Manazir Journal
doi.org/10.36950/manazir.2024.6.8

Dr. Demir Fitrat Onger, collectionneur du groupe du Gymnase à Paris

Entretien

Perin Emel Yavuz

Institute for Democracy, Media and Cultural Exchange (IDEM), Paris

ORCID: 0000-0001-8846-5619

Ekin Akalın

Center for Turkish, Ottoman, Balkan, and Central-Asian Studies (CETOBAC), EHESS, and National Federation of Specialized Experts in Art (Fnepsa), Paris

How to cite

Yavuz, Perin Emel, et Ekin Akalın. 2025. « Dr. Demir Fitrat Onger, Collectionneur Du Groupe Du Gymnase à Paris: Entretien ». Manazir Journal 6: 191‑213. https://doi.org/10.36950/manazir.2024.6.8.

Abstract

After the WWII, Turkish artists of the École de Paris played a significant role in the Parisian art scene, actively participating in the debates between abstraction and figuration. Turkish painters and sculptors exhibited at major salons such as the Salon de Mai and the Salon des Réalités Nouvelles, asserting their presence within the Parisian avant-garde. Their interactions with influential figures in modern art, as well as participation in key exhibitions, testify to their integration into the French artistic milieu. The long-neglected memory of this generation is today preserved thanks to many players in the art world. Dr. Demir Fitrat Onger, who built up a major collection and maintained close ties with these artists, is one of them. His testimony sheds light on their contribution to artistic modernity, but also on their bohemian lifestyle and lack of recognition.

Keywords

Turkey, Abstract art, New School of Paris, Modernity, Artistic migration

This interview was conducted on 1 July 2024, received on 16 March 2025, and published on 14 May 2025 as part of Manazir Journal vol. 6 (2024): “Les artistes du Maghreb et du Moyen-Orient, l’art abstrait et Paris” edited by Claudia Polledri and Perin Emel Yavuz.

Introduction

Les artistes turcs de l’École de Paris ont joué un rôle important dans la scène artistique parisienne après la Seconde Guerre mondiale. Leur présence dans la capitale française s’inscrit dans un moment de grande effervescence artistique, où la question de la modernité est centrale. Les débats sur l’art figuratif et abstrait dominent la période, avec des salons et des organes de presse qui défendent diverses orientations esthétiques : l’abstraction lyrique, l’abstraction géométrique, et la figuration. Les artistes turcs participent pleinement à cette dynamique. Par exemple, des peintres comme Fikret Moualla, Abidin Dino, Avni Arbaş, et Remzi restent fidèles à la figuration, tandis que d'autres comme Mübin Orhon, Tiraje Dikmen et Albert Bitran explorent des voies abstraites, parfois lyriques ou informelles1. Des artistes comme Fahrelnissa Zeid, Nejad Devrim, Selim Turan et Hakkı Anlı choisissent, quant à eux, de ne pas se limiter à une orientation stylistique unique, et naviguent entre abstraction et figuration. Cette diversité esthétique se reflète également dans leur présence dans des salons parisiens majeurs : le Salon de Mai où Nejad expose dès 1948, Selim Turan dès 1949, Albert Bitran dès 1956 ; le Salon des Réalités Nouvelles devient un point de rencontre pour les artistes turcs, dont Selim Turan et Albert Bitran, qui y exposent régulièrement, dès 1950 pour le premier et 1951 pour le second. Les sculpteurs turcs ne sont pas en reste. İlhan Koman, Semiramis Zorlu et Kuzgun Acar, font également leur place dans cette scène artistique, notamment au Salon de la Jeune Sculpture fondé en 1948, où ils se distinguent par leur approche de la sculpture abstraite2. Kuzgun Acar, par exemple, participe à la Biennale de Paris en 1961, ce qui lui permet d’exposer au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris l'année suivante.

L’insertion des artistes turcs dans le monde de l’art parisien va bien au-delà de leur participation aux salons. Ces artistes tissent des liens solides entre eux, notamment grâce à leur lieu de rendez-vous au café du Gymnase, et avec des personnalités influentes de la scène parisienne, qu’il s’agisse d’artistes, de critiques, de marchands ou d’intellectuels. Leur présence dans les salons permet non seulement une reconnaissance au sein du milieu parisien, mais aussi la formation de solides amitiés et collaborations. Par exemple, Albert Bitran et Mübin Orhon entretiennent une amitié durable, tandis que Fahrelnissa Zeid se lie d’amitié avec des figures comme le critique Charles Estienne et la galeriste Dina Vierny. Selim Turan est un temps l’assistant de Hartung, devient ami avec le couple de peintres Christine Boumeester et Henri Goetz. En parallèle, Nejad se rapproche de figures importantes telles que Sonia Delaunay et du poète Georges Hugnet, et Abidin Dino rencontre des artistes majeurs comme Picasso et Chagall. Leur participation à la vie artistique parisienne est telle que le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris organise l’exposition Art turc d’aujourd’hui en 1964, qui met en lumière près de soixante-dix artistes, de Paris et de Turquie, dont Fikret Moualla, Hakkı Anlı, Nejad, Mübin Orhon, Abidin Dino, et Selim Turan3. Ces événements illustrent l’importance de la contribution des artistes turcs à l’École de Paris, qui ont su trouver leur place dans la scène artistique parisienne et y apporter leur créativité. Ces artistes, par leur engagement et leurs talents, ont non seulement enrichi la scène parisienne, mais ont aussi contribué à la globalisation de l’art contemporain.

