This introduction was received on 1 April 2025 and published on 14 May 2025 as part of Manazir Journal vol. 6 (2024): “Les artistes du Maghreb et du Moyen-Orient, l’art abstrait et Paris” edited by Claudia Polledri and Perin Emel Yavuz.

Soit une vue photographique en noir et blanc de l’entrée du Stade Géo André à La Courneuve, mettant en avant, dans la partie gauche, son architecture et sa grille métallique fermée, dans une composition frontale et symétrique (fig. 1). À droite, une effusion de couleurs vives – rouge, orange, bleu et jaune – éclate, déposée par de larges coups de pinceaux expressifs. Une fresque in situ ? La matérialité du dispositif révèle que la peinture a été apposée directement sur la photographie, puis insérée sur la surface d’un mur. En réalité, la photographie est une image imprimée extraite d’une revue dont l’origine reste inconnue. Cependant, la qualité du papier et le style de l’impression suggèrent qu’elle pourrait dater des années 1960. Cette image est collée sur une feuille blanche de format A4, lui donnant une nouvelle signification, un nouveau statut. Dans le contraste entre la gestualité de la peinture expansive et le format du support photographique aux dimensions contenues, se dessine l’idée d’une mise en situation de la peinture dans l’espace architectural. Cette œuvre appartient à une série réalisée selon le même principe par l’artiste Selim Turan1 (fig. 2) qui a vécu à Paris depuis 1947, dévoué à son art et menant une carrière discrète, mais non moins prolifique, dont l’atelier parisien, impasse du Rouet dans le 14e arrondissement, débordait de tableaux, de mobiles, de cartons à dessins, etc. Cette série interpelle lorsque l’on connaît la gestualité de l’artiste qui s’exprime sur des toiles aux dimensions parfois démesurées. S’il est difficile de retracer leur intention en raison du peu d’informations qui l’accompagne2, cette série de mises en scène porte en elle quelque chose d’emblématique au regard de la place marginale occupée par les artistes moyen-orientaux dans le récit de l’art moderne, et plus spécifiquement de l’invisibilité de ceux qui ont apporté leur contribution à l’École de Paris. C’est à travers la biographie de Selim Turan que cette lecture prend tout son sens.
Selim Turan arrive à Paris en 1947 avec une bourse de l’État français dédiée aux peintres, sculpteurs et graveurs étrangers, qu’il obtient grâce au soutien de son professeur de l’Académie des Beaux-arts d’Istanbul, Léopold Lévy. Installé à la Schola Cantorum à ses débuts, il fréquente les ateliers d’André Lhote et Fernand Léger, introduisant rapidement l’abstraction dans sa pratique, et entre dans le circuit des galeries. Il devient assistant de Hans Hartung et se lie d’amitié avec Pierre Soulages, Serge Poliakoff, Atlan, Henri Goetz et Christine Boumeester, parmi d’autres. Dès 1949, il participe régulièrement au Salon de Mai et au Salon des Réalités Nouvelles, dont il sera également membre du comité. Jusqu’au début des années 1960, il a une activité d’expositions individuelles et collectives soutenue à Paris et à l’étranger (Londres, Bruxelles, Pittsburgh), mais peu en Turquie, dont il avait perdu la nationalité pour des raisons administratives liées au service militaire3. Enseignant à l’Académie Ranson puis à l’Académie Henri Goetz, à partir de 1962, il collabore entre 1963 et 1978 avec l’architecte Jean Balladur pour une dizaine de fresques murales et de sculptures dans des programmes architecturaux. Malgré l’importance de ces réalisations, il tombe dans une forme d’oubli en France avec un rythme d’expositions très ponctuel à Paris et en région, tandis que sa reconnaissance en Turquie n’interviendra vraiment que durant la décennie précédant sa mort.

D’après ce parcours biographique qui témoigne d’une carrière marquée par un fort engagement dans la vie artistique parisienne, la série des mises en scène semble avoir été réalisée au cours des quinze années de sa collaboration avec Jean Balladur4, période où ses expositions se raréfient. À l’aune de ces éléments, une mélancolie se dégage de ces dispositifs conçus pour mettre en situation ses propres œuvres, destinées pour être vues mais confinées entre les murs de son atelier. En prenant pour support des images de magazines – un média associé à la visibilité –, Selim crée une tension entre l’acte de rendre perceptible et la réalité d’un effacement. Ce choix excède la seule dimension esthétique : il met en crise la position de l’artiste face à sa propre reconnaissance. Que signifie créer lorsque l’œuvre, vouée au regard, demeure captive de l’atelier ? Cette série apparaît comme une mise en scène spéculative où Selim, à travers l’image imprimée, ouvre un passage entre l’isolement de l’atelier et une visibilité rêvée. Ce ne sont pas de simples interventions de peinture sur papier glacé, mais des scénarios où l’œuvre cherche à s’inscrire dans un espace autre, à dialoguer avec un monde qui lui demeure inaccessible. Ce geste, à la fois affirmation et retrait, porte en lui la tension d’un artiste confronté à la double épreuve de l’attente et d’une reconnaissance incertaine. À travers ce geste, il interroge la place des artistes dont les œuvres essentielles restent occultées et en dehors des récits de l’histoire de l’art. L’artiste, tout en maintenant une posture d’humilité et de discrétion qui lui était propre, soulève la question de cette invisibilité : pourquoi certains actes artistiques, pourtant porteurs de sens, échappent-ils à la reconnaissance qui leur serait due ? Cette série, en apparence silencieuse, devient alors un espace où se dessinent les contours des mécanismes d’inclusion et d’exclusion qui régissent l’histoire de l’art.
Ce questionnement, essentiel pour comprendre l’histoire de l’art moderne, a été au cœur des travaux du séminaire du Groupe de recherche sur les arts visuels au Maghreb et au Moyen-Orient, XIXe–XXe siècle (ARVIMM) de 2020 à 20225. Sous le thème « L’art abstrait, Paris et les artistes du Maghreb et Moyen-Orient », le séminaire a reçu de nombreux spécialistes pour réfléchir à l’effacement des artistes du Maghreb et du Moyen-Orient de la mémoire de l’histoire de l’art moderne et de l’abstraction alors qu’ils y ont participé. Comment expliquer cette mise à l’écart ? S’agit-il d’un effacement, d’un oubli ? Dans quelle mesure l’historiographie de l’art moderne a-t-elle participé à l’invisibilisation des artistes de la région ? Et plus largement, que révèle cette absence sur les rapports de domination qui structurent la réception des artistes et des œuvres, et la production des récits artistiques ? Le séminaire a anticipé l’exposition « Présences arabes6 », qui s’est tenue deux ans plus tard au Musée d’Art Moderne de Paris, confirmant ainsi l’importance et la nécessité d’approfondir les recherches amorcées. Certaines interventions et entretiens du séminaire ont été rassemblées ici, sous un angle un peu différent, c’est-à-dire en proposant de considérer Paris non comme une force centripète, diffusant ses avancées artistiques, ni comme une force centrifuge, absorbant les artistes venus du monde entier, mais comme une capitale parmi d’autres où se jouent des circulations, des négociations et des inégalités de reconnaissance. Cette approche permet de repenser l’idée même de l’École de Paris introduite en 1925 par le critique d’art André Warnod7, qui, ni style ni mouvement, demeure une catégorie floue pour l’histoire de l’art. Elle caractérise avant tout un phénomène de migration artistique, où la capitale française devient un carrefour culturel.
