette valeur. C'est cette sous-catégorie de lexèmes nominaux que nous essayons de mettre en exergue ici au point 3.1. La troisième sous-catégorie fait allusion à l'ensemble des noms n'entrant pas dans une corrélation singulier/pluriel. Cette catégorie concerne les noms abstraits, les noms désignant des masses ou des liquides, des objets naturels ou des choses non énumérables. Cette dernière catégorie n'est traitée dans cet article. retour
8 Notons que les différents suffixes portent tous le ton haut en isolation. Mais lorsqu'ils sont associés au nom qu'ils déterminent, le ton haut qu'ils portent est baissé d'un cran. Ainsi, en dehors du suffixe -pέlώ qui voit la première voyelle être affectée du ton bas, lorsqu'il est associé à un nom, tous le autres suffixes, associés à un nom, portent le ton moyen, ton que nous n'avons pas matérialisé dans les différents exemples, parce que, considéré comme neutre de notre part. retour
9 Le symbole ≠ permet d'opposer chaque couple d'exemples pris horizontalement. Ainsi, en 14a, par exemple, dὶö̀–bho s'oppose à dὶö̀-pὲlω Il en est de même de flö́ö̀–bho qui s'oppose à flö́ö̀-klё en 14b. Les termes -pέlώ et -klё́ ont une valeur sélective par opposition et comparativement à -bhó. C'est-à-dire qu'ils permettent, entant que déterminants génitivaux, de sélectionner telle ou telle classe de noms. retour
10 Il existe, d'après Grinevald (1999 : 110), quatre types de classificateurs dont trois seulement sont bien connus. Il s'agit des classificateurs numéraux, nominaux et génitivaux. Mais les numéraux sont les plus courants (Aikhenvald 2000 : 98 ; Creissels 2000 : 107 ; Grinevald 1999 : 111). Ils se subdivisent, selon Grinevald (1999), en deux sous-types : les classificateurs de tri ou les vrais classificateurs et les classificateurs de mesure ou les mensuratifs. retour
11 La catégorie de noms à genre [+Humain] semble homogène bien qu'elle accepte comme suffixes de pluriel des marques vocaliques. Elle se distingue pourtant de la catégorie des noms à genre [–Humain] par le fait qu'elle connaît le phénomène de la « surpluralisation » ; phénomène consistant à adjoindre à des noms déjà pluriels, une autre marque de pluriel. retour
12 -sι et -nyὶ sont deux suffixes modaux à valeur discriminatoire et interpellative. Ils servent à discriminer et à nommer un groupe de personnes, parmi un ensemble d'individus. Ils ont, pour ainsi dire, peu ou prou, une valeur d'ostension ou d'indexicalisation. C'est pourquoi, nous les considérons comme des déictiques. Ce ne sont pas des suffixes dérivationnels ; dans la meure où ils ne modifient en rien le signifié du nom auquel ils s'associent. Autrement dit, ils ne permettent pas d'obtenir un nom à partir d'un autre nom ; ce qui serait le propre de tout dérivatif nominal, nous semble-t-il. retour
13 Nos abréviations s'inspirent du modèle proposé par Lehmann (1980). retour