La mémoire de ces artistes, bien que longtemps négligée, donne lieu à un travail de préservation et de redécouverte avec une asymétrie notable entre le contexte turc et le contexte français, où ces artistes ont pourtant vécu et exercé4. Il existe cependant un témoin privilégié de la génération des artistes du café du Gymnase, qui a créé une collection unique en France de leur production : Dr. Demir Fitrat Onger5. Cardiologue éminent, il s’installe à Paris dans les années 1960 pour ses études de médecine et noue des liens d’amitié avec plusieurs de ces artistes au cours des années 1970. Ami mais aussi protecteur, il a commencé à collectionner ces artistes, majoritairement les abstraits, en particulier ceux dont il était le plus intime : Selim Turan, Mübin Orhon et Hakkı Anlı. À travers sa collection6, il a non seulement conservé l’œuvre de ces créateurs, mais aussi contribué à faire vivre leur héritage. Aujourd'hui, il nous offre un témoignage rare, nous permettant de découvrir la vie de cette génération d’artistes, leur quotidien, leur insertion dans la scène parisienne mais aussi leurs difficultés. Il évoque aussi la postérité de ces artistes négligés par l’histoire globale de l’art moderne.

Qu’est-ce qui vous a poussé à collectionner des œuvres d’art ? Est-ce une passion qui remonte à votre enfance, ou un événement particulier qui a déclenché cette envie ?

Je m’intéressais à la peinture dès mon jeune âge. Mon oncle, Fahri Önger7 était critique d’art. Il était ami avec Avni Arbaş8, auprès duquel il m’a fait prendre des cours dans son atelier. Quand j’étais à l’école primaire, ma mère m’emmenait voir des expositions, si bien que c’est resté en moi. Mon père, qui était pharmacien, était opposé à ce que je me lance dans une carrière artistique, persuadé que cela ne m’attirerait qu’ennuis et déboires. Je me suis donc orienté vers la médecine et je suis venu faire mes études à Paris en 1961 à l’âge de dix-sept ans. L’immigration turque n’avait pas encore commencé, il n’y avait alors que quelques artistes et intellectuels. L’été suivant, j’ai choisi de ne pas rentrer en Turquie pour visiter les musées et les expositions à Paris. J’ai obtenu mon diplôme de médecine en 1970, et après ma spécialisation en cardiologie à l’hôpital Cochin en 1974, j’ai pu consacrer plus de temps à l'art.

C’est à cette époque que j’ai commencé à fréquenter le café du Gymnase, dans le quartier de Montparnasse, qui était une place à part pour de nombreux peintres turcs. Il y avait Mübin qui habitait le quartier, Komet, Mehmet Nazım, le fils du poète Nazım Hikmet, le caricaturiste Sinan Bıçakçı, le caricaturiste, Hakkı Anlı et aussi Selim Turan9.

C’est ainsi que j’ai commencé à les connaître et à me lier à eux. Selim a eu la plus grande influence sur moi. J’ai commencé à fréquenter son atelier au fond de l'impasse du Rouet, dans le 14e arrondissement, avec Şahika, son épouse. Il est devenu un ami très proche. On allait souvent chez eux avec mon épouse, Françoise. 

Figure 1: Le café du Gymnase à Montparnasse, lieu de rendez-vous des artistes turcs de Paris. Image issue du catalogue de la collection du Dr. Demir Fitrat Onger, sous la direction de Kerem Topuz, Bir Doktor, Bir İnsan, Bir Koleksiyon: Dr. Demir Fitrat Onger Koleksiyonundan Tablolar / Un docteur, un homme, une collection : tableaux de la collection du Dr. Demir Fitrat Onger. Istanbul : Türker Art, 2012, 8. Avec l’aimable autorisation du Dr. Onger.

Pouvez-vous décrire les conditions de vie des artistes turcs de cette époque ? Parvenaient-ils à vivre de leur art ?

Beaucoup de ces artistes vivaient dans une précarité terrible. Ils s’en sortaient comme ils pouvaient. Pourtant, ils étaient tous issus de familles aisées, mais je crois qu'ils jouaient à la bohème. Ils avaient l’air de tout sauf de bourgeois. Ils avaient rejeté un peu ça aussi. Ils étaient vraiment dans la bohème. Ils étaient tous formés dans les lycées français, Galatasaray, etc., si bien qu’ils maîtrisaient tous la langue française avant d’arriver à Paris. Ce n’étaient pas des pauvres, des paysans de l’Anatolie centrale qui débarquaient pour chercher du travail d’ouvrier. C’est cette image bohème qui a attiré un certain nombre de soi-disant collectionneurs qui y voyaient comme un divertissement.

Mais ces artistes n’étaient pas bien traités. En ce temps-là, en France, les collectionneurs comme les non collectionneurs voyaient les peintres comme des chats et des chiens. Hakkı Anlı connaissait une dame qui était « cordon bleu » dans un restaurant. Elle faisait la cuisine et amenait les restes de ses repas aux peintres. Une fois, alors que j’étais avec cette dame – Hakkı Anlı n’était pas là –, elle me dit : « sans doute vous n’avez pas mangé beaucoup de fraises depuis longtemps ». Cela m’avait choqué. Nous n’étions pas des mendiants ! Moi, c’est une chose, mais son attitude vis-à-vis des peintres m’a fait honte. De même, il y avait un autre restaurant dont le restaurateur les nourrissait le midi en échange d’un ou deux tableaux par mois. C’était plus digne.

Certains réussissaient à vendre leurs toiles, essentiellement à des collectionneurs non turcs. La communauté ne s’intéressait pas vraiment à cette peinture à l’époque. Mübin, qui avait pourtant beaucoup de relations diplomatiques, vivait grâce à son collectionneur du Royaume-Uni, Lord Sainsbury10, qui venait tous les deux mois pour lui acheter des œuvres. Mais au bout de trois jours, il ne lui restait plus rien à cause de son train de vie mais aussi de ses problèmes avec l’alcool – il buvait 15-20 bouteilles de bière par jour. Quand il était vraiment à sec, c’est Selim qui le nourrissait. Il était aussi soutenu par la galerie Durand pour faire des expositions, mais qui n’investissait pas dans les œuvres.