Ainsi, son hégémonie dans le récit de l’art moderne ne relève pas d’une évidence naturelle, mais d’un processus construit par des discours critiques, des institutions et des structures de légitimation qui ont façonné une cartographie sélective des avant-gardes. En structurant les catégories de reconnaissance et d’exclusion, ce récit a largement marginalisé certaines trajectoires, notamment celles des artistes du Maghreb et du Moyen-Orient qui appellerait à produire un contre-récit de l’École de Paris. Il ne s’agit pas seulement de corriger un oubli ou de restaurer des présences occultées, mais d’analyser les mécanismes qui ont façonné ces absences et de questionner les modalités de construction d’un récit différent. L’histoire de l’art moderne ne s’écrit pas uniquement à travers les œuvres produites, mais aussi à travers les choix de visibilité opérés par la critique, les musées et les historiens. En ce sens, la place assignée à ces artistes ne relève pas d’un simple manque de reconnaissance : elle témoigne de logiques plus profondes d’inclusion et d’exclusion, où l’originalité formelle a parfois été reconnue tout en étant reléguée à une altérité culturelle. Revenir sur ces parcours, c’est aussi repenser la modernité artistique au-delà du cadre d’une diffusion occidentale. Plutôt que de l’envisager comme un modèle linéaire, diffusé depuis un centre vers des périphéries, ce numéro propose d’y voir un phénomène global, apparu simultanément dans différents contextes8, où circulations, échanges et adaptations réciproques redéfinissent les dynamiques de création. Cette perspective invite à dépasser une lecture hiérarchisée de l’histoire de l’art moderne pour mieux saisir la pluralité des trajectoires et des formes d’innovation qui ont émergé en dehors du cadre occidental. Relire ces histoires ne se limite pas à interroger les catégories de perception et de classification qui ont assigné ces artistes à une altérité culturelle. Cela ouvre surtout la voie à une réécriture plus polycentrique de l’histoire de l’art moderne, où les avant-gardes ne sont plus envisagées sous le prisme d’un centre et de ses marges, mais comme le produit d’un réseau d’échanges et d’influences réciproques.
L’histoire de l’abstraction d’après-guerre a longtemps ignoré les artistes du Maghreb et du Moyen-Orient, malgré leur présence active à Paris. L’étude des archives et des réseaux d’exposition permet de mettre en lumière ces trajectoires oubliées et de remettre en question les récits historiographiques établis. Dès les premières chroniques9, en effet, la mise en récit de l’abstraction est marquée par l’oubli de ces artistes, un oubli qui va structurer durablement la réception de l’abstraction d’après-guerre. À travers ces ouvrages, se dessine une communauté artistique majoritairement occidentale, composée d’Européens, de Nord-Américains, mais aussi de Sud-Américains et de quelques rares artistes du Maghreb et du Moyen-Orient. Il ne ressort que très peu de noms : Jean-Michel Atlan, Serge Rezvani, Selim Turan10. Ces sources critiques et historiographiques ont longtemps fait référence et cadré le récit de l’histoire de l’art moderne abstrait, en définissant ses figures majeures, ses courants dominants et ses territoires légitimes. Leur influence a façonné une historiographie où certaines trajectoires ont été consacrées, tandis que d’autres sont restées en marge ou ont été occultées. Mais ce phénomène opère également à l’échelle de la réception des artistes, qui à l’époque était bien souvent marquée par l’orientalisme. Plusieurs articles de ce numéro le signalent : Clotilde Scordia au sujet de Nejad et Zouina Ait-Slimani au sujet de Jamil Hamoudi11. Adila Laidi-Hanieh va plus loin et démontre, dans son article sur Fahrelnissa Zeid12, combien les discours orientalistes formulés à l’époque continuent d’influencer la réception critique actuelle de son œuvre.
Pourtant cette marginalisation historiographique ne signifie pas absence. Dès que l’on explore dans les documents d’archives, pourtant, « on les voit, ils sont là », selon les mots de l’historienne et anthropologue de l’art Kirsten Scheid lors d’une discussion, il y a plusieurs années, à propos de ses recherches dans les archives de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA)13. Cette phrase résume tout le paradoxe du phénomène qui a lancé le travail du séminaire : ces artistes existaient, se formaient, exposaient, participaient aux débats de leur époque, mais leur présence n’a pas été intégrée dans les récits. Il suffit pourtant d’ouvrir des boîtes d’archives en lien avec les espaces de légitimation des abstractions d’après-guerre pour les repérer. Or, ces archives révèlent leur présence dans des manifestations majeures du paysage artistique parisien, telles que le Salon des Réalités Nouvelles, le Salon de Mai, le Salon Comparaisons ou encore l’éphémère Salon d’Octobre créé par Nejad, qui constituaient des rendez-vous incontournables pour les artistes des différentes tendances contemporaines. Le Salon des Réalités Nouvelles14, par exemple, recevait de nombreux artistes internationaux. Les chiffres de participation en 1946 et 1956 témoignent de la dimension de cet événement : le nombre d’exposants passe de 88 à 224, avec un pic à 357 en 1950. Au sein de la programmation, la présence des artistes du Maghreb et du Moyen-Orient est certes petite mais bien réelle avec deux à sept artistes selon les éditions. Parmi eux, on retrouve quelques habitués, comme Selim Turan, qui participe à quatre éditions, Georges Koskas et Nejad, présents à trois reprises, ou encore Jamil Hamoudi, Fahrelnissa Zeid, Shafic Abboud, Saloua Raouda Choucair et Mübin Orhon, dont la présence se limite à une ou deux participations15.