Selim a eu un peu de chance. Il a pu gagner sa vie grâce au 1%11 dans les projets d’architecture de Jean Balladur, le frère de l’ancien Premier ministre12. Il faisait des sculptures monumentales que l’on peut encore voir aujourd’hui. Et puis, comme c’était un savant, il donnait des cours à l’Académie Ranson puis à l’Académie Henri Goetz.

Figure 2: Anlı, Hakkı. Sans titre. n. d. Techniques mixtes sur papier. 65.5 × 50 cm, collection du Dr. Demir Fitrat Onger. Avec l’aimable autorisation du Dr. Onger. Photographie : Kerem Topuz. 

Hakkı Anlı, lui, donnait des cours particuliers et vendait ses toiles à des diplomates turcs. Mais il n’était pas bon vendeur. Un jour, je l’ai pris en charge. Je venais d’acheter une maison et envisageais de l’installer à l’un des étages. J’ai commencé à vendre ses tableaux sans rien toucher pour moi-même. Un acheteur est venu, et à cette époque, nos peintres ne pouvaient pas résister. Moi, je vendais ses tableaux entre 1 000 et 1 500 francs. Et cet acheteur a acquis 10 tableaux pour 5 000 francs, ce qui revenait à 500 francs le tableau ! Il les vendait à des prix beaucoup plus chers. Comment voulez-vous garder une cote dans ces conditions-là ? Il travaillait aussi avec la galerie Im Erker à Saint-Gall en Suisse qui lui a acheté des peintures pendant six ou sept ans.

Fikret Moualla, lui, a eu plusieurs collectionneurs, d’abord un homme d’affaires belge, Monsieur Lhermine13, puis Madame Anglès qui lui achetait ses gouaches pour pouvoir subsister14. En raison de son alcoolisme, il avait besoin d’intermédiaires.

Pourquoi ces artistes ont-ils eu du mal à s’insérer dans le marché de l’art à Paris, malgré la qualité de leur travail ? Y a-t-il des facteurs personnels ou culturels qui ont influencé leur parcours ?

Faire sa place au soleil à Paris, ce n’est pas facile, quel que soit le métier. Comme la plupart de ces artistes, ils n’ont pas eu l’intelligence de Picasso. Ce n’est pas à cause de leur art. Picasso ne vendait aucun tableau directement dans son atelier. Quand venaient des galeristes, il les envoyait vers son marchand, Henri Kahnweiler, qui vendait ses œuvres trois fois plus cher. Les peintres ont rarement cette intelligence de se demander pourquoi ils devraient donner de l’argent. Pourquoi ? Parce qu’un peintre doit avant tout exercer son art. Il n’est pas commerçant et ne doit pas se perdre dans des discussions sur les prix. C’est pour cela qu’ils n’ont jamais accepté qu’un marchand prenne 20 ou 30 % de commission. Mais faire une cote demande du travail auquel ils n’ont pas su se prêter, si bien que la plupart de ces peintres n’en avaient pas. Leur situation était très difficile. Nos peintres étaient loin d’être considérés à leur juste valeur, et leur art ne leur permettait pas de vivre décemment.

Cette génération essayait de vivre à Paris en vendant ici, ce qui ne marchait pas bien. Pour la deuxième génération d’artistes, c’était un peu différent. Ils profitaient du label parisien pour vendre leurs tableaux en Turquie. La première génération n’était pas dans une logique de marché, ils vivaient une vie de bohème, ce qui était parfois contradictoire avec leurs origines sociales. Ils étaient comme l’huile et l’eau. Aucun d’eux n’avait acquis la nationalité française. Contrairement à d’autres artistes comme Poliakoff ou Hans Hartung, qui, bien que d’origine étrangère, ont su s’insérer dans la scène artistique locale, ces artistes n’ont pas réussi à s’intégrer, selon moi.

En France, les cercles intellectuels, notamment dans des lieux emblématiques comme les cafés des Deux Magots ou du Flore à Saint-Germain-des-Prés, semblent ouverts à la discussion. Mais lorsqu’il s’agit de partager réellement le gâteau, c’est-à-dire les opportunités et les privilèges, un certain racisme se manifeste. Je l’ai vécu en tant que médecin sous la forme d’un racisme administratif. Mes diplômes n’ont été reconnus d’« État » qu’après l’obtention de la nationalité française, alors que leur valeur scientifique ne change pas avec la nationalité. Aujourd’hui, l’Allemagne compte 1450 médecins spécialistes turcs, mais aucun en France. Interne en service nucléaire à Orsay, sous tutelle du Premier Ministre, j’avais tout… sauf la nationalité française, indispensable. La préférence nationale existe, et l’intégration n’est pas si simple.

Je suis convaincu que si ces artistes turcs avaient appartenu à une autre ethnie, ils n’auraient pas été reconnus non plus. Ils auraient été exclus non seulement de l’histoire de l’art, mais aussi de nombreux autres domaines. Ce rejet ne concerne pas uniquement l’art ; il s’inscrit dans un contexte plus large de tensions envers l’Islam, une opposition que certains cherchent à imposer. On le voit aujourd’hui avec l’extrême droite.

Quel a été votre rôle alors ? Peut-on dire que vous avez été une sorte de mécène ?

Je n’avais pas beaucoup de sous même si je gagnais ma vie. J’ai essayé, dans la mesure du possible, soit de soulager avec de l’argent, soit, comme avec Mübin, en lui apportant son thé, son sucre, son pain, etc., soit en nature, soit en espèce. Et puis j’achetais la peinture, les couleurs…

Mécène, c’est un grand mot parce que je n’étais pas millionnaire pour être mécène. Les gens qui tournaient autour d’eux, que ce soient des Français ou des Turcs, les regardaient comme des pandas dans un zoo. C’est ce qui me faisait mal. Si j’ai fait cardiologie, c’est parce que j’avais un esprit mathématique. Je demandais aux peintres ce que, concrètement, ces gens donnaient sur le plan pratique.