Cependant, retracer l’insertion de ces artistes dans les galeries parisiennes est, quant à lui, moins aisé en raison de leur économie précaire. Lors du séminaire, l’historienne Julie Verlaine16 a éclairé la difficulté de ces sources, tout en confirmant la présence de ces artistes, dont Fahrelnissa Zeid et Nejad. Au sein du marché de l’art parisien, les galeries consacrées à l’abstraction gestuelle, à laquelle sont rattachés la plupart des artistes traités dans ce numéro, représentaient une petite part (une quinzaine sur 400)17. Souvent jeunes et de petite taille, elles pratiquaient le commerce d’œuvres principalement par le biais du dépôt-vente. Leur programmation était dense, avec des expositions courtes qui se succédaient rapidement. Les catalogues étaient rares, remplacés parfois par un simple carton d’invitation. Elles servaient souvent de tremplin, accueillant les premières expositions d’artistes étrangers nouvellement arrivés à Paris. C’étaient également des lieux de sociabilité très informelle où se croisaient les réseaux par affinité. L’intégration plus formelle des artistes se faisait souvent par le biais d’intermédiaires qui proposaient des innovations picturales. Jacques Kober18, par exemple, a organisé à la galerie Maeght une série d’expositions intitulées « Les mains éblouies », où l’on retrouve Nejad et Rezvani. Charles Estienne, dont la proximité avec Nejad est relatée dans l’article de Clotilde Scordia, a orchestré de nombreuses expositions collectives ou contre-salons à la galerie Allendy et à la galerie de Babylone, tels que le Salon de la jeune école de Paris, où il mettait en avant de nombreux artistes étrangers. Pierre Gaudibert, quant à lui, comme le relate Alia Nakhli, joue un rôle important auprès des artistes tunisiens. Pour ces intermédiaires, il était crucial d’inclure des artistes étrangers dans leur portefeuille, au risque de noyer les artistes dans la masse et affaiblir leur originalité. Malheureusement, peu d’archives subsistent de ces petites galeries, en partie à cause de la nature informelle de leur sociabilité. Ainsi, pour obtenir une photographie réaliste de l’insertion des artistes qui nous intéressent dans le milieu des galeries et le marché de l’art à l’époque, le travail de recherche monographique, artiste par artiste dans les archives personnelles, s’avère indispensable. Sur d’autres terrains, où les archives sont moins accessibles ou plus lacunaires, comme en Tunisie, ce travail s’effectue, comme le fait Alia Nakhli pour restituer la vie artistique de l’époque et retracer les trajectoires des artistes, à partir d’un long travail de dépouillement de la presse. Ainsi, si l’exploration des archives et l’étude des réseaux d’exposition permettent de faire émerger une présence longtemps occultée, elles révèlent aussi les limites des récits établis et la nécessité d’un renouvellement historiographique.
Le travail de redécouverte amorcé à partir des années 2000, à travers des publications et des expositions, témoigne d’un intérêt croissant pour ces artistes et pour l’enrichissement des récits de la modernité. Cependant, la relecture de leur trajectoire, au-delà d’une simple mise en lumière, engage un questionnement plus large sur les cadres historiographiques eux-mêmes, sur les catégories et les territoires de l’art moderne. C’est dans cette perspective que s’inscrivent les recherches actuelles, qui visent à réintégrer ces artistes dans une histoire globale de l’abstraction, en réévaluant les circulations, les échanges et les dynamiques de légitimation qui ont structuré le champ artistique de l’après-guerre. En 2024, le Musée d’Art Moderne de Paris (MAM) a présenté l’exposition « Présences arabes. Art moderne et décolonisation. Paris, 1908–198819 » dont un des objectifs était précisément de remédier à ces oublis historiographiques évoqués à plusieurs reprises dans les textes du catalogue20. Les propos de la conservatrice et commissaire de l’exposition Odile Burluraux sont en ce sens assez significatifs. Dans son texte, elle se propose de montrer « l’intégration sporadique21 » des artistes arabes dans les institutions muséales parisiennes. Concernant le MAM elle souligne, par exemple, que sous la direction de Jacques Lassaigne (conservateur entre 1971 et 1978), arabisant, connaisseur de la région et soutien important pour certains artistes tels que Ramsès Younan ou Jamil Hamoudi, seulement trois sur les cent dix expositions organisées sous sa direction touchent directement à la région : une dédiée à l’art irakien contemporain (1976), une deuxième, consacrée à la calligraphie islamique classique, intitulée « Calligraphie arabe : œuvres du musée de Damas » (1977) et une troisième (1978) consacrée à l’art qatari22. Ses efforts ont néanmoins contribué à enrichir les collections du MAM d’un certain nombre d’artistes dont Shafic Abboud, Farhrelnissa Zeid, Michel Basbous, Abdallah Benanteur et Ahmed Cherkaoui23. Cela ne change pas, toutefois, la problématique principale : « la question de l’effacement des artistes arabes majeurs reste posée. Malgré leur présence à Paris, et bien qu’ils aient été repérés, invités à exposer, chroniqués, collectionnés, il reste difficile pour eux d’entrer dans l’histoire de l’art officielle24 ». Cette explication, qui relie l’exclusion contemporaine, se référant au réseau artistique de l’époque de l’École de Paris, et celle plus tardive concernant le processus historiographique de la discipline25, semble néanmoins révéler d’autres limites. En effet, ne serait-il ne serait-il plus opportun de souhaiter, en France mais aussi ailleurs, un élargissement des questionnements et du corpus abordé par la discipline au lieu de se limiter à constater que les artistes peinent à l'intégrer ? Les propos de Morad Montazami, aussi commissaire de l’exposition, s’avèrent en revanche davantage proactifs. Il choisit, en effet, de qualifier les gestes inhérents à ce projet curatorial comme relevant à la fois d’un acte de « réparation » et « d’émancipation26», dans le but de souligner les logiques transnationales qui ont contribué à façonner le caractère cosmopolite de l’École de Paris et, plus largement, de la modernité artistique. Une lecture qui s’inscrit dans une optique de plus en plus répandue de décentralisation et dont le mérite est d’ouvrir une brèche dans la vision d’un héritage colonial qui opposerait le « centre » à la « périphérie ».
La réflexion sur les logiques d’invisibilisation qui ont concerné les artistes du Maghreb et du Moyen-Orient ayant contribué à l’École de Paris, semble donc conduire vers des problématiques beaucoup plus larges et essentielles qui, de toute évidence, dépassent la seule question du corpus. Bien qu’en soi la notion « d’école » fasse référence à un cadre temporellement et géographiquement restreint, ce qui, dans le cas spécifique de Paris, souligne Da Costa, se décline au pluriel, avec différentes écoles27, il est possible de remarquer que ce phénomène d’exclusion s’apparente, de manière plus large, au manque de reconnaissance et de considération qui a concerné la place des artistes extra-occidentaux dans le récit de la modernité artistique. Ce récit, loin d’être neutre ou universel, a été historiquement façonné depuis des centres de légitimation situés en Europe et en Amérique du Nord. Il a été produit non seulement par les institutions muséales et académiques occidentales, mais aussi par les discours historiographiques façonnés par des dynamiques de pouvoir qui ont conféré à l’Occident une place exclusive dans l’invention et la définition du « moderne ». Comme l’a démontré Rasheed Araeen, la modernité artistique occidentale s'est constituée dans un contexte d’expansion coloniale et impériale, qui a systématiquement exclu les contributions des artistes africains et non occidentaux de l’histoire officielle du modernisme, les maintenant en dehors du récit dominant sans reconnaissance de leur apport formel et conceptuel28. Cette hégémonie du récit occidental de la modernité repose sur un partage inégal de l’autorité narrative qui évoque la notion développée par Anibal Quijano et Walter Mignolo de « colonialité du savoir29 ». Dans ce cadre, l’Occident ne se contente pas d’être l’origine de la modernité, il en définit les critères, les temporalités et les hiérarchies, reléguant les artistes extra-occidentaux à un « ailleurs » de la modernité – souvent perçus comme en retard, en dérivation ou en imitation. Comme le souligne Partha Mitter, les modernités produites dans les ex-colonies ou les marges géographiques ne sont pas moins modernes, mais elles le sont autrement, en intégrant des traditions locales, des réappropriations hybrides ou des postures critiques vis-à-vis du canon occidental30.
Dans cette perspective, l’École de Paris, souvent présentée comme un espace cosmopolite et accueillant, apparaît plutôt comme un laboratoire des tensions entre ouverture formelle et fermeture symbolique. Les artistes du Maghreb ou du Moyen-Orient y ont bien été présents, actifs, parfois reconnus ponctuellement, mais rarement considérés comme des figures centrales du modernisme. Ce paradoxe illustre la manière dont l’universalité supposée du récit moderniste masque une géopolitique de l’invisibilité, que l’on ne peut déconstruire qu’en reconfigurant les cadres de pensée eux-mêmes. Comme le souligne la critique Katia Yezli citant Sam Bardaouil31, dans un récent article qui réactive cette généalogie de textes précurseurs : « il ne s’agit pas d’opérer une inclusion dans un canon ou un récit préexistant, prétendument universel et immuable, mais plutôt de repenser le cadre qui en définit encore les règles et les limites32 ».
Autrement dit, qu’il s’agisse du mythe eurocentré de la modernité, d’ailleurs largement analysé et déconstruit par les études décoloniales, ou du récit qui a façonné le mythe de l’École de Paris, l’enjeu n’est pas seulement d’ouvrir le spectre des artistes qu’y ont contribué, mais plutôt de faire ressortir les logiques à l’origine de cette narration et d’en formuler une nouvelle qui mette à l’œuvre un paradigme différent. Par exemple, peut-on concevoir un récit de la modernité artistique qui, au lieu de s’inspirer du vieux modèle du centre et de la périphérie, où la référence spatiale traduit des dynamiques de pouvoir, tirerait parti plutôt de la notion de mouvement, des déplacements et des circulations et proposerait la reconnaissance ainsi que la valorisation des savoirs artistiques de la région qui nous intéresse ici ? Les mots de Catherine Grenier à ce sujet proposent une représentation de la modernité assez intéressante et justement relevée par Yezli qui insiste notamment sur la notion de mouvement et de circulation du savoir et des pratiques : « la modernité n’est pas partie d’un centre, qui aurait essaimé vers des périphéries. Ce sont plutôt des flèches qui sont allées absolument dans tous les sens. Il est important de rappeler cette complexité33. » Cette image croise la lecture proposée par Kaelen Wilson-Goldie dans son article où elle associe la logique géographique de la diaspora libanaise, sur un mode multidirectionnel, le cosmopolitisme de cette société et les trajectoires au sein de la modernité artistique de Saliba Douaihy34, Shafic Abboud et Saloua Raouda Choucair qui, si elles croisent Paris, n’y convergent pas toutes.
L’anthologie critique Modern Art in the Arab World, Primary Documents parue en 2018 à l’initiative du Museum of Modern Art (MoMa) de New York est certainement une référence importante pour les études de la modernité dans la région et rend justice à cette complexité. En s’appuyant sur une recherche documentaire remarquable, cet ouvrage montre bien « how modern art relates to the abundant visual and cultural traditions of the broad sections of the Middle East and North Africa that constitute the modern Arab world35». Ainsi, l’idée du modernisme se révèle non seulement centrale, mais un véritable projet global auquel les artistes et les critiques de la région ont largement contribué. Enfin, les travaux de Silvia Naef, dont l’ouvrage À la recherche d’une modernité arabe,36 apportent une contribution essentielle à l’histoire de la modernité artistique dans la région et permettent de saisir les enjeux du projet esthétique original qui se développe après la Seconde Guerre mondiale à l’œuvre d’artistes, écrivains et intellectuels afin de créer et de penser un langage visuel de la modernité.
Dans cette même optique, serait-il possible d’avancer qu’une telle lecture de la modernité nous conduise à appréhender autrement l’École de Paris, en considérant son cosmopolitisme non pas comme une dynamique artistiquement et politiquement centripète, mais plutôt comme la résultante des trajectoires qui l’ont traversée et qui sont liées aux développements artistiques et culturels de la région ? Une telle idée, en réalité, a déjà été formulée par Laurence Bertrand-Dorléac, pour qui l’École de Paris, loin de se définir par un ancrage strictement national ou ethnique, pouvait « à tout moment légitimer un groupe – et juste après un autre37 ». Prendre en compte la contribution des artistes étrangers, et plus particulièrement dans le cadre de ce dossier, des artistes issus du « monde arabe » ou du « monde turc » revient ainsi à « pluralise(r) la généalogie d’une pratique38 », c’est-à-dire à revoir l’histoire de l’abstraction, longtemps perçue comme étant avant tout liée à la modernité occidentale.
Dans cette perspective, plusieurs projets de recherche récents, ainsi que des expositions, ont souligné l’importance de rendre visibles ces trajectoires artistiques, contribuant ainsi à une réévaluation des récits historiographiques. Le projet Reg-Arts (2021–2024), fondé sur les registres d’inscription de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts (ENSBA), a permis de constituer une base de données des 12 000 étudiants des sections peinture et sculpture entre 1813 et 196839. Cette base de données réalisée dans le cadre du projet nous offre une cartographie précieuse permettant de reconstruire le lieu de provenance des élèves de l’école et finalement de tracer la variété de leurs origines. Parmi eux, la période allant de 1946 à 1968 permet d’identifier quatorze étudiants venus d’Algérie, de Tunisie, de Turquie, d’Irak et d’Iran40. Étudier aux Beaux-Arts offre une formation prestigieuse, mais cette institution, en tant qu’actrice clé de la diplomatie culturelle et du soft power41, joue également un rôle dans l’insertion des artistes étrangers dans les réseaux artistiques et institutionnels français. Pour leur part, les travaux récents menés à partir des archives de l’Académie André Lhote42, active entre 1925 et 1962, ont permis de mettre en lumière non seulement la présence de figures comme Jalil Ziapour43, mais aussi l’institutionnalisation des relations entre l’académie et certains pays de la région comme la Turquie (trente-deux étudiants du milieu des années 1920 au milieu des années 1950) ou l’Égypte (dix-neuf étudiants)44. Ces travaux ont pu démontrer un aspect occulté par le récit moderniste de l’art : son rôle de carrefour des modernités, attirant de nombreux étudiants étrangers et s’inscrivant ainsi dans une dynamique de circulation artistique internationale.