Quand il s’agissait de leur venir en aide, il n’y avait plus personne. C’est ce qui me faisait mal. Quand Mübin est tombé gravement malade, le médecin en chef de l’hôpital de Villejuif, qui disait être son ami, m’a appelé pour prendre en charge les examens dont il avait besoin.

Figure 3: (à gauche) Un déjeuner dans l’atelier de Selim Turan, le 17 juillet 1978. De gauche à droite, Selim et Şahika Turan, Dr. Demir Fitrat Onger et son père. Avec l’aimable autorisation du Dr. Onger. (à droite) Abidine Dino, Hakkı Anlı et Selim Turan dans l’atelier de Hakkı Anlı, Villa Adrienne. Avec l’aimable autorisation d’İbrahim Öğretmen. Photographie : Ibrahim Öğretmen.

Mais, d’une manière générale, si leurs conditions de vie matérielle était très précaire, je n’ai jamais vraiment vu cela comme un fardeau. Il me semblait que ces artistes avaient un besoin de reconnaissance et de soutien. Ils avaient parfois du mal à s’intégrer, à trouver leur place dans la société française.

Parmi ces artistes, il y a Selim qui était le plus discret d’entre eux. Vous qui en étiez très proche, que pouvez-vous nous dire de lui ?

Selim était au-dessus du lot. Léopold Levy15, son professeur à l’Académie des Beaux-Arts d’Istanbul, avait remarqué son talent et joué un rôle clé dans son départ pour Paris grâce à une bourse de l’État français. Ce n’était pas seulement un peintre extraordinaire, mais aussi un philosophe, c’était un sage de la peinture. Il avait une connaissance incroyable de l’histoire de l’art et surtout, il faisait la synthèse entre l’Orient et l’Occident. Dans sa peinture abstraite, on sentait des influences orientales. Il avait pris des cours de miniature et s’intéressait beaucoup à la botanique. C’était un homme très ouvert et cultivé. Il m’a appris à regarder la peinture. Contrairement à d’autres peintres de l’époque qui buvaient du matin au soir, lui ne buvait pas. Il menait une vie régulière. Il travaillait surtout la nuit, mais il fumait un peu et avait de l’asthme, ce qui n’arrangeait pas les choses.

Mais il y avait une blessure. Selim avait des problèmes avec ses papiers turcs, l’empêchant de retourner en Turquie pendant de longues années. Il avait été exempté du service militaire turc en raison d’une malformation au niveau des mains. On lui reprochait de ne pas avoir fait les formalités nécessaires auprès du Consulat, si bien qu’il a été déchu de sa nationalité turque. Selim est un des peintres les plus carrés mais les peintres ont toujours du mal à s’occuper de leurs papiers… Cependant, des influences néfastes provenant de son entourage ont contribué à cette situation. Vous savez, la jalousie parfois... Ce n’est que bien plus tard, à la fin des années 1970, que Selim a bénéficié d'une amnistie et qu’il a pu retrouver sa nationalité notamment grâce à l’intervention de Rahşan Ecevit, la femme du président de la République turque, qui était une ancienne collègue d'atelier à Istanbul.

Figure 4: Turan, Selim. Sans titre. n. d. Huile sur toile. 115 × 72 cm, collection du Dr. Demir Fitrat Onger. Avec l’aimable autorisation du Dr. Onger. Photographie : Kerem Topuz. 

Chez les peintres, il y avait beaucoup de rivalité. Une rivalité qui remonte à Istanbul et à la fameuse exposition « Liman Şehri İstanbul » (Istanbul, ville portuaire) qui marquait la naissance du groupe « Yeniler Grubu » (Les Nouveaux), aussi appelé « Liman Grubu » (Groupe du port). Abidin Dino avait été mis à la porte de cette exposition16. Cela avait créé une division parmi les peintres, d’un côté, un groupe autour de lui comprenant notamment Kemal Baştuji et Omer Kaleşi, et, de l’autre, Selim Turan, Müzehher Pasin-Bilen...17 Moi, j’étais au milieu de ces deux groupes mais j’étais plutôt du côté du groupe de Selim. Lorsque j’ai organisé la toute première exposition du Centre culturel Anatolie en 1984, alors situé rue de Trévise, avec des œuvres de Mübin issues de ma collection, cette rivalité s’est exprimée par la voix de l’épouse d’Abidin, Güzin Dino. Elle avait déclaré qu’un médecin devait se consacrer à ses patients plutôt qu’à la culture, ajoutant qu’elle ne souhaitait pas fréquenter ce type de lieu. Compte tenu de son âge, elle ne courait aucun risque en s’y rendant.

Les peintres entre eux sont un peu comme des chiffonniers mais lui n’avait jamais de jalousie, il voyait toujours la partie pleine du verre. Il était d’un tempérament calme et doux, sans jamais aucune agressivité. En revanche, certains artistes de sa génération cherchaient souvent à lui faire de l’ombre. Il n’avait pas pour habitude de se mettre en avant ni de jouer sur des relations pour avancer. À titre d'exemple, Abidin Dino, ami proche d’Aragon – ce dernier étant membre du Parti communiste français (PCF) –, bénéficiait d'appuis grâce à ses connexions, alors qu'à cette époque, le PCF représentait 26% des voix. Des soutiens que Selim n’a jamais eus.

En 1946, il y eut l’exposition « Peinture turque d’aujourd’hui. Turquie d’autrefois » au musée Cernuschi organisée par la Turquie qui semblait annoncer l’arrivée de cette génération d’artistes à Paris. Cela correspondait-il à une politique de l’État turc ?