Du côté des expositions, « L’art migre à Paris et nulle part ailleurs (1945–1972)45 » présentée en 2023 au Musée national de l’Histoire de l’immigration sous le commissariat de Jean-Paul Amelin, développe une thématique intéressante. L’exposition présente une sélection de vingt-quatre artistes venus travailler et exposer dans la capitale dont Shafic Abboud (Liban) et Ahmed Cherkaoui (Maroc). Malgré le titre qui reste exclusif en faveur de la capitale française46 celle-ci est au moins présentée comme appartenant à une « constellation de capitales artistiques47 ». Le thème de la migration des artistes porté par l’exposition constitue l’aspect le plus pertinent et une porte d’accès essentielle pour appréhender l’École de Paris, qui n’était pas un mouvement artistique homogène ou figé, mais un phénomène cosmopolite et dynamique. L’aborder par le prisme de la migration permet de le comprendre en tant que traversé par des influences culturelles et artistiques extérieures48. Cela est confirmé aussi par un article de Fanny Drugeon, « Paris cosmopolite ? Artistes étrangers à Paris, parcours 1945–198949 », qui souligne un élargissement important tant sur le plan disciplinaire que méthodologique. D’après elle, l’étude de la présence des artistes étrangers à Paris, loin de se limiter à l’histoire sociale de l’immigration, se situe précisément « au croisement de l’histoire de l’art et de l’histoire culturelle50 ». Prendre en compte le caractère international de l’École de Paris conduit avant tout à la « déconstruction partielle d’un modèle historiographique », dont les retombées sont, pour le thème de ce dossier, particulièrement significatives. D’après Drugeon, il est possible de les déplier en deux axes de recherche : le premier, d’ordre historiographique, vise à produire « une relecture au niveau mondial de la vision parfois américano-centrée de l’histoire de l’art d’après-guerre » ; et le deuxième, touchant à des questions d’ordre culturel et artistique, revient à interroger « les transferts culturels dans une période féconde, allant de l’après Seconde Guerre mondiale à l’explosion du bloc soviétique, marquée par la décolonisation51. » Dans les deux cas, on observe une influence importante des études décoloniales développées au tournant des années 2000 à la suite de la mouvance postcoloniale inaugurée dans le monde anglophone par les textes d’Edward Saïd sur l’orientalisme52 comme ceux de Stuart Hall sur le racisme53.
Si on se penche sur le catalogue de l’exposition « L’art migre à Paris et nulle part ailleurs54 », il est intéressant de noter que la réception de l’École qui en ressort est loin d’être homogène. L’ensemble très vaste de sources textuelles produites par les critiques et les artistes permet de reconstituer aussi le récit qui a façonné la notion d’« École de Paris » à partir de sa première nomination en 1925, jusqu’à son déclin, signalé dès les années 1950 avec l’émergence de New York sur la scène artistique. Parmi les textes, on trouve également des voix « dissonantes » qui avancent un portrait moins attractif et populaire de la capitale française. Ameline rappelle ainsi comment, en 1953, le critique Julien Alvard décrit la relation entre les artistes et la capitale française : « C’est qu’en effet les artistes ne viennent pas chercher à Paris une quelconque règle d’or. Ils s’y fixent moins qu’autrefois, il se déplacent beaucoup, se produisent un peu partout dans le monde et ce n’est pas forcément Paris qui les découvre55 ». Cette relation moins fixe et centralisée à Paris trouve un écho plus sombre dans les mots de Georges Henein, cité par Montazami, pour décrire cette ville comme un « simulacre d’accueil, de brassage, de laboratoire56». Parmi les artistes étudiés dans ce numéro, le manque d’accueil est patent : Jamil Hamoudi, selon Zouina Aït-Slimani, se retrouve exclu des cercles surréalistes pour avoir exprimé un désaccord esthétique ; dans son entretien avec Ekin Akalin et Perin Emel Yavuz, le collectionneur Demir Fıtrat Onger raconte comment les artistes turcs qui se réunissaient au café du Gymnase ont été beaucoup déconsidérés en raison de leur mode de vie bohème, souvent dans une grande précarité, et parfois même en raison de leurs origines ; de la même façon, Samir Abdallah, dans son entretien avec Claudia Polledri et Perin Emel Yavuz, se remémore comment les portes se sont refermées devant son père Hamed Abdalla à son retour en France, autour de 1967 ; c’est enfin l’isolement douloureux de Shafic Abboud relaté par Kaelen Wilson-Goldie. Ces expériences difficiles contrastent, par exemple, avec la perception de Herta Wescher d’après qui les artistes « sont attirés par l’ensemble des mille et une aventures artistiques possibles qui les attendent ici. Cependant, même ceux qui s’y installent seulement parce que la lumière de Paris ne se trouve nulle part ailleurs, reçoivent, en y travaillant, une formation souvent décisive57. » Dans ce numéro, seul Hajeri, artiste plus tardif que ceux traités dans le dossier, dont Nadia Chalbi retrace le parcours, fait une rencontre décisive avec Paris qui sera le lieu de sa révélation en tant qu’artiste. Notre propos ici n’est évidemment pas de retracer l’ensemble des discours qui ont façonné, dans un sens ou dans l’autre, le portrait de l’École. Il reste que l’oxymore proposé par Julien Alvard – une ville « ouverte jusqu’à l’indifférence », où la capitale « fait bien plus son profit de ce qu’on lui vient apporter à domicile qu’il ne dispense les bienfaits de son enseignement » – offre sinon une contre-histoire du moins une lecture critique qui fait basculer le vieux paradigme basé sur l’attraction du « centre » sur la « périphérie ». Une lecture confirmée par les mots d’Alicia Penalba, pour qui les artistes étrangers s’avèrent « essentiels à la vitalité de Paris, car ils sont devenus ceux qui rendent possible la rupture avec un passé révolu58 ».
Autrement dit, au-delà de la simple critique des limites d’un regard eurocentrique, il nous apparaît que l’approche de l’École de Paris, adoptée à travers le prisme de l’histoire sociale et culturelle et de la question migratoire, engendre des retombées significatives, non seulement sur le plan historique, mais aussi artistique et esthétique. Elle modifie de manière substantielle la perception à la fois de l’École et de la modernité. Plutôt que d’analyser l’œuvre des artistes originaires d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine à travers le prisme de l’influence ou de l’imitation59, il convient de privilégier l’étude des connexions, des hybridations et des formulations originales de l’abstraction, en tenant également compte de l’héritage artistique propre à ces artistes. En somme, cela permet de faire ressortir davantage la pluralité de généalogies artistiques que les trajectoires des artistes permettent d’étudier. Enfin, la notion de trajectoire conduirait à prendre en compte aussi bien les choix de se déplacer vers Paris60, mais aussi les gestes de résistance et les départs, aussi pour des raisons politiques et d’engagement de plusieurs artistes, qui s’avèrent tout aussi centrales.
Les éléments présentés jusqu’ici s’inscrivent dans une démarche historiographique visant à proposer une lecture moins centrée sur l’Occident de l’École de Paris. Dans cette perspective, la contribution des artistes arabes et moyen-orientaux et les évolutions qu’ils apportent à la notion d’abstraction doivent être analysées non seulement en relation avec les mouvements et avant-gardes occidentales, mais aussi, et surtout, à travers le prisme du processus de modernisation dans la région. Le mouvement de la hurufiyya, auquel plusieurs artistes ayant séjourné à Paris, tels que Jamil Hamoudi, Shakir Hassan Al Said61 et Hamed Abdalla (pour n’en citer que quelques-uns), ont largement contribué, s’inscrit dans une réflexion artistique et intellectuelle sur la modernité. Ce mouvement cherche à tracer une nouvelle voie, entre la nécessité de rompre avec l’art académique d’une part, et la volonté de négocier avec la tradition artistique locale, y compris celle de l’époque préislamique, d’autre part. L’effort consiste à donner forme à un nouveau vocabulaire visuel qui réponde à des nécessités culturelles, artistiques et aussi politiques spécifiques, le processus de modernisation étant souvent lié aussi à une volonté d’émancipation et de recherche de définition d’une identité nationale propre. On comprend alors en quel sens il est opportun de pluraliser la généalogie de la peinture abstraite moderne ainsi que le discours qui en rend compte en dehors d’un cadre culturel exclusif.
Récemment, plusieurs expositions ont essayé d’approfondir le thème de l’abstraction comme expression de la modernité dans la région afin de l’intégrer dans une perspective plus globale. En 2020, l’exposition itinérante « Taking Shape: Abstraction from the Arab World, 1950s–1980s62 » sous le commissariat de Lynn Gumpert et Suheyla Takesh présente un corpus de quatre-vingt-dix œuvres (peintures, sculptures, dessins et gravures) d’artistes originaires d’Algérie, d’Égypte, d’Irak, de Jordanie, du Koweït, du Liban, du Maroc, de Palestine, du Qatar, du Soudan, de Syrie, de Tunisie et des Émirats arabes unis (EAU) et sélectionnées à partir de la collection de la Barjeel Art Foundation, basée à Sharjah (EAU). L’exposition met en avant les mouvements abstraits qui se sont développés dans la région à une époque cruciale où les artistes étaient aux prises avec des questions politiques d’identité, des conflits régionaux et les processus de décolonisation. Le propos de l’exposition est de montrer que les artistes ont formulé des propositions originales porteuses d’influences multiples, allant des traditions esthétiques vernaculaires locales à l’art moderne occidental, et qui pour cela ne doivent pas être comprises au seul prisme de modèles esthétiques occidentaux. Cette question est omniprésente dans tous les parcours d’artistes restitués dans ce numéro, que ce soit chez Hamoudi, Nejad, Choucair, Abboud, Douaihy, Zeid. La réinterprétation et la transformation des formes issues de leurs traditions culturelles et artistiques respectives fait partie de leurs recherches plastiques pour un langage moderne. C’est dans ce contexte plus large qu’il convient d’inscrire le rôle de Paris, c’est-à-dire dans la constitution de réseaux et d’échanges, de zones de passage où « les notions de circulation et de transferts culturels prennent toute leur ampleur63». Enfin, c’est aussi dans ces termes qu’il faudrait lire les contaminations entre l’art abstrait et l’usage de la lettre arabe qui a si profondément marqué l’œuvre de plusieurs artistes issus de la région du Maghreb et du Moyen-Orient qui ont fréquenté l’École de Paris.
En 2021, le Louvre Abou Dhabi en collaboration avec le Centre Pompidou et France Muséums proposent précisément une exploration de ce lien avec l’exposition « Abstraction et calligraphie : voies d’un langage universel64 » dont l’approche s’avère beaucoup plus large en termes géographiques allant de l’Europe vers la Chine en passant par le monde arabe et l’Iran, et aussi temporels, car les artistes exposés vont de la période moderne à l’art contemporain. La finalité dans ce cas est de retracer les liens entre calligraphie et geste pictural ainsi qu’une mise en regard critique de l’art occidental, oriental et extrême oriental.
La même année, le Centre Pompidou aborde le thème de l’abstraction dans une perspective historique et globale, mais en mettant en avant la question du genre avec l’exposition « Elles font l’abstraction65 ». Le parcours présente l’œuvre d’une centaine d’artistes, dont celle de la Libanaise Saloua Raouda Choucair (1916–2017) et de Fahrelnissa Zeid, et aborde une thématique dont l’importance a été soulignée aussi par Nadia Radwan notamment au sujet du monde arabe, c’est-à-dire : « la nécessité de penser des méthodes et des historiographies alternatives permettant l’écriture d’une histoire de l’art plus inclusive66 ». La difficulté pour les femmes artistes est, en effet, double car, à partir des années 1950, explique Radwan, le risque est celui d’un double effacement : « le fait que ces artistes étaient à la fois femmes et arabes a néanmoins entraîné leur double exclusion du canon traditionnel et, en particulier, du milieu de l’art abstrait67 ». À cela s’ajoutent les difficultés d’élaborer une lecture critique de leur œuvre qui, comme le montre le texte d’Adila Laïdi-Hanieh au sujet de Fahrelnissa Zeid, est davantage exposée aux présupposés orientalistes.
Enfin, sans vouloir être exhaustif, ce retour des expositions les plus récentes sur le thème de l’abstraction témoigne de l’actualité des problématiques portées par ce dossier ainsi que de la complexité des enjeux soulevés sur le plan artistique, historiographique et du point de vue des études culturelles. Tout en gardant son image de creuset avant-gardiste et cosmopolite, l’École de Paris, bénéficie néanmoins de la prise en compte de cet hors champ représenté par ces approches de l’abstraction et du discours global sur la modernité, dont les trajectoires des artistes présentées par les textes de ce dossier nous offrent un témoignage passionnant.
La révision des récits historiographiques traditionnels sur l’École de Paris s’avère essentielle pour mieux comprendre l’enrichissement et la transformation des concepts de modernité et d’abstraction, notamment grâce aux contributions des artistes étrangers, en particulier ceux issus du Maghreb et du Moyen-Orient. Les textes réunis dans ce numéro contribuent à une lecture plus nuancée et plurielle de cette école, mettant en lumière des trajectoires artistiques souvent oubliées. À travers ces analyses, ce numéro espère participer au renouvellement de l’histoire de l’art moderne, en soulignant les échanges et les influences réciproques entre l’Occident et d’autres régions du monde. Ces contributions permettent ainsi de repenser les dynamiques cosmopolites de l’École de Paris et, au-delà, de la modernité.
Dans cette perspective, Kaelen Wilson-Goldie se distingue par son approche fine du cosmopolitisme par le prisme de la diaspora libanaise pour déconstruire la dichotomie traditionnelle entre centre et périphérie. En analysant les parcours de trois artistes majeurs – Saliba Douaihy, Shafic Abboud et Saloua Raouda Choucair, elle montre des relations très différentes à Paris, remettant en question sa centralité au profit de l’importance des parcours individuels. En voyageant entre le Liban, Paris et d’autres grandes villes internationales, ces artistes réinventent l’abstraction en fusionnant des éléments locaux, comme la calligraphie arabe et la géométrie islamique, avec les avant-gardes occidentales. Cette démarche s’inscrit dans une vision cosmopolite qui dépasse les influences unilatérales, valorisant un dialogue interculturel non hiérarchique et remettant en question les récits traditionnels de l’histoire de l’art. Le cosmopolitisme est ainsi conçu comme un modèle d’échanges artistiques qui ne se limite pas aux dynamiques de domination ou de transfert de l’Occident vers le reste du monde, mais favorise une fertilisation croisée des cultures. Dans une société cosmopolite et diasporique comme le Liban, l’abstraction émerge comme un langage naturel, apte à transcender les frontières. Elle apparaît ainsi comme le langage d’une modernité globale. Loin de se limiter à une rupture avec le passé, la modernité apparaît comme un processus de réinterprétation, où l’art abstrait offre à ces artistes la possibilité d’élargir leur champ d’expression et de définir un rapport au monde. Dans cette nouvelle cartographie de l’art moderne à laquelle nous invite Wilson-Goldie, les repères traditionnels se réorganisent en plaçant Beyrouth aux côtés de Paris et New York comme centre artistique.