Après les réformes visant à moderniser la Turquie, le pays souhaitait, à travers ses expositions, mettre en avant son évolution. Dans l’une d’elles, organisée dans un musée où figuraient notamment Anlı, ainsi que des peintres impressionnistes et post-impressionnistes sélectionnés par l’État turc. D’ailleurs, le titre de cette exposition était « Les artistes de Turquie d’hier et de Turquie d’aujourd'hui18 ».

Cette exposition ne se limitait pas à la peinture : on y trouvait également des broderies et divers autres produits. Dans le même esprit, une autre exposition a été organisée à l’Unesco19, mettant en avant des peintres modernes ainsi que des impressionnistes et post-impressionnistes. Il s’agissait, en quelque sorte, d’un « débarquement » artistique visant à illustrer la modernité de la Turquie.

Figure 5: Orhon, Mübin. Sans titre. 1976. Huile sur toile. 65 × 54 cm, collection du Dr. Demir Fitrat Onger. Avec l’aimable autorisation du Dr. Onger. Photographie : Kerem Topuz.

Cette démarche s’inscrivait dans une volonté plus large de reconnaissance culturelle. Pour montrer une image moderne, l’État turc a fait, à cette époque-là – juste après la Seconde Guerre mondiale, donc dans la période entre 1945 et 1965 – pas mal d'efforts, accordant ainsi des bourses aux peintres. Avant de partir pour l’Europe, ces artistes devaient effectuer un voyage en Anatolie afin d’observer et peindre la réalité du pays et de rencontrer les paysans.

Votre collection comporte beaucoup d’œuvres de Mübin, Hakkı Anlı et Selim, ce qui lui donne une forte consonance abstraite. Pourquoi l’abstraction, qu’est-ce qui vous a plu dans la peinture abstraite ?

Mon objectif au départ, c’était uniquement de m’occuper des peintres turcs de l’École de Paris. Je n’ai pas fait le choix entre abstraction ou figuration. Et puis, il fallait bien limiter la collection à quelque chose. C’est pour cela que je me suis concentré sur cette thématique. J’aime bien avoir une certaine logique. Il y a eu d’autres acquisitions, comme Nejad Devrim, qui n’est plus dans ma collection actuellement, Moualla aussi et trois petites pièces d’Abidin Dino, qui était à mes yeux plutôt un illustrateur. C’est un homme de culture, il écrivait très bien. Il avait de bonnes connaissances mais sa peinture est un autre sujet… J’ai également quelques tableaux des peintres français mais ils ne sont pas nombreux. Dans l’abstraction, ce que j’aime ce sont les coloristes. Bien que les peintres que j’ai collectionnés ne le connaissaient pas, ils me rappelaient Rothko.

Les institutions et les acteurs du monde de l’art en France ont-ils un intérêt pour votre collection et pour les artistes que vous avez collectionnés ?

Non, mais c’est un vrai problème. À part Nejad20, aucun des artistes turcs de l’École de Paris n’est entré dans les collections de Pompidou, par exemple. Selim n’y a aucun tableau.

Quant à ma collection, je prête parfois des œuvres pour des expositions. Au-delà de la peinture, j’ai d’autres collections. J’ai notamment une collection sur le café, qui compte entre 100 et 140 pièces, une autre sur le hammam, et encore une des broderies du XVIIIe et XIXe siècle. À l’occasion d’expositions thématiques ou en lien avec la Turquie, certains musées, surtout en province, me demandent des prêts.

Cependant, la peinture reste plus difficile à prêter, car c’est un domaine fragile, soumis à de nombreuses contraintes. Beaucoup de mairies, lorsqu’elles organisent une « semaine turque », sollicitent plutôt mes collections sur le café ou le hammam. Récemment, nous avons prêté des tableaux pour une exposition lors de la Journée des droits des femmes, à Nancy.

Figure 6: Anlı, Hakkı. Sans titre. 1964. Techniques mixtes sur papier. 65 × 50 cm, collection du Dr. Demir Fitrat Onger. Avec l’aimable autorisation du Dr. Onger. Photographie : Kerem Topuz.

Pendant la « Saison turque » en France, il y a eu une exposition consacrée aux artistes peintres turcs de Montparnasse dans un petit musée21. La plupart des œuvres exposées provenaient de ma collection, mais, pour des raisons de sécurité, cela n’avait pas été mentionné. Ce musée, d’ailleurs assez vétuste, ne disposait même pas d’un système de sécurité, ce qui aurait pu être dramatique en cas d’incendie. Un petit catalogue a été publié à cette occasion, j’y avais écrit un mot en introduction22.

En Turquie, est-ce que les institutions ont montré un intérêt pour les artistes de l’École de Paris ?

Vers la fin de leur vie, la Turquie a commencé à les reconnaître, pour différentes raisons, et des expositions ont eu lieu là-bas. La Turquie n’utilise pas la voie culturelle pour sa promotion. Ce n’est que lorsque les artistes peintres acquièrent une réputation ailleurs, qu’ils se réveillent. Malheureusement, comme la plupart du temps pour les peintres, ils ont eu un certain succès après leur mort, pas de leur vivant. Seul Mübin avait réussi à avoir un certain succès en Turquie parce qu’il y avait un collectionneur.

Leur cote a énormément augmenté sur le marché autour de 2010. Il y a eu une explosion des ventes aux enchères à ce moment-là, et il y a eu, bien sûr, un intérêt croissant pour l’art turc, notamment pour cette période moderniste. L’art turc de cette époque a attiré beaucoup de collectionneurs et d’acheteurs. Le marché de l’art en Turquie a également évolué, avec des investisseurs et des collectionneurs intéressés par ces œuvres, surtout après la reconnaissance internationale de certains artistes. Par exemple, à un moment donné, les œuvres de Mübin se vendaient à 40 000–50 000 Euros lors des ventes aux enchères. De même, les œuvres de Sélim ont vu leur prix augmenter après son décès.

J’avais beaucoup de Hakkı Anlı, j’avais fait une exposition en Turquie, et deux ou trois Selim aussi. À ce moment-là, ça se vendait bien mais actuellement il y a une baisse de sécurité. En Turquie, on change de mode comme on change de chemise... Que ce soit Selim, Mübin ou Hakkı Anlı, ça tourne aujourd’hui entre 3 000 et 7 000 Euros, je les suis de près. Pour garder sa place dans le marché il faut toujours se rappeler, se rappeler. Il faut faire des rétrospectives en permanence.

Figure 7: Moualla, Fikret. Sans titre. n. d. Gouache sur papier. 24 × 20 cm, collection du Dr. Demir Fitrat Onger. Avec l’aimable autorisation du Dr. Onger. Photographie : Kerem Topuz.

Quant à Fikret Moualla, sa cote se maintient. Une de ses gouaches a été vendue à 65 000 Euros. Ce sont des grands prix que l’on peut mettre en question. Personnellement j’ai une quarantaine de dessins de lui. À l'époque, j'avais acheté les dessins de Fikret Moualla pour 400 francs. La Turquie s’est réveillée, les gens commencent à s’interroger sur l’authenticité des œuvres qui circulent. Kerem Topuz a préparé le catalogue raisonné de son œuvre23. Je suis contacté par les musées quand ils ont besoin des œuvres de Fikret Moualla. Ils savent que j’ai des vrais. Quand je pense au pauvre Moualla qui donnait une gouache pour deux verres…

Concernant la postérité des artistes, Şahika Turan a légué l’œuvre de Selim à l’Université d’Istanbul24. Necmi Sönmez avait fait un livre sur Selim.25 Le musée de Sabancı a aussi fait un catalogue.26 Selim avait, par ailleurs, légué une série d’œuvres autour de la légende de la fille jaune (Sarı Kız Efsanesi) au Musée ethnographique de Tahtakuşlar, fondé par Ali Kudar27. De même, Ömer Kaleşi avait fait don d’une vingtaine de toiles au musée municipal de Bursa28. C’était pour eux une manière de laisser une trace en Turquie.

Dans leur pays d’origine, ces peintres étaient peu étudiés. Il est temps de dépasser cette situation. Aujourd’hui, de plus en plus d’ouvrages sont publiés en version bilingue, principalement en turc et en anglais. Le catalogue de ma collection, lui, est en turc et en français pour en faciliter l’accès. Jusqu’à récemment, la plupart des livres étaient uniquement en turc, limitant leur portée à l’international. Désormais, la Turquie mise davantage sur des éditions bilingues, avec une prédominance de l’anglais.

Figure 8: Turan, Selim. Sans titre. n. d. Huile sur toile. 73 × 54 cm, collection du Dr. Demir Fitrat Onger. Avec l’aimable autorisation du Dr. Onger. Photographie : Kerem Topuz.

Au-delà de votre collection, vous jouez aussi un rôle de passeur entre les cultures. Pourquoi la culture est-elle aussi importante pour vous ?

En 1981, j’ai créé le Centre culturel Anatolie, à Paris, avec quelques amis français et des amis de Turquie, à une époque où ce pays était encore peu connu, voire mal perçu. Inspiré par la phrase de Malraux, « Le chemin le plus court de l'homme à l'homme, c’est la culture », je me suis dit qu'en partageant la culture turque, nous pourrions peut-être susciter une certaine sympathie auprès du peuple français. Il faut dire qu'à l’époque, il existait plusieurs lobbies opposés à la Turquie, et récemment, un journaliste français de renom a même déclaré que parler de la Turquie était un véritable acte de bravoure. Mais cette situation, bien que persistante, n’est pas nouvelle.

Le Centre culturel Anatolie est un centre totalement privé. Nous ne recevons aucune aide de l’État français ni de l’État turc, ce qui nous permet de maintenir notre indépendance. Comme l’a dit Mustafa Kemal Atatürk, « Sans indépendance économique, vous ne pouvez pas avoir une indépendance politique. » Ainsi, notre centre est entièrement autonome. Nous proposons des cours de turc, ainsi que des expositions, des conférences et d’autres activités culturelles. L’objectif est de présenter la Turquie sous différents aspects, sans se limiter à la religion, contrairement à de nombreuses associations turques en France, souvent liées à des mosquées. Nous avons voulu éviter cette orientation pour nous adresser à un public plus large. D’où le choix du nom « Centre Anatolie », qui reflète cette ouverture à toutes les cultures. Parmi nos nombreuses activités, nous organisons chaque année des expositions qui attirent un large public, et de nombreuses œuvres sont vendues. Nous avons également organisé des événements littéraires, comme la signature du livre de l’écrivain turc Nedim Gürsel, qui a écrit sur son voyage en Iran.

La première exposition que nous avons organisée remonte à 1984, avec Mübin. Cela fait donc près de 40 ans que nous travaillons à faire connaître la Turquie en France. Nous savons qu’aucun pays ne possède une image totalement négative ou totalement positive ; il y a toujours des aspects positifs et négatifs. Nous avons choisi de nous concentrer sur l’aspect culturel, en ouvrant un dialogue avec la France. Le Centre culturel Anatolie s’efforce d’être un pont entre la France et la Turquie, un rôle que nous poursuivons activement. Il est intéressant de noter qu’à une époque, nous avions une section dédiée aux voyages pour financer nos activités, et nous avons vu à quel point les Français avaient une vision déformée de la Turquie. Quand on parle de l’immigration aujourd’hui, on se rend compte que beaucoup de gens qui en parlent ne connaissent pas les immigrés. Le mélange culturel, selon nous, est une véritable élévation. Nous croyons fermement que la rencontre des cultures est enrichissante.

Figure 9: Orhon, Mübin. Sans titre. 1958. Huile sur papier, mounted on canvas. 65 × 50 cm, collection du Dr. Demir Fitrat Onger. Avec l’aimable autorisation du Dr. Onger. Photographie : Kerem Topuz.