L’une des tâches essentielles des historiens de l’art qui travaillent à la réévaluation de l’art moderne dans son pluralisme consiste à déconstruire les stéréotypes orientalistes qui, à travers les époques, continuent d’entraver la réception de l’art et des artistes du Maghreb et du Moyen-Orient. L’analyse d’Adila Laïdi-Hanieh sur l’œuvre de Fahrelnissa Zeid illustre parfaitement cette problématique. L’œuvre de Fahrelnissa Zeid a été largement interprétée à travers un prisme orientaliste depuis ses premières expositions à Paris entre 1949 et 1969. Bien que son travail soit reconnu internationalement, cette réception a souvent limité sa portée en l’associant à des stéréotypes « byzantins » et à une vision figée de l’Orient. Ses liens avec des mouvements avant-gardistes, tels que le D Grubu à Istanbul et la Nouvelle École de Paris, ont tout simplement été négligés. Malgré les avancées des études postcoloniales et décoloniales, la réception critique de l’œuvre de Zeid reste marquée par les lectures culturalistes des années 1950–1960, qui continuent à être reprises dans les musées sans être questionnées. La critique de cette inertie est au cœur de l’article de Laidi-Hanieh. En s’appuyant sur les archives personnelles de Zeid, elle déconstruit les lectures simplistes et réinscrit l’artiste dans une modernité globale. Elle montre comment l’abstraction de Zeid, portée par une nécessité intérieure, ne se nourrit pas des influences extérieures, mais d’un profond désir d’expression personnelle. Loin des attentes et des stéréotypes, son œuvre incarne une recherche constante de singularité, reflet d’une liberté créative et d’une vision unique. C’est ce qui définit véritablement son œuvre, loin des stéréotypes et des attentes. Ainsi, dans cet article exigeant, Laidi-Hanieh revendique la reconnaissance de l’identité artistique de Zeid, soulignant son autonomie en tant qu’artiste.
Plusieurs articles de ce dossier choisissent d’aborder le rapport avec la capitale française et la modernité en adoptant des approches monographiques qui mettent en évidence la richesse et la complexité des trajectoires individuelles. Ces portraits, qui relèvent d’une microhistoire nécessaire pour connaître finement les sources et trajectoires des artistes, apportent un regard précis sur la carrière des artistes en faisant ressortir les choix artistiques et intellectuels qui les ont guidés. Zouina Aït Slimani retrace le parcours de Jamil Hamoudi (1924–2003). Peintre et intellectuel entre Bagdad et Paris, son œuvre artistique mais aussi œuvre intellectuelle en tant que critique, Aït Slimani souligne son rôle essentiel de passeur et de médiateur culturel : comment traduire en arabe la modernité artistique occidentale ? Comment en parler ? La création d’un vocabulaire artistique qui fasse dialoguer abstraction et tradition préislamique s’accompagne chez Hamoudi par une œuvre pédagogique et linguistique qui permet de faire connaître en Irak les notions qui décrivent les courants artistiques occidentaux de l’époque. Pour ce faire, il donne forme ainsi à un « laboratoire théorique où s’élaborent de nouvelles grilles de lecture de la modernité ». À travers le parcours remarquable et fascinant de Hamoudi que l’autrice retrace avec richesse et précision, la notion de modernité émerge en filigrane comme un chantier, une œuvre en construction. Loin de toute notion abstraite, elle devient alors la résultante d’une série de déplacements, surtout par des gestes très concrets qui passent par la création de revues et surtout par la traduction en arabe des mots de la modernité, autrement dit par un travail de « territorialisation68 », pour emprunter cette notion de Deleuze. Nous en retenons que pour parler autrement de la modernité qu’au prisme exclusif de la pensée occidentale, il nous faut non seulement élargir le regard mais aussi bâtir un nouveau vocabulaire.
Clotilde Scordia explore l’œuvre de Nejad Melih Devrim (1923–1995), peintre turc rattaché à l’École de Paris après la Seconde Guerre mondiale. En retraçant son parcours, elle interroge non seulement la place de l’artiste dans les réseaux artistiques parisiens, mais aussi la manière dont son œuvre a été perçue, valorisée puis progressivement effacée du paysage artistique. Nejad incarne une modernité qui mêle des sources byzantines et ottomanes à l’abstraction occidentale. Son parcours illustre les interactions entre cosmopolitisme et héritage culturel, questionnant les catégories souvent rigides de l’histoire de l’art. Si Paris lui offre une reconnaissance initiale, marqué par son engagement dans les cercles artistiques, son œuvre se heurte à une réception ambiguë, façonnée par des lectures orientalistes qui tendent à l’enfermer dans une synthèse entre Orient et Occident, plutôt qu’à la considérer comme une expression pleinement autonome. Scordia met en lumière le rôle déterminant des institutions et du marché dans la visibilité des artistes. Elle souligne combien l’histoire de l’École de Paris a privilégié certains récits, reléguant des figures comme Nejad à la marge. Son article invite ainsi à repenser la modernité sous un prisme plus ouvert, en reconnaissant des trajectoires qui échappent aux catégories établies. Cette réflexion dépasse le cas de Devrim et s’inscrit dans un questionnement plus large : comment les artistes « périphériques » trouvent-ils leur place dans l’histoire de l’art, et à quelles conditions leur modernité est-elle reconnue ?
Dans le texte d’Alia Nakhli, Paris apparaît comme un catalyseur dans l’évolution des artistes d’Afrique du Nord, mais leur modernité commence bien avant leur séjour en métropole. Comme le souligne l’autrice, des artistes tels qu’Edgard Naccache et Néjib Belkhodja entament leur rupture avec l’orientalisme en Tunisie. Paris leur offre une exposition internationale et un accès aux débats sur l’abstraction, mais ne marque pas le début de leur modernité. La capitale devient un point de passage stratégique, facilitant les échanges avec d’autres artistes de la région, des critiques comme Pierre Gaudibert et des événements comme Dix peintres du Maghreb ou Six peintres du Maghreb. Ainsi, Paris joue un rôle de révélateur et d’accélérateur, tout en mettant en lumière une modernité en tension, entre syncrétisme et affirmation identitaire. La question politique apparaît aussi un élément important : Paris offre une plateforme où les idées circulent librement et devient « le berceau du nationalisme tunisien, marocain, algérien et même maghrébin ». Malgré les nombreux échanges auprès du réseau des galeries indépendantes, Nakhli toutefois ne peut que souligner les difficultés des artistes à bénéficier d’une « visibilité réelle » par le milieu artistique parisien.