Bibliographie

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Notes

1Fikret Moualla (1903, Istanbul – 1967, Reillanne), peintre ; Abidin Dino (1913, Istanbul – 1993, Paris), peintre ; Avni Arbaş (1919, Istanbul – 2003, Istanbul), peintre ; Mehmet Remzi Raşa, dit Remzi (1928, Kırıkhan – 2015, Paris), peintre ; Mübin Orhon (1924, Istanbul – 1981, Paris), peintre ; Tiraje Dikmen (1925, Istanbul – 2014, Istanbul), peintre ; Albert Bitran (1931, Istanbul – 2018, Paris), peintre ; Fahrelnissa Zeid (1901, Istanbul – 1991, Amman), peintre ; Néjad Devrim (1923, Istanbul – 1995, Varsovie), peintre ; Selim Turan (1915, Istanbul – 1994, Paris), peintre, sculpteur ; Hakkı Anlı (1906, Istanbul – 1991, Paris), peintre.
2İlhan Koman (1921, Edirne – 1986, Stockholm), sculpteur ; Semiramis Zorlu (1925, Istanbul – ), sculptrice ; Kuzgun Acar (1928, Istanbul – 1976, Istanbul), sculpteur.
3Nurullah Berk et Cemal Tollu, dir., Arc turc d’aujourd’hui, catalogue d’exposition, Paris, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 8 janvier–4 février 1964 (Paris : Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, 1964).
4Pour le contexte turc, l’appareil critique de cet entretien en donne un aperçu. Dans le contexte français, la recherche est très timide, à l’exception des publications récentes de l’historienne de l’art Clotilde Scordia qui offre un regard sur cette communauté d’artistes, par exemple, Istanbul-Montparnasse. Les Peintres turcs de l’École de Paris, (Paris : Déclinaison, 2021), et « Trois décennies d’art turc à Paris à redécouvrir, 1945–1975 », Hommes & Migrations, no. 1338 (2022) : 87–91, https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.14245.
5Nous avons choisi de conserver l’orthographe originale des noms turcs cités dans le texte, à l’exception du Dr. Demir Fitrat Onger (« Demir Fıtrat Önger » en turc), Hifzi Topuz (« Hıfzı ») et Fikret Moualla (« Mualla ») qui ont simplifié l’orthographe de leur nom pour faciliter leur intégration professionnelle et sociale.
6La collection du Dr. Demir Fitrat Onger a fait l’objet d’une exposition à la Maçka Modern Art Gallery à Istanbul en avril 2012, accompagnée d’un catalogue reproduisant plus de 150 œuvres : Kerem Topuz, Bir Doktor, Bir İnsan, Bir Koleksiyon : Dr. Demir Fıtrat Onger Koleksiyonundan Tablolar / Un docteur, un homme, une collection: tableaux de la collection du Dr. Demir Fıtrat Onger, (Istanbul: Türker Art, 2012).
7 Fahri Önger (1920–1971), écrivain, critique.
8 Avni Arbaş (1919, Istanbul – 2003, İzmir), peintre.
9 Gürkan Coşkun dit Komet (1941, Istanbul – 2022, Paris), peintre ; Mehmet Nazım (1951, Istanbul – 2018, İstanbul), peintre ; Sinan Bıçakçı (1931, Istanbul – 2015, Istanbul), caricaturiste.
10 Lord Robert James Sainsbury (1906, Londres – 2000, Londres), homme d'affaires britannique, collectionneur.
11 Le 1% artistique est une mesure en France qui impose de consacrer 1% du budget de la construction ou rénovation d’un bâtiment public à la création d’une œuvre d’art.
12 Jean Balladur (1924, Izmir – 2002, Paris), architecte.
13 Nous n’avons pas d’informations sur ce collectionneur.
14En 1959, Fikret Moualla rencontre Madame Fernande Anglès, marchande d’art qui le prend sous sa protection. Ils établissent une collaboration économique et s’installent en Provence. Voir Hifzi Topuz et Kerem Topuz, Fikret Moualla : Anatomie d’une bohème (1903–1967). Œuvres, anecdotes, témoignages et souvenirs (Paris : Expertise Ottavi, 2009).
15Léopold Lévy (1882, Liège – 1964, Paris), peintre, professeur à l’Académie des beaux-arts d’Istanbul (1936-1949) et directeur. Sur le rôle qu’il a joué pour beaucoup d’artistes, voir Xavier Ducrest, De Paris à Istanbul, 1851-1949 : un siècle de relations artistiques entre la France et la Turquie, (Strasbourg : Presses Universitaire de Strasbourg, 2010), 183–235.
16 Sur le groupe « Yeniler Grubu », voir Sibel Çelik, « Türk Resminde Toplumsal Gerçekçilik: Yeniler Grubu » (Thèse de doctorat. Uni-versité des beaux-arts Mimar-Sinan, 2009).
17Kemal Bastuji (1923, Malatya – date et lieu de décès inconnus) ; Ömer Kaleşi (1932, Srbitsa Kırçova, Macédoine - 17 avril 2022, Istanbul, Turquie), peintre ; Müzehher Pasin-Bilen (1933, Kastamonu – 2008, Paris), peintre.
18Musée Cernuschi, dir., « Peintures turques d'aujourd'hui. Turquie d'autrefois » (Paris : Imprimerie Réaumur, 1946).
19 ​Jean Cassou, dir., Exposition internationale d’art moderne,catalogue d’exposition, Paris, Musée d’Art Moderne, 18 Novembre–28 Decembre 1946 (Paris : Unesco, 1946). Nejad et Selim participèrent à cette exposition.
20 La collection du Musée national d’art moderne - Centre Pompidou comprend un dessin de Nejad ainsi que deux peintures, consultables en ligne : https://collection.centrepompidou.fr/.
21 La « Saison de la Turquie en France » a eu lieu à Paris et dans d’autres villes de France de juillet 2009 à mars 2010.
22L’exposition s’intitulait « L’École de Paris turque » du 25 février au 4 avril 2010 dans le musée du Montparnasse qui occupait alors la Villa Vassilieff. Elle fut organisée en collaboration avec l’association ELELE, dédiée à l’aide l’intégration des immigrés, fermée brutalement en 2009 sur décision du ministère de l’Immigration d’alors (Laetitia Van Eeckhout, « Elele, une association trop “exemplaire” pour durer », Le Monde, 12 avril 2010,
https://www.lemonde.fr/societe/article/2010/04/12/elele-une-association-trop-exemplaire-pour-durer_1332313_3224.html). Les références du catalogue n’ont pas pu être identifiées.
23 Marc Ottavi et Kerem Topuz, Catalogue raisonné de l'œuvre de Fikret Moualla (Paris : Cabinet d’expertise Marc Ottavi, 2019).
24La donation a eu lieu en 2003 et consistait en 233 peintures et 11 mobiles. Elle permit aux œuvres de Selim de rejoindre celles de son professeur, Feyhaman Duran, également conservée à l’Université d’Istanbul. À cette occasion, un important catalogue présentant la collection des deux maîtres a été publié : V. Belgin Demirsar Arlı, dir., İstanbul Üniversitesi Rektörlüğü Bilim ve Sanat Merkezi, Resim Galerisi. Pinakothek – Katalog [Istanbul University Rectorate Science and Art Centre, Art Gallery. Pinakothek – Catalogue], (Istanbul : İstanbul Üniversitesi Rektörlüğü Bilim ve Sanat Merkezi, 2004). En 2017, la collection de la pinacothèque de l’Université d’Istanbul a été transférée au Sakıp Sabanci Müzesi.
25 Necmi Sönmez, Tez – Antitez – Sentez. Selim Turan’ın Sanat Serüveni [Thèse - Antithèse - Synthèse. L’aventure artistique de Selim Turan], (Istanbul : Yapı Kredi Yayınları, 2016).
26Necmi Sönmez, Selim Turan. Tez – Antitez – Sentez [Selim Turan. Thèse – Antithèse – Synthèse], catalogue d’exposition, Istanbul, Sakıp Sabancı Müzesi, 30 mai–13 août 2017 (Istanbul : Sakıp Sabancı Müzesi, 2017). Ce catalogue reprend la monographie précédente sous un format plus court.
27Le village turkmène de Tahtakuşlar est situé sur la mer Égée au sud de Çanakkale. En 1991, Ali Kudar (1926, Tahtakuşlar – 2019, Tahtakuşlar), enseignant, fonde la galerie ethnographique Tahtakuşlar pour documenter et préserver le mode de vie de peuple originaire d’Asie centrale. Selim Turan lui a apporté son aide en lui faisant don de plusieurs œuvres de son cycle de la Sarı Kız [fille jaune], de livres, en apportant un soutien financier et en offrant une ancienne tente turkmène qu'il avait acquise auprès d'un collectionneur français. (Voir Sönmez, Tez – Antitez – Sentez, 482–484) L’intérêt de Selim Turan pour Tahtakuşlar remonte à sa jeunesse, lorsqu’il avait obtenu une bourse d’État pour peindre la société turque. Ce projet l’avait mené jusqu’au mont Kaz, également connu sous le nom de montagne aux oies, près du village. Ce lieu, imprégné de la légende de la Sarı Kız, a profondément marqué son imaginaire et nourri son œuvre tout au long de sa vie. (Jeanne Kerbellec, entretien avec Perin Emel Yavuz, 8 juillet 2024.).
28En 2019, il a fait don de vingt-et-une œuvres au musée municipal de Bursa. (« Defterdarlık Binası Restore Edilip, Kent Müzesi'ne Eklendi » [« Le bâtiment de Defterdarlık restauré et ajouté au musée de la ville »], Milliet, 17 février 2019. https://www.milliyet.com.tr/yerel-haberler/bursa/defterdarlik-binasi-restore-edilip-kent-muzesine-eklendi-13242070).

About the authors

Perin Emel Yavuz holds a doctorate in art history and theory, and is co-founder of the research group on the visual arts in the Middle East 19th–21st centuries (ARVIMM). She specialises in narrativity in art forms and is interested in art as a space for cultural and political interaction in relation to global transformations and contemporary issues of representation. She has coordinated a number of publications, including “Que fait la mondialisation à l’esthétique” with Bruno Trentini (Proteus, no. 8, March 2015), “Contextualiser nos regards” with Annabelle Boissier, Fanny Gillet and Alain Messaoudi (Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, no. 142, 2018), and “Les images migrent aussi” with Elsa Gomis and Francesco Zucconi (De facto Migrations, no. 24, January 2021). Currently head of communications and development at IDEM (L’Institut pour la Démocratie) and a member of the Désinfox-Migrations association, her career has been marked by a constant commitment to disseminating knowledge on sensitive subjects that divide society.

Ekin Akalın is a researcher specializing in global modernities, with a focus on late Ottoman and early Turkish Republican art history. She is affiliated with the Fédération nationale des experts d'art (Fnepsa) and the Center for Turkish, Ottoman, Balkan, and Central-Asian Studies (CETOBAC), Paris. She completed her masters under the supervision of Marianne Barrucand. Her curatorial work includes positions at the Sadberk Hanım Museum (Istanbul) and projects with the Musée du Quai Branly (Paris), the Musée Pierre Loti (Rochefort, France). She was the coordinator of the 2011 exhibition 20 Modern Turkish Artists of the Twentieth Century at santralistanbul. Her doctoral research investigaes territorial aesthetics in 19th century Ottoman military schools. Her recent article, “Aesthetic of Prosperity: A Case Study on the Paintings of Halil Paşa,” was published in the International Journal of Islamic Architecture.