Ce numéro se termine enfin avec trois textes hors dossier, mais non moins importants : tous les trois partagent une ouverture avec le contemporain, que cela soit par la prise de parole de deux témoins directs ou indirects de l’histoire artistique de Paris : Samir Abdallah, fils du peintre égyptien Hamed Abdalla, et le collectionneur turc Demir Fıtrat Onger, ou par la reconstruction de la carrière de Ahmed Hajeri l’artiste d’origine tunisienne installé à Paris. Les entretiens soulèvent également la question de la transmission de l’héritage artistique dont Abdalla et Onger se font porteurs, mais aussi de l’importance de collecter cette mémoire vivante, ce qui permet d’incarner et de rendre tangibles des trajectoires que parfois on perçoit comme trop lointaines.
D’abord, le choix de mener un entretien avec Samir Abdallah avait, avant tout, l’intention de prolonger les discussions menées dans le cadre du séminaire avec Morad Montazami69 au sujet des archives du peintre Hamed Abdalla. Deuxièmement, cela permettait d’aborder une question à notre avis tout aussi cruciale : comment valoriser l’œuvre d’un artiste, dans ce cas celle d’Hamed Abdalla (1917–1985), et comment la transmettre ? Comment cet héritage est-il perçu aujourd’hui en Égypte et comment circule-il dans la région dans le contexte géopolitique actuel ? En tant que témoin et acteur de l’histoire, Samir Abdallah retrace le parcours de vie de son père, le réseau artistique qui l’a entouré, en Égypte tout comme en France, ainsi que le fort engagement politique qui émerge dans son œuvre picturale. Il en ressort un tableau passionnant où encore les trajectoires qui façonnent son parcours d’artiste décrivent Paris comme un point de ralliement de tensions politiques et où tisser un réseau de solidarité avec le Moyen-Orient, de Damas à Beyrouth, et contribuer la cause palestinienne si essentielle pour le peintre égyptien. Ce sera ce même engagement ainsi que l’alliage si fort dans son œuvre entre art et politique qui le conduira, après la guerre de 1967, à prendre les distances de la capitale française. De cet héritage qui a si fortement marqué l’enfance de Samir Abdallah parlent aujourd’hui ses documentaires sur la Palestine ainsi que la responsabilité avec laquelle poursuit son œuvre de témoin.
L’entretien réalisé par Ekin Akalin et Perin Emel Yavuz avec Demir Fıtrat Onger apporte la perspective d’un collectionneur et témoin direct de la vie des artistes turcs du café du Gymnase à Montparnasse (en particulier Selim Turan, Hakkı Anlı et Mübin Orhon), leur trajectoire en France et en Turquie et les enjeux de mémoire autour de leur œuvre. Il livre ainsi le portrait d’une génération d’artistes venus à Paris grâce à des bourses françaises, turques ou par leurs propres moyens et qui s’y sont installés. Bien qu’impliqués dans la vie artistique parisienne, ils ne semblent pas y avoir trouvé une pleine reconnaissance, note Onger, tout en soulignant les limites du cosmopolitisme parisien et des formes de discrimination dans la société française. Leur oubli dans l’historiographie française s’explique par une combinaison de facteurs : l’absence de réseaux influents, les rivalités entre artistes et le manque de soutien institutionnel. Dans leurs trajectoires, Paris s’impose comme un choix naturel, ces artistes étant déjà engagés dans la modernité picturale en Turquie par le biais de groupes avant-gardistes. Animés par le désir de vivre la bohème, ils s’inscrivent dans une trajectoire où l’abstraction ne relève pas d’une simple adhésion aux codes picturaux en vogue. Leur rapport à celle-ci semble davantage façonné par des parcours individuels que par une adhésion collective aux grands courants parisiens. L’idée d’une sensibilité proche de certains abstraits paraît plus juste que celle d’une filiation directe. Restés en marge des grands réseaux artistiques en France, ils se sont trouvés dans un entre-deux, ni pleinement intégrés à la scène parisienne, ni reconnus dans leur pays d’origine. Ce n’est qu’à une époque tardive, souvent après leur disparition, que le marché de l’art et les institutions culturelles turques se sont tournés vers leur héritage.
Enfin, le texte de Nadia Chalbi est l’occasion de retracer le parcours du peintre tunisien Ahmed Hajeri (1948) et de se questionner sur la réception de son œuvre sur la scène artistique parisienne désormais bien lointaine de l’École de Paris. Elle en retrace de manière détaillé la carrière dès son arrivée en France en 1968, sa formation d’abord autodidacte et ensuite soutenue par le peintre et architecte Roland Morand. La reconnaissance obtenue en France après sa première exposition en 1978 lui permet de bénéficier d’un accueil positif en Tunisie dans les années 1980, puis de nouveau en France avec un autre réseau de galeristes, et enfin à l’international (1990–2000). Le succès indéniable de ce parcours artistique bien plus tardif par rapport aux artistes de la première ou de la deuxième génération de l’École de Paris nous conduirait à interroger les facteurs qui ont contribué à un changement dans la réception de ces artistes. Au-delà d’un parcours individuel remarquable et talentueux et des rencontres qui ont marqué son histoire artistique, quels sont les facteurs qui ont contribué à son accueil favorable dans le réseau des galeries parisiennes ? Est-ce que le choix de développer une œuvre qui se tient « aux confins du réel, entre rêve et poésie » au lieu d’aborder, à l’instar de Hamed Abdalla, des sujets politiques a-t-il facilité sa réception et son intégration dans le milieu de l’art parisien ? Ce sont certains des questionnements qu’implicitement pose ce texte dont le mérite est de mettre en valeur l’originalité créative d’Hajeri qui élabore un langage personnel apparenté à celui des avant-gardes de la deuxième moitié du xxe siècle.
Bien que reliés par des problématiques communes, la variété des textes et des approches développés par les autrices de ce dossier nous conduisent enfin à souligner la pluralité qui en dérive comme une possible clé de lecture qui permettrait de renouveler la manière d’aborder certaines thématiques. Cela nous conduit à concevoir la généalogie de l’abstraction non pas à partir d’un seul point de vue, qu’il soit géographique ou culturel, mais comme étant elle-même plurielle et développée en lien avec plusieurs contextes artistiques. La valorisation des parcours individuels dans leur diversité et leur variété nous conduit à questionner le recours à des notions abstraites, comme celle d’« École », dont le risque est de niveler ou d’uniformiser la multiplicité de trajectoires et d’oublier, par conséquent, ceux dont les parcours, pour différentes raisons, ont été déviés. Tout l’enjeu d’une telle écriture est de faire ressortir, au-delà des biographies, les facteurs et les structures ayant favorisé, sous l’effet de hiérarchies culturelles et esthétiques implicites, l’oubli ou la marginalisation de certaines œuvres. Par là, s’ouvre la voie capable de remettre en question l’omniscience du récit officiel de l’histoire de l’art.